Référence : TGI Paris, 6 avril 2001, Ministère public c/ Roger Thérond et Denis Jeambar
La question de la licité de la publication sur Internet de sondages électoraux dans la semaine qui précède le scrutin est revenu devant les tribunaux. Alors que le Tribunal de grande instance de Paris, dans une décision du 15 décembre 1998, avait admis ce procédé, la Cour d’appel de Paris l’avait invalidé. A ce jour, l’arrêt de la Cour d’appel est frappé d’un pourvoi en cassation. Aujourd’hui, c’est le même Tribunal de grande instance qui a été appelé à statuer.
En l’espèce, tous les éléments étaient réunis. Le directeur de l’Express était poursuivi pour avoir publié dans la formule papier de son journal, un sondage portant sur des thèmes de campagne. De son côté, la direction de Paris-Match avait décidé, à quelques jours des échéances électorales, de réaliser depuis son site Internet, un lien vers un sondage d’intentions de vote disponible sur un site américain. Or, l’enquête judiciaire démontra que le journal avait d’une part, la maîtrise totale du contenu de la page litigieuse et, d’autre part, qu’il avait délibérément hébergé la page aux États-Unis afin de se soustraire à l’interdiction française édictée par la loi du 19 juillet 1977.
Rappelons pour mémoire que l’article 11 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, énonce que « pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er ».
Le Tribunal de grande instance de Paris avait, dans un premier temps, jugé le 15 décembre 1998, dans une affaire semblable, que les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 étaient incompatibles avec les principes posés par les articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’article 10 précise que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». L’article 14, quant à lui, insiste sur le fait que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) l’origine nationale ou sociale (…) ou toute autre situation ».
Le tribunal en avait déduit que la loi du 19 juillet 1977 créait une véritable discrimination entre les Français et les étrangers, mais aussi entre les Français disposant des informations interdites via Internet et ceux qui n’en disposaient pas. Ainsi, l’article 11 était inapplicable en France. Ce raisonnement n’avait pas été adopté par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 2000.
Dans la présente décision, le Tribunal de grande instance de Paris a suivi le chemin adopté par la Cour d’appel. Il n’a pas repris son argumentaire développé au mois de décembre 1998 et a préféré condamner le directeur de Paris-Match pour violation de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977.
Le directeur de l’Express a, quant à lui, été relaxé, le juge estimant qu’un sondage portant sur des thèmes de campagne ne constitue pas un sondage sur les intentions de vote, seul prohibé. En effet, l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977 ne vise que la publication et la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport, que celui-ci soit direct ou indirect, avec une élection.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation [30 octobre 1984, pourvoi n° 83-94.919, Procureur général près de la Cour d’appel de Bordeaux] avait eu l’occasion de préciser que la loi du 19 juillet 1977 ne donnant pas une définition restrictive du terme sondage, toute publication comportant des estimations d’intention de vote ne tombe pas sous le coup des dispositions pénales.
Le Conseil d’Etat, quant à lui, avait fait entrer dans cette catégorie les enquêtes réalisées à la sortie des bureaux de vote, destinées à déterminer les motivations des électeurs, car ces dernières présentent un rapport au moins indirect avec une élection. Seulement, dans la présente affaire, l’Express avait publié un sondage portant que sur des thèmes de campagne, développés par un ou plusieurs partis. Ainsi, le sondage ne permettait pas de déterminer de manière exacte les intentions de vote des personnes interrogées, et sortait en conséquence du champ d’application de l’article 1er et donc de l’article 11 de la loi de 1977.