L’article L. 57 du Code électoral pose le principe selon lequel seuls peuvent prendre part au deuxième tour du scrutin, les électeurs inscrits sur la liste électorale qui a servi au premier tour de scrutin.
L’article L. 34 du même code offre, quant à lui, au juge du tribunal d’instance la possibilité de statuer jusqu’au jour du scrutin "sur les réclamations des personnes qui prétendent avoir été omises sur les listes électorales par suite d’une erreur purement matérielle ou avoir été radiées de ces listes sans observation des formalités prescrites par les articles L. 23 et L. 25". De la combinaison de ces deux dispositions, est née l’interrogation quant à la possibilité pour un électeur, radié d’une liste électorale dans les cas prévus à l’article L. 34, de demander son inscription entre les deux tours du scrutin.
Dans un premier temps, la Cour de cassation a répondu par la négative dans une décision de la deuxième chambre civile du 23 octobre 1974. Le juge a, en effet, indiqué qu’il résulte de la disposition impérative posée par l’article L. 57 qu’une demande d’inscription sur la liste électorale en application de l’article L. 34 du Code électoral, en raison "d’une prétendue erreur ou irrégularité antérieure au premier tour de scrutin est irrecevable si elle est présentée entre les deux tours de scrutin". Il en va de même, a fortiori, si la demande est présentée le jour même du deuxième tour du scrutin. Cette jurisprudence fut, par la suite, confirmée à de nombreuses reprises par la juridiction judiciaire (voir notamment pour une illustration récente : Civ.2, 05/05/1995, n° 95-60737).
Pour sa part, le Conseil d’Etat a pris le contre-pied de la position de la Cour de cassation. Par une décision en date du 11 mars 1994 (Elections cantonales de Macouba-Grand-Rivière), le juge administratif suprême a estimé que l’article L. 57 du Code électoral "ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article L 34 du même code qui permet au juge du tribunal d’instance de statuer jusqu’au jour du scrutin sur les réclamations des personnes qui prétendent avoir été omises sur les listes électorales par suite d’une erreur purement matérielle ou avoir été radiées de ces listes sans observations des formalités prescrites par les articles L 23 et L 25 de ce code ; qu’il ne s’oppose pas non plus aux rectifications opérées par la commission en application de l’article L 40 du code".
Le juge administratif suprême a donc posé le principe selon lequel "si des inscriptions ont été effectuées entre les deux tours sur les listes électorales, elles l’ont été en application des dispositions susrappelées". En conséquence, aux yeux du Conseil d’Etat, l’article L. 34 permet l’inscription d’un électeur, entre les deux tours du scrutin, sur les listes électorales.
A nouveau confrontée à cette situation, la Cour de cassation a décidé d’abandonner sa jurisprudence constante et de se rallier à la position adoptée par le Conseil d’Etat. Dans un arrêt en date du 5 juillet 2001, la Cour de cassation a cassé un jugement d’un tribunal d’instance qui avait déclaré irrecevable la demande d’inscription d’un électeur présentée entre les deux tours du scrutin. Le juge relève à cet égard que l’article L. 57 du Code électoral ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 34 du même code qui permet au juge du tribunal d’instance de statuer jusqu’au jour du scrutin sur les réclamations des électeurs.
Ce revirement jurisprudentiel se fonde sur une interprétation restrictive de l’article L. 57. Dans une décision du 7 décembre 1977 (Elections municipales de Pont-de-Labeaume, n° 08241), le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’indiquer que cet article vise à empêcher que la révision annuelle des listes électorales apporte des modifications dans la composition du corps électoral au cours d’une même élection. Or, l’article L. 34 ne constitue pas une nouvelle procédure de révision de la liste électorale. Il s’agit d’une procédure instituée dans le but de corriger d’éventuelles erreurs matérielles ou de sanctionner l’irrespect des formalités posées par le Code électoral pour les radiations d’office opérées par les commissions administratives.
Enfin, cette position de la Cour de cassation vient corriger les effets pervers de l’application pratique de sa précédente jurisprudence. En effet, les électeurs radiés par erreur de la liste électorale ou, en violation des formalités prescrites notamment par l’article L. 23 du Code électoral (qui impose une notification à la personne de la radiation d’office réalisée par la commission administrative), découvrent le jour même du premier tour leur situation. Si ces derniers souhaitent faire leur devoir civique, et ainsi exprimer leur voix, la procédure de l’article L. 34 se devait d’être applicable entre les deux tours du scrutin.
Benoit Tabaka