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Sondages électoraux : Les effets pervers de la jurisprudence Amaury

Par Benoît TABAKA
Chargé d’enseignements à l’Université de Paris V - René Descartes et Paris X - Nanterre

Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur et ne sauraient engager la responsabilité de son employeur.

Par un arrêt en date du 4 septembre 2001, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a mis fin, sur le fondement de la liberté d’expression, à l’interdiction énoncée à l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, de diffuser la semaine précédent le scrutin, tout sondage d’opinion relatif à une élection. Seulement, cette jurisprudence pourrait vis-à-vis des candidats avoir des conséquences moins bénéfiques.

Réference : Cass. Crim. 4 septembre 2001, n° 00-85.329, Amaury

L’article 11 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, énonce que "pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er". L’application de cette disposition a fait l’objet au sein de la juridiction judiciaire, de divergences entre le Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d’appel de Paris.

Dans un premier jugement en date du 15 décembre 1998, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé que les dispositions de la loi de 1977 étaient incompatibles avec les principes posés par les articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’article 10 précise que "toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière". L’article 14 ajoute que "la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune".

Confrontant les dispositions européennes avec le texte de la loi de 1977, le Tribunal a estimé que la loi française créait une véritable discrimination entre les Français et les étrangers, mais aussi entre les Français disposant des informations interdites via le réseau Internet et ceux qui n’en disposaient pas.

Par un arrêt en date du 29 juin 2000, la Cour d’appel de Paris a rejeté cet argumentaire. Elle a, en effet, estimé que les sondages réalisés dans la perspective d’un scrutin peuvent avoir une influence sur le choix des citoyens, et tout particulièrement à l’égard des électeurs indécis. Ainsi, "si le choix des électeurs doit être éclairé, il doit pouvoir d’exercer librement, c’est à dire dans des conditions de nature à préserver la réflexion personnelle, notamment dans les jours qui précèdent la consultation".

Saisi en cassation, le juge judiciaire suprême a sanctionné la position de la Cour d’appel. La Cour de cassation estime en effet que selon l’article 10 de la Convention européenne, toute personne a droit à la liberté d’expression. L’exercice de ce droit, qui comprend, notamment, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Pour le juge, "en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d’opinion en relation avec l’une des consultations visées par l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977, les textes fondant la poursuite instaurent une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n’est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l’article 10.2 de la Convention susvisée". Cet article est donc incompatible avec les dispositions européennes et doit donc être réputé inapplicable.

Ainsi, la décision de la Cour de cassation fait voler en éclat l’interdiction édictée à l’article 11 de la loi de 1977. Derrière cette reconnaissance de la liberté d’expression notamment des journalistes, un effet pervers – pour les candidats – peut se faire ressentir. En effet, même si la décision libéralise les journalistes, elle n’autorise pas pour autant les candidats à s’en faire l’écho.

Par exemple, le Conseil d’Etat, dans une décision en date du 23 janvier 1984 (Elections municipales d’Etampes) a jugé que "la diffusion dans la commune, pendant la semaine précédant le scrutin, d’un tract présentant les résultats d’un sondage d’opinion qui étaient favorables à la liste constituée par la municipalité sortante a été faite en violation des prescriptions de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion et a été, dans les circonstances de l’affaire, de nature à altérer la sincérité du scrutin".

Le juge administratif, dans cette décision, détache l’irrégularité commise (violation de l’article 11 de la loi de 1977) de l’impact de la violation sur la validité du scrutin. Dès lors qu’une pratique non conforme aux principes du droit électoral ne vicie pas le scrutin, l’élection ne fera pas l’objet d’annulation. Au contraire, dès lors que ladite pratique a eu pour effet de troubler le résultat, le juge pourra obliger les électeurs à retourner aux urnes.

En l’espèce, le problème est assez délicat. En effet, le Conseil d’Etat refuse de reconnaître une quelconque incompatibilité entre les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 11 de la loi de 1977 sur les sondages d’opinion. En conséquence, saisi du contentieux d’une élection, le juge administratif pourra estimer que le commentaire ou la diffusion d’un sondage dans la semaine précédant le scrutin constitue une pratique illégale, et en cas d’écart de voix réduit, pourra prononcer l’annulation de l’élection.

Sans modification législative ou unification des positions jurisprudentielles, le commentaire ou la diffusion d’un sondage sont toujours interdits dans le cadre du scrutin. La sanction n’est alors plus pénale, mais purement électorale.

© - Tous droits réservés - Benoît TABAKA - 28 décembre 2001

 


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