CONSEIL D’ETAT
statuant au contentieux
N° 247224
M. P.
SYNDICAT CFDT CHIMIE ENERGIE LORRAINE
M. J. Boucher
Rapporteur
M. Piveteau
Commissaire du gouvernement
Séance du 25 novembre 2002
Lecture du 18 décembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et Sème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu l’ordonnance du 23 mai 2002 par laquelle le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée devant ce tribunal par M. P. et le SYNDICAT CFDT CHIMIE-ENERGIE LORRAINE ;
Vu la requête, enregistrée le 14 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, présentée pour M. Daniel P., et pour le SYNDICAT CFDT CHIMIE ENERGIE LORRAINE, dont le siège est à EDF-GDF à Blénot-Iès-Pont-à-Mousson (54707), agissant en exécution d’un jugement du conseil de prud’hommes de Metz en date du 9 novembre 2000 ; M. P. et le SYNDICAT CFDT CHIMIE ENERGIE LORRAINE demandent au Conseil d’Etat de déclarer illégales les dispositions du 1er paragraphe de l’article 3 de l’annexe 3 au statut du personnel des industries électriques et gazières ainsi que du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d’EDF-GDF ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 modifiée ;
Vu le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 modifié ;
V u le code de justice adniinistrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. J. Boucher, Auditeur,
les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. P. et de la SCP Defrenois, Levis, avocat d’E.D.F.-G.D.F.,
les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par jugement en date du 9 novembre 2000, le conseil de prud’hommes de Metz a sursis à statuer sur la demande présentée devant lui par M. P. et le SYNDICAT CFDT CHIMIE ENERGIE LORRAINE, jusqu’à ce que le juge administratif se prononce sur la légalité des dispositions du 1er paragraphe de l’article 3 de l’annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que des dispositions du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d’EDF-GDF, qui renvoient aux dispositions du Ze paragraphe de l’article 3 de l’annexe 3 au statut ;
Considérant qu’aux tennes du 1er paragraphe de l’article 3 de l’annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières, approuvé par le décret du 22 juin 1946 susvisé : "Pour avoir droit aux prestations : pension d’ancienneté, un agent doit avoir 55 ans d’âge, s’il appartient aux services insalubres ou actifs ; 60 ans d’âge, s’il appartient aux services sédentaires - et doit totaliser 25 ans de service décomptés conformément au paragraphe 5 de l’article 1er de la présente annexe. / Les agents mères de famille ayant eu trois enfants bénéficieront d’une bonification d’âge et de service d’une année par enfant" ; qu’aux tennes du 2e paragraphe du même article : "Pour avoir droit aux prestations : pension proportionnelle, l’agent doit totaliser quinze ans de services décomptés conformément au paragraphe 5 de l’article 1er. L’agent mère de famille bénéficie des bonifications de service définies à l’alinéa précédent. / La jouissance de la pension proportionnelle est différée jusqu’à l’âge requis pour la pension d’ancienneté, sauf pour l’agent mère de famille répondant aux conditions précisées au paragraphe 1 er, 2e alinéa du présent article, qui la perçoit immédiatement" ; qu’aux tennes du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d’EDF-GDF, qui renvoie à ces dernières dispositions : "Les agents mères de famille ayant eu trois enfants et réunissant 15 ans de services peuvent bénéficier d’une pension à jouissance immédiate sans condition d’âge" ;
Considérant qu’aux termes de l’article 141 (ex-article 119) du traité instituant la Communauté européenne : "1. Chaque Etat membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même
travail ou un travail de même valeur. / 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés
directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. (...) /4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et
femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle" ;
Considérant que les pensions servies par le régime spécial de retraite des industries électriques et gazières, organisé par le statut national du personnel de ces industries, entrent dans le champ d’application des stipulations précitées de l’article 141 du traité instituant la Communauté européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice des communautés européennes dans ses arrêts C-147/95 du 17 avril 1997, C-366/99 du 29 novembre 2001 et C-206/00 du 13 décembre 2001 ;
Considérant que les dispositions précitées du statut national du personnel des industries électriques et gazières et du manuel pratique des questions de personnel d’EDF -GDF prévoient l’attribution aux agents féminins ayant eu trois enfants ou plus au moment de leur départ à la retraite d’une bonification d’ancienneté d’un an par enfant pour le calcul de leurs droits à pension, ainsi que la possibilité, pour ces mêmes agents, de bénéficier sous certaines conditions d’une pension à jouissance immédiate ; qu’aucune autre disposition ne prévoit l’octroi d’avantages analogues aux agents masculins qui ont assuré l’éducation de leurs enfants ; qu’ainsi les dispositions litigieuses introduisent une discrimination entre agents féminins et agents masculins qui n’est justifiée par aucune différence de situation relativement à l’octroi des avantages en cause et qui, par suite, est incompatible avec les stipulations précitées de l’article 141 du traité instituant la Communauté européenne, dont le 4e paragraphe ne peut être interprété comme autorisant le maintien d’une tel1e discrimination ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que les dispositions litigieuses du statut national du personnel
des industries électriques et gazières et du manuel pratique des questions de personnel d’EDF-GDF doivent être déclarées illégales dans la mesure où elles excluent du bénéfice des avantages qu’elles instituent les agents masculins ayant assuré l’éducation de leurs enfants ;
D E C I D E :
Article 1er : Il est déclaré que les dispositions des 1er et 2è paragraphes de l’article 3 de l’annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que les dispositions du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d’EDF-GDF sont illégales en tant qu’elles excluent du bénéfice des avantages qu’elles instituent
les agents masculins ayant assuré réducation de leurs enfants.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Daniel P., au SYNDICAT CFDT CHIMIE ENERGIE LORRAINE, à Electricité de France-Gaz de France, au Premier ministre, au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.