Passé inaperçu, le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à simplifier le droit pourrait avoir des conséquences importantes sur notre droit public. En effet, depuis la loi du 21 février 1996 qui avait procédé à la création du Code général des collectivités territoriales, le travail de codification que cette loi souhaite autoriser, va porter sur certaines matières essentielles du droit public.
Aujourd’hui, près de deux tiers de notre droit est codifié. Ce nouveau projet de loi, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 juin 2004, tend à poursuivre ce travail en son article 56 en autorisant le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’adoption de la partie législative de divers codes. :
le Code de l’administration ;
le Code du sport ;
le Code des transports ;
le Code de la commande publique ;
le Code de la fonction publique.
Immédiatement, le doute peut saisir le juriste habitué aux petits livres rouges ou bleus de nos éditeurs. En effet, plusieurs de ces codes sont d’ores et déjà commercialisés. Il en est ainsi du Code de la fonction publique, du Code administratif ou du Code du sport. Néanmoins, ces ouvrages sont des codes dits « éditoriaux ». Ils proviennent d’un choix des maisons d’édition juridique de rassembler au sein d’un même ouvrage, les divers textes applicables à une matière. Pour autant ces textes n’y sont pas codifiés, mais plus exactement, organisés par matière ou thèmes.
L’objectif gouvernement est donc de dépasser ce travail et de rassembler au sein d’un document unique l’ensemble des dispositions s’appliquant à une matière en procédant à leur organisation sous la forme de l’attribution d’un numéro. Le but est d’assurer une meilleure accessibilité et intelligibilité de la loi, objectif de nature constitutionnelle posé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 décembre 1999.
Arrêtons nous quelques instants sur certains de ces nouveaux codes.
Le Code de l’administration
La décision de créer un Code de l’administration a été prise par le Gouvernement en septembre 1995 qui avait alors confié les travaux à la Commission supérieure de codification. Ce code est destiné avant tout aux usagers des services publics. Il aura vocation à regrouper les dispositions générales sur les procédures et les structures administratives non reprises dans des codes spécifiques (Code de justice administrative, Code général des collectivités territoriales par exemple).
Ainsi, ce code réunira les règles de portée générale s’appliquant à l’ensemble des activités administratives, par opposition aux règles sectorielles. Cela concernerait aussi bien les grands textes de la fin des années 1970 et du début des années 1980 qui sont habituellement assimilés à l’amélioration des relations entre l’administration et ses usagers et à la transparence administrative, que ceux qui régissent les procédures administratives non contentieuses.
Une deuxième partie rassemblerait les textes relatifs à l’organisation des administrations civiles de l’État, en présentant d’abord les principes et les règles générales régissant celle-ci avant de détailler les attributions de leurs échelons les plus importants.
Une première version de la première partie avait été réalisée par l’ancienne Délégation interministérielle à la réforme de l’État, incluant les modifications et les apports résultant de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration. Une première version du livre premier de la seconde partie du code avait été également établie à cette occasion. Restait à élaborer le second livre qui nécessitait le concours des différents ministères.
L’évocation du manque de moyens humains pour assurer la poursuite de la codification dans des conditions optimales n’est pas sans incidence pour la réalisation d’un tel code, la Commission supérieure de codification ayant souligné, dans son rapport de juillet 2003, qu’elle avait dû renoncer « provisoirement » à un tel travail « faute de structure ministérielle pour mener à bien sa réalisation ».
A compter de l’adoption de la loi, le Gouvernement disposera d’un délai de dix-huit mois pour réaliser ce code.
Le Code de la commande publique
Concernant le Code de la commande publique, sa création est essentiellement issue d’une décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003. En effet, les Sages avaient évoqué l’existence d’un « droit commun de la commande publique ». Auparavant, dans son douzième rapport relatif à l’année 2001, la Commission supérieure de codification relevait déjà qu’un « code de la commande publique, intégrant le nouveau code des marchés publics, devra sans doute être conçu ».
Aujourd’hui, on estime que la commande publique recouvre les différentes techniques contractuelles permettant aux personnes publiques et à leurs mandants, et aux personnes privées chargées d’une mission de service public, de satisfaire leurs besoins par recours à des prestataires extérieurs.
Seraient ainsi codifiés en son sein, les textes relatifs aux marchés publics et les lois du 3 janvier 1991, du 11 décembre 1992 et du 29 janvier 1993 étendant les obligations de publicité et de mise en concurrence à un ensemble d’établissements et organismes ne relevant pas du Code des marchés publics. Il s’agit également des textes relatifs aux délégations de service public, dont une partie est d’ailleurs codifiée dans le Code général des collectivités territoriales.
Est également concernée la catégorie des contrats de partenariat « public/privé » dont le régime a été récemment adopté par voie d’ordonnance. Enfin, seront également inclus des textes variés concernant les « contrats complexes » comme par exemple la location avec option d’achat assise sur une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, le crédit-bail immobilier ou la convention d’aménagement. Le texte pourrait intégrer certains régimes particuliers s’apparentant à des quasi-contrats mais dont le régime juridique relève de l’autorisation unilatérale ou encore certaines législations éparses qui participent à l’environnement juridique de la commande publique et qui sont utilisées quotidiennement par ses acteurs.
Cet effort de codification législative devrait s’accompagner très rapidement de la codification des textes réglementaires. La matière est, en effet, très largement régie par l’actuel Code des marchés publics, de nature réglementaire et dont la réforme récente a compliqué la lecture de l’état du droit, les marchés notifiés avant la publication de ce nouveau code restant régis par les dispositions de l’ancien code. Le décret du 26 mars 1993 relatif aux sociétés d’économie mixte pourrait également être inséré dans le nouveau document.
A compter de l’adoption de la loi, le Gouvernement disposera d’un délai de 18 mois pour procéder à l’adoption de ce nouveau code.
Le Code de la fonction publique
Le Code de la fonction publique est, quant à lui un projet ancien. Ce code devrait rassembler les dispositions communes à l’ensemble des fonctionnaires, ainsi que celles relatives à la fonction publique de l’Etat, à la fonction publique territoriale, et à la fonction publique hospitalière.
Le principe d’un tel code général avait été arrêté lors d’une réunion interministérielle du 17 novembre 2000. Plusieurs choix avaient été faits à cette occasion : regroupement des dispositions communes aux trois fonctions publiques ainsi que celles propres à chacune d’entre elles, codification des dispositions générales relatives aux agents non titulaires, codification des dispositions générales relatives aux ouvriers d’État, les règles particulières étant, le cas échéant, codifiées dans des codes spécifiques (défense, etc.) et, enfin, non codification des statuts particuliers.
Un premier projet de plan du code avait été présenté dès le 27 novembre 2001 à la Commission supérieure de codification. Cette dernière avait alors souhaité que, sur le fondement des orientations susmentionnées, des clarifications soient apportées par une meilleure précision des notions et un éventuel regroupement des dispositions générales applicables aux agents non titulaires dans un livre autonome. Elle avait également souhaité que soit simplifiée la présentation des dispositions spécifiques en évitant l’utilisation conjointe des termes de statuts particuliers, spéciaux ou dérogatoires.
Le Gouvernement disposera également d’un délai de 18 mois pour procéder à l’adoption de ce code.
La conciliation de la codification avec l’apport jurisprudentiel
Le principe d’une codification « à droit constant » tel que souhaite l’instituer le projet de loi est relativement limitatif pour le Gouvernement. En effet, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, estimé, que le gouvernement ne saurait, à l’occasion de la codification autorisée par la loi, apporter des modifications de fond aux dispositions législatives existantes. En outre, il n’est fait exception à ce principe que s’il s’agit d’assurer le respect de la hiérarchie des normes ou de procéder à l’harmonisation de l’état du droit, cette dernière devant « se borner à remédier aux incompatibilités pouvant apparaître entre des dispositions soumises à codification ».
En cas de non-respect de ce principe, l’ordonnance est susceptible d’être déféré au Conseil d’Etat et d’y être sanctionné, l’ordonnance conservant le caractère d’un acte administratif jusqu’à sa ratification par le Parlement. Le champ de codification est donc limité. Le Gouvernement ne pourra pas y intégrer des dispositions abrogées, non encore adoptées ou de nature réglementaire.
Dès lors que l’on procède à une codification du droit public, se pose une interrogation concernant un type de norme propre à cette matière : les principes généraux du droit. Considérés de tout temps de nature infra-législative et supra-décrétale, le Gouvernement devra-t-il également les intégrer dans le corpus juridique à codifier ?
En effet, dans le domaine de la fonction publique, ceux-ci demeurent importants. Le Conseil d’Etat a ainsi pu poser les principes d’interdiction de licencier une non titulaire en état de grossesse, d’interdiction de rémunérer en deçà du salaire minimum de croissance, d’interdiction des amendes et sanctions pécuniaires ou d’interdiction de mesures discriminatoires à l’encontre de grévistes. Le Gouvernement décidera-t-il de leur conférer une valeur législative en les codifiant ? Comment le Conseil d’Etat considèrerait-il l’intégration de tels principes dans une ordonnance ? La réponse est très délicate.
Cette réponse est d’autant plus délicate que certains tribunaux administratifs ont eux-mêmes dégagés des principes généraux du droit sans pour autant que le Conseil d’Etat ne les confirme, en l’absence de contentieux en la matière. Par ailleurs, certains principes dégagés par les tribunaux n’ont pas été élevés au rang des principes généraux du droit par les magistrats du Palais Royal (cas du droit à un certificat de travail). Si le Gouvernement décide de procéder à la codification de nos « pgd », devrait-il faire le choix entre ceux dégagés par le juge suprême et ceux dégagés par les juges du fond ?
On se rend compte immédiatement de la difficulté que pose ici cet « ovni normatif » relativement spécifique au droit administratif. Dès lors que l’on entre dans un schéma de codification (et donc de simplification du droit dans un sens de meilleure intelligibilité et d’accessibilité), il doit aller de soit que tous les PGD soient également transposés dans les divers articles. Pour autant, la difficulté issue de leur place dans la hiérarchie des normes demeure : le gouvernement devra faire un choix : soit leur reconnaître une valeur législative, soit les abaisser à un niveau réglementaire. (BT)