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Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2001, n° 221458, Société des Eaux du Nord

Le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 221458

SOCIETE DES EAUX DU NORD

M. Peylet, Rapporteur

Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement

Séance du 29 juin 2001

Lecture du 11 juillet 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux,

Section du contentieux)

Sur le rapport de la 7e sous-section de la Section du contentieux :

Vu l’ordonnance en date du 19 mai 2000, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 25 mai 2000, par laquelle, sur renvoi du président de la cour administrative d’appel de Nancy, le président de la cour administrative d’appel de Douai a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur, la requête présentée devant la cour administrative d’appel de Nancy par la SOCIETE DES EAUX DU NORD ;

Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 1998 au greffe de la cour administrative d’appel de Nancy, présentée par la SOCIETE DES EAUX DU NORD dont le siège est 217, boulevard de la Liberté à Lille (59800), représentée par son président directeur-général la SOCIETE DES EAUX DU NORD demande au Conseil d’Etat ;

1°) l’annulation du jugement du 2 juillet 1998 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par les sociétés Commercial Union et Damart Serviposte agissant en exécution d’un jugement du tribunal d’instance de Lille en date du 12 décembre 1997, a déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993 est entaché d’illégalité en ce qu’il stipule que la responsabilité du service des eaux, en cas de dommage résultant de l’existence et du fonctionnement de la partie de l’installation située en partie privative en amont du compteur, ne peut être engagée qu’en cas de faute de service ;

2°) qu’il soit déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille n’est pas entaché d’illégalité ;

somme de 10 000 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la consommation, notamment son article L. 132-1 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Peylet, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Vincent, Ohl, avocat de la communauté urbaine de Lille,

- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un jugement du 12 décembre 1997, le tribunal d’instance de Lille, saisi par les sociétés Damart Serviposte et Commercial Union d’une demande de réparation des conséquences dommageables d’un dégât des eaux causé par la rupture du branchement particulier desservant l’immeuble où la première a son siège, a renvoyé les parties à saisir le tribunal administratif de la question de la légalité de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993 et a sursis à statuer jusqu’à la décision du tribunal administratif que la SOCIETE DES EAUX DU NORD fait appel du jugement du 2 juillet 1998 par lequel le tribunal administratif de Lille a déclaré que le b) de l’article 12 de ce règlement est entaché d’illégalité en ce qu’il prévoit que le client abonné aurait à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de la partie du branchement située en dehors du domaine public et en amont du compteur, sauf s’il apparaissait une faute du service des eaux ;

Considérant que la question préjudicielle posée par le tribunal d’instance de Lille portait, de façon générale, sur la légalité des dispositions de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille qu’ainsi la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Lille aurait statué au-delà de la saisine, en ne limitant pas sa réponse à la légalité de la disposition contestée au regard de la seule législation sur les clauses abusives ;

Mais considérant qu’eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d’abonnement liant le distributeur d’eau et l’usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l’occasion de la fourniture de l’eau, exercer d’autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage, résiderait dans un vice de conception, de construction, d’entretien ou de fonctionnement de l’ouvrage public qui assure ladite fourniture que, par suite, la SOCIETE DES EAUX DU NORD est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lille s’est fondé sur les règles applicables au régime de responsabilité du fait des dommages subis par les usagers d’ouvrages publics pour déclarer illégal le b) de l’article 12 du règlement de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par les sociétés Damart Serviposte et Commercial Union devant le tribunal administratif de Lille ;

Considérant qu’aux termes des trois premiers alinéas de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 modifiée sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services, dans sa rédaction en vigueur à la date d’édiction du règlement du service des eaux litigieux "Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels, ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets en Conseil d’Etat pris après avis de la commission instituée par l’article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif, / De telles clauses abusives, stipulées en contradiction avec les dispositions qui précèdent, sont réputées non écrites, / Ces dispositions sont applicables aux contrats quels que soient leur forme ou leur support" que ces dispositions ont été ultérieurement codifiées à l’article L. 132-1 du code de la consommation, lequel dispose, dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, que "Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ( ...) / Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat ( ...)/ Les clauses abusives sont réputées non écrites, / L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, / Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses, / Les dispositions du présent article sont d’ordre public" ;

Considérant qu’aux termes de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la Communauté urbaine de Lille du 14 juin 1993, annexé au contrat de concession conclu entre cette communauté et la SOCIETE DES EAUX DU NORD le 27 septembre 1985 "Les travaux d’entretien et de renouvellement des branchements sont exécutés exclusivement par le service des eaux, ou sous sa direction par une entreprise agréée par lui depuis la prise sur conduite jusqu’au robinet avant compteur, à l’exclusion du regard ou de la niche abritant le compteur ( ...) L’entretien sera assuré dans les conditions suivantes a) Pour la partie du branchement située entre la conduite de distribution publique et le point d’entrée dans la propriété du client abonné, le service des eaux prendra à sa charge les frais de réparation et les dommages pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de cette partie du branchement b) Pour toutes les autres parties du branchement, le service des eaux prendra à sa charge les seuls frais de réparation directe du branchement le client abonné aura à sa charge toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de l’existence et du fonctionnement de ces parties du branchement, sauf s’il apparaissait une faute du service des eaux ( ...) Le client abonné devra prévenir immédiatement le service des eaux de toute fuite et anomalie de fonctionnement qu’il aurait constatée sur le branchement ( ...)" ;

Considérant que le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ;

Considérant que les dispositions précitées du "b" de l’article 12 peuvent conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant qu’elles s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion qu’elles ne sont pas justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public qu’elles présentent ainsi le caractère d’une clause abusive au sens des dispositions précitées de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 qu’elles étaient, dès lors, illégales dès leur adoption qu’elles ne sont pas davantage conformes aux dispositions précitées de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er février 1995, d’ordre public ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE DES EAUX DU NORD n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a déclaré que le b) de l’article 12 du règlement du service de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille est entaché d’illégalité ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la SOCIETE DES EAUX DU NORD à payer aux sociétés Damart Serviposte et Commercial Union la somme qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens que ces dispositions font obstacle à ce que les sociétés Damart Serviposte et Commercial Union, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnées à payer à la SOCIETE DES EAUX DU NORD et à la communauté urbaine de Lille les sommes qu’elles demandent au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE DES EAUX DU NORD est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE DES EAUX DU NORD est condamnée à payer aux sociétés Damart Serviposte et Commercial Union la somme de 10 000 F en application des dispositions de l’article L. 761-I du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la communauté urbaine de Lille devant le Conseil d’Etat et tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées,

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES EAUX DU NORD, à la SA Damart Serviposte, à la SA Commercial Union, à la communauté urbaine de Lille, au tribunal d’instance de Lille et au ministre de l’intérieur.

 


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