CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 293934, 294056
Mme K.
GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES
M. Brice Bohuon
Rapporteur
Mme Claire Landais
Commissaire du gouvernement
Séance du 17 mars 2008
Lecture du 5 mai 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux
Vu 1°) sous le n° 293934, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 mai et 23 juin 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par Mme Geneviève K. ; Mme K. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire du 31 mars 2006 relatif aux actes de l’état civil requis pour la délivrance du passeport électronique ;
2°) d’enjoindre au ministre de prendre, à compter de la décision à intervenir, un arrêté d’application du décret du 30 décembre 2005 en respectant l’égalité en droit de tous les citoyens, quelle que soit leur origine, afin que chacun puisse obtenir un passeport électronique ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 100 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 294056, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 18 juillet 2006, présentés par le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (G.I.S.T.I), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011), représenté par sa présidente ; le G.I.S.T.I. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire du 31 mars 2006 relatif aux actes de l’état civil requis pour la délivrance du passeport électronique ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que son protocole additionnel n° 4 ;
Vu la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, signée à New-York le 7 mars 1966 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New-York le 16 décembre 1966 ;
Vu le code civil, notamment ses articles 34 à 75 ;
Vu le décret de la convention nationale du 7 décembre 1792 ;
Vu l’ordonnance n° 62-800 du 16 juillet 1962 facilitant la preuve des actes de l’état civil dressés en Algérie ;
Vu la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 ;
Vu la loi n° 68-671 du 25 juillet 1967 relative à l’état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants, modifiée par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 ;
Vu le décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant simplification de formalités administratives et suppression de la fiche d’état civil ;
Vu le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,
les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n° 293 934 et n° 294 056 présentées respectivement par Mme K. et le Groupe d’information et de soutien des immigrés (G.I.S.T.I.) sont dirigées contre le même arrêté ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée au G.I.S.T.I. par le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire ;
Considérant que la liberté d’aller et de venir, qui constitue une liberté fondamentale, implique que toute personne dont la nationalité française et l’identité sont établies, puisse, sous réserve de la sauvegarde de l’ordre public et du respect des décisions d’interdiction prises par l’autorité judiciaire, obtenir, à sa demande, un passeport ; que le passeport électronique, qui est un titre de circulation, a aussi pour objet, en vertu du dernier alinéa de l’article 1er du décret du 30 décembre 2005, de certifier l’identité de son titulaire ; que, par suite, l’administration est tenue, à l’occasion de la procédure de délivrance du passeport électronique, de s’assurer que les pièces produites par le demandeur sont de nature à établir son identité et sa nationalité ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 4 du décret du 30 décembre 2005, pour l’application duquel a été pris l’arrêté attaqué : " Le passeport électronique est délivré, sans condition d’âge, à tout Français qui en fait la demande " ; que l’article 5 dispose : " Le passeport électronique est délivré ou renouvelé sur production de la copie intégrale d’un des actes de l’état civil figurant sur une liste déterminée par arrêté du ministre de l’intérieur./ La preuve de la nationalité française du demandeur est établie à partir d’un des actes de l’état civil visés à l’alinéa précédent, portant le cas échéant, en marge, l’une des mentions prévues à l’article 28 du code civil. / Lorsque les actes de l’état civil visés au deuxième alinéa ne suffisent pas à établir la qualité de Français du demandeur, celle-ci peut être établie par la production de l’une des pièces justificatives de la nationalité française mentionnées aux articles 34 et 52 du décret du 30 décembre 1993 susvisé ou d’un certificat de nationalité française (.)" ; que, pour fixer la liste des actes de l’état civil à produire à l’appui d’une demande de délivrance ou de renouvellement du passeport électronique, l’arrêté attaqué du 31 mars 2006 prévoit, en son article 1er, que doit être produite la copie intégrale de l’acte de naissance du demandeur ou, sous réserve de la preuve de l’impossibilité de produire cet acte, la copie intégrale de l’acte de mariage ; qu’en retenant ces deux documents, qui comportent les mentions nécessaires pour établir l’identité et la nationalité du demandeur, le ministre a fait une exacte application des dispositions précitées du décret du 30 décembre 2005 ;
Considérant qu’aux termes de l’article 46 du code civil : " Lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins " ; que, par ailleurs, l’article 1er de l’ordonnance du 16 juillet 1962 dispose : " Jusqu’à une date qui sera fixée par décret, la production des copies conformes et des extraits des actes de l’état civil pourra être remplacée, en ce qui concerne les actes de l’état civil dressés en Algérie, par la présentation du livret de famille, la production d’une fiche d’état civil ou par des actes de notoriété " ; que Mme K. soutient que l’arrêté attaqué serait illégal en ce qu’il rend impossible ou très difficile, dans certains cas, l’obtention de ce passeport, dès lors qu’il exclut la possibilité de produire, à l’appui d’une demande de passeport électronique, des documents autres que la copie intégrale de l’acte de naissance ou, le cas échéant, de l’acte de mariage ; que l’arrêté ne fait pas obstacle à ce que les citoyens qui ne peuvent accéder aux pièces de leur état civil recourent aux procédures qui leur sont ouvertes soit auprès du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères habilité à établir de nouveaux actes de l’état civil au profit des citoyens ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants soit auprès des juridictions compétentes pour l’application de l’article 46 du code civil ; qu’en tout état de cause, l’arrêté n’ayant ni pour objet ni pour effet de déroger aux règles particulières, fixées par le législateur, dans certains cas exceptionnels où les registres de l’état civil sont manquants ou incomplets, les personnes qui se trouveraient, pour les motifs exceptionnels prévus par le législateur, dans l’impossibilité de produire, à l’appui d’une demande de passeport électronique, une copie intégrale de leur acte de naissance ou d’un acte de mariage, ne pourraient se voir opposer les dispositions de l’arrêté attaqué ; que, dans ces seules hypothèses, l’administration devra prendre en compte les éléments produits par le demandeur qui est dans l’impossibilité de fournir les pièces mentionnées dans l’arrêté attaqué ; que, par suite, et dans cette mesure, Mme K. et le G.I.S.T.I ne sont pas fondés à soutenir que les règles posées par l’arrêté attaqué et le décret du 30 décembre 2005 sont de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et de venir ;
Considérant que, si l’arrêté prévoit, à défaut de la copie intégrale de l’acte de naissance, la production de la copie intégrale de l’acte de mariage, la différence de traitement ainsi créée entre les personnes mariées, d’une part, et les personnes célibataires ou signataires d’un pacte civil de solidarité, d’autre part, découle de la nécessité pour l’administration de disposer des pièces lui permettant d’établir l’identité et la nationalité du demandeur et n’est pas par elle-même constitutive d’une rupture d’égalité ;
Considérant que le G.I.S.T.I. soutient que l’obligation de présenter une copie intégrale de l’acte de naissance qui, à la différence d’un simple extrait d’acte de naissance, comporte la mention des parents du demandeur, créerait une discrimination à l’égard des personnes ayant fait l’objet d’une adoption en ce que celles-ci rencontreraient des difficultés à justifier leur filiation ou seraient exposées à voir révélée l’identité de leurs parents biologiques ; que le moyen doit être écarté pour ce qui concerne les personnes dont l’adoption est postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1966 portant réforme de l’adoption, dès lors que les actes de naissance qui mentionnent la filiation ne font état que de l’identité des parents adoptifs ; que s’il est vrai que les personnes adoptées avant l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1966 peuvent être confrontées à des difficultés lorsqu’elles demandent une copie intégrale de leur acte de naissance qui mentionne l’identité des parents biologiques, ces inconvénients ne sont pas disproportionnés par rapport à la nécessité pour l’administration, à l’occasion de la procédure de délivrance d’un passeport électronique certifiant l’identité de son titulaire, de s’assurer que les pièces produites par le demandeur établissent son identité et sa nationalité ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, pour les motifs exposés ci-dessus, l’arrêté attaqué ne porte pas davantage atteinte ni à la liberté d’aller et de venir, ni, en tout état de cause, aux stipulations d’une part, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, d’autre part, du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou, enfin, de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
Considérant enfin que le G.I.S.T.I. soutient que les règles fixées par l’arrêté attaqué méconnaissent le droit au respect de la vie privée protégé notamment par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qu’à l’occasion d’une demande de passeport électronique, les personnes ayant changé de sexe seront contraintes de révéler aux services administratifs leur changement d’état civil puisque la copie intégrale de l’acte de naissance porte en marge la mention d’un tel changement ; que toutefois, l’atteinte à la vie privée résultant de cette révélation à l’occasion de l’instruction de la demande n’est pas disproportionnée par rapport au but recherché dès lors qu’elle est nécessaire pour vérifier l’identité de la personne et que l’information ainsi obtenue n’est portée qu’à la seule connaissance des agents assurant le traitement de la demande de passeport électronique ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme K. et le G.I.S.T.I ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêté du 31 mars 2006 ; qu’en conséquence, leurs conclusions à fin d’injonction ainsi que celles tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être écartées ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de Mme K. et du Groupe d’information et de soutien des immigrés (G.I.S.T.I) sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Geneviève K., au Groupe d’information et de soutien des immigrés (G.I.S.T.I) et à la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.