CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 138241
Lacan et Association des Thermes de la Haute-Vallée de l’Aude
M Debat, Rapporteur
M Le Chatelier, Commissaire du gouvernement
Lecture du 10 Juin 1994
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le n° 138241, la requête enregistrée le 12 juin 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M Philippe Lacan, demeurant 92, boulevard Flandrin à Paris (75116) ; M Lacan demande au Conseil d’Etat :
d’annuler le jugement du 1er avril 1992 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Rennes-les-Bains a rejeté sa demande tendant à ce que lui soient communiqués les bilans et comptes de résultats de l’association des Thermes de la haute vallée de l’Aude pour les exercices 1982 à 1991 ;
d’annuler pour excès de pouvoir ladite décision implicite ;
Vu 2°), sous le n° 140175, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 août 1992 et 30 novembre 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude dont le siège est à Rennes-les-Bains à Couiza (11190) ; l’Association des Thermes de la
Haute Vallée de l’Aude demande au Conseil d’Etat :
d’annuler le jugement du 1er avril 1992 par lequel le
tribunal administratif deMontpellier a, à la demande de M Philippe Lacan, annulé le refus de communiquer les comptes des exercices 1982 à 1991 de l’association requérante opposé par son président à M Lacan ;
de rejeter la demande présentée par M Lacan devant le tribunal administratif de Montpellier ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 88-465 du 28 avril 1988 relatif à la procédure d’accès aux documents administratifs ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
le rapport de M Debat, Auditeur,
les observations de la SCP Urtin-Petit, Van, Troeyen, avocat de l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude,
les conclusions de M Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées, nos 140 175 et 138 241, présentent à juger des questions similaires ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la requête de l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude n° 140 175 :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par M Lacan :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 : "Sous réserve des dispositions de l’article 6, les documents administratifs sont de plein droit communicables aux personnes qui en font la demande, qu’ils émanent des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes, fussent-ils de droit privé, chargés de la gestion d’un service public" ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte des pièces du dossier que l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude est chargée, notamment, de la gestion d’un établissement thermal et d’un hôtel-restaurant appartenant à la commune de Rennes-les-Bains ; que pour l’exercice de ses missions, elle perçoit des aides et subventions de la commune ; qu’à la date de la décision attaquée, elle était présidée par le maire de la commune ; que son vice-président et trois des sept membres de son conseil d’administration étaient des conseillers municipaux ; qu’elle doit ainsi être regardée, et alors même que l’exercice de ses missions ne comporterait pas la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique, comme gérant, sous le contrôle de la commune, un service public communal ; qu’elle figure, dès lors, au nombre des organismes dont les documents administratifs sont de plein droit communicables, en application de l’article 2 précité de la loi du 17 juillet 1978 ;
Considérant que les comptes de l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude, qui retracent les conditions dans lesquelles elle exerce les missions de service public qui sont les siennes, présentent, par leur nature et leur objet, le caractère de documents administratifs ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué n° 911973, en date du 1er avril 1992, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision par laquelle son président a rejeté la demande de M Lacan tendant à ce que les comptes des exercices 1982 à 1991 lui soient communiqués ;
Sur les conclusions de M Lacan tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l’Association des Thermes de la haute Vallée de l’Aude à payer à M Lacan une somme de 5 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Sur la requête de M Lacan n° 138 241 :
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier qu’à l’appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Rennes-les-Bains a rejeté sa demande tendant à ce que lui soient communiqués les comptes de l’Association des Thermes de la haute Vallée de l’Aude pour les exercice 1982 à 1991, M Lacan soulevait un moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse ; que le jugement attaqué n° 911970 du 1er avril 1992 ne répond pas à ce moyen ; qu’il est dès lors entaché d’irrégularité et doit, par suite, être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M Lacan devant le tribunal administratif de Montpellier ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs : "Une décision implicite intervenue dans des cas où une décision explicite aurait due être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués" ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en l’absence de communication des motifs dans le délai d’un mois, la décision implicite se trouve entachée d’illégalité ;
Considérant que le 21 mai 1991, M Lacan a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs d’une demande de communication des documents litigieux ; que le 24 juin 1991, soit avant l’intervention de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois à compter du 21 mai, M Lacan a demandé que lui soient communiqués les motifs de cette décision ; qu’aucune décision implicite n’étant encore intervenue le 24 juin 1991, sa demande était ainsi sans objet ; qu’elle n’a pu, dès lors, faire courir le délai d’un mois prévu par les dispositions précitées de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 ; que, par suite, la décision implicite attaquée ne se trouve pas entachée d’illégalité du seul fait que ses motifs n’ont pas été communiqués à M Lacan ;
Sur la légalité interne :
Considérant que si aux termes de l’article L221-8 du code des communes : "Tous groupements, associations, oeuvres ou entreprises qui ont reçu dans l’année en cours une ou plusieurs subventions sont tenus de fournir à l’autorité qui a mandaté la subvention une copie certifiée conforme de leurs budgets ou de leurs comptes de l’exercice écoulé ainsi que tous documents faisant connaître les résultats de leur activité", aucune disposition législative ou réglementaire n’autorise les communes à communiquer aux tiers des documents qui leur ont été fournis en application de ces dispositions ; qu’ainsi, le maire de Rennes-les-Bains était tenu de rejeter la demande de M Lacan tendant à ce que les bilans et comptes de résultat de l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude lui soient communiqués ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M Lacan n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Rennes-les-Bains a rejeté sa demande de communication des comptes de l’Association des Thermes de la haute Vallée de l’Aude ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 911970 du 1er avril 1992 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M Lacan devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l’annulation de la décision susvisée du maire de Rennes-les-Bains est rejetée.
Article 3 : La requête de l’Association des Thermes de la haute Vallée de l’Aude est rejetée.
Article 4 : L’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude versera à M Lacan une somme de 5 000 F au titre de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M Philippe Lacan, à l’Association des Thermes de la Haute Vallée de l’Aude, à la commune de Rennes-les-Bains et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.