CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 306700
MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE MER ET DES COLLECTIVITES ERRITORIALES
c/ M. et Mme I.
Mlle Sophie-Justine Liéber
Rapporteur
Mme Emmanuelle Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 avril 2008
Lecture du 18 avril 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la section du contentieux
Vu le recours, enregistré le 20 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ; le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES demande au Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance du 8 juin 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, d’une part, suspendu l’exécution des arrêtés du 29 mai 2007 du préfet des Pyrénées-Orientales ordonnant l’éloignement de M. Robert I. et de Mme Natalia I., née Matveeva, avec leurs deux enfants mineurs, à destination de Chypre, d’autre part, ordonné que le préfet leur délivre une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d’asile ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et l’article 53-1 ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés ;
Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Sophie-Justine Liéber, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de M. et Mme I.,
les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle fait droit à la demande de suspension :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu’aux termes de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Sous réserve du respect des stipulations de l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l’admission en France d’un étranger qui demande à bénéficier de l’asile ne peut être refusée que si :/ 1° L’examen de la demande d’asile relève de la compétence d’un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ou d’engagements identiques à ceux prévus par ledit règlement avec d’autres Etats ;/ (.) Les dispositions du présent article ne font pas obstacle au droit souverain de l’Etat d’accorder l’asile à toute personne qui se trouverait néanmoins dans l’un des cas mentionnés aux 1° à 4° " ;
Considérant que, pour faire droit à la demande de suspension des arrêtés d’éloignement pris par le préfet des Pyrénées-Orientales à l’encontre de M. et Mme I., ressortissants russes, à destination de Chypre, où les intéressés sont entrés et ont formulé une demande d’asile en juin 2005, le juge des référés a retenu comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions le moyen tiré de ce qu’en décidant d’exécuter d’office la procédure de réadmission des requérants à Chypre, avec leurs deux enfants mineurs, sans procéder à un examen des risques invoqués en cas de retour dans ce pays, ni à celui de l’état de santé de Mme I., le préfet a méconnu les dispositions précitées du dernier alinéa de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le préfet n’a pas pris en compte la gravité des maltraitances que M. et Mme I. ont déclaré avoir subies de la part des représentants des autorités chypriotes, dont la véracité est attestée notamment par deux rapports médicaux détaillés établis, d’une part, le 26 mai 2006 par un médecin d’un service hospitalier de psychiatrie en Suède, d’autre part, le 15 mai 2007, par un chef de service de l’hôpital de Thuir, à des dates antérieures aux décisions attaquées du 29 mai 2007, documents dont ni l’authenticité ni le contenu ne sont contestés ; qu’ainsi, en regardant comme sérieux le moyen énoncé ci-dessus pour faire droit à la suspension demandée, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n’a ni dénaturé les pièces du dossier, ni commis d’erreur de droit ; que, dès lors, le MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES n’est pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle fait droit aux conclusions aux fins de suspension des décisions contestées ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance en tant qu’elle enjoint au préfet de délivrer aux requérants une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeurs d’asile :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais " ; que si, pour le cas où l’ensemble des conditions posées par l’article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut suspendre l’exécution d’une décision administrative et prescrire par la même décision juridictionnelle que l’auteur de la décision prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, de telles mesures doivent, ainsi que l’impose l’article L. 511-1 du même code, présenter un " caractère provisoire " ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 741-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Lorsqu’un étranger, se trouvant à l’intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l’asile, l’examen de sa demande d’admission au séjour relève de l’autorité administrative compétente " ; qu’aux termes de l’article L. 742-1 du même code : " Lorsqu’il est admis à séjourner en France en application des dispositions du chapitre Ier du présent titre, l’étranger qui demande à bénéficier de l’asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. L’office ne peut être saisi qu’après la remise de ce document au demandeur. Après le dépôt de sa demande d’asile, le demandeur se voit délivrer un nouveau document provisoire de séjour " ; que l’article R. 742-1 du même code prévoit que, après dépôt de son dossier à la préfecture, " Dans un délai de quinze jours (.) l’étranger est mis en possession d’une autorisation provisoire de séjour portant la mention " en vue de démarches auprès de l’OFPRA ", d’une validité d’un mois, pour autant qu’il ne soit pas fait application du 1° au 4° de l’article L. 741-4 (.) " ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’un étranger souhaitant solliciter l’asile entre dans le champ de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il appartient au préfet de se prononcer sur son admission au séjour et de lui délivrer, le cas échéant, une autorisation provisoire de séjour portant la mention " en vue de démarches auprès de l’OFPRA " ; qu’en enjoignant au préfet des Pyrénées-Orientales de délivrer à M. et Mme I. une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d’asile, le juge des référés a ordonné une mesure qui aurait les mêmes effets que la mesure d’exécution que l’administration serait tenue de prendre à la suite de l’annulation par le juge du fond des décisions refusant l’admission des intéressés sur le territoire français ; qu’il a ainsi méconnu l’étendue des pouvoirs qu’il tient des articles L. 511-1 et L. 521-1 du code de justice administrative ; que son ordonnance doit, dès lors, être annulée en tant qu’elle prononce une telle mesure d’injonction ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, sur ce point, l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant que la suspension des décisions contestées implique seulement que le préfet procède à un réexamen de la demande d’admission au séjour dont il a été saisi ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que M. et Mme I. ont obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Alain-François Roger-Anne Sevaux, avocat de M. et Mme I., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L’article 2 de l’ordonnance du 8 juin 2007 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder au réexamen des demandes d’admission en vue de l’asile présentées par M. et Mme I., au vu des motifs de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE L’INTERIEUR, DE L’OUTRE MER ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES est rejeté.
Article 4 : L’Etat versera à la SCP Alain-François Roger-Anne Sevaux, avocat de M. et Mme I., la somme de 2 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Robert I., à Mme Natalia I. et au MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE.