CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 257012
PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS
c/ M. T.
M. Musitelli
Rapporteur
Mme Roul
Commissaire du gouvernement
Séance du 26 mars 2004
Lecture du 7 avril 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 20 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS ; le préfet demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 17 avril 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 14 avril 2003 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Iosif T. ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. T. devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le décret n° 82-442 du 27 mai 1982 ;
Vu le décret n° 95-304 portant publication de la convention d’application de l’accord de Schengen du 19 juin 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Musitelli, Conseiller d’Etat,
les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 : "1. Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué. (.) 3. La suppression du contrôle des personnes aux frontières intérieures ne porte atteinte ni aux dispositions de l’article 22, ni à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes en vertu de la législation de chaque Partie contractante sur l’ensemble de son territoire, ni aux obligations de détention, de port et de présentation de titres et documents prévues par sa législation" ; qu’aux termes de son article 5 : "1. Pour un séjour n’excédant pas trois mois, l’entrée sur les territoires des Parties contractantes peut être accordée à l’étranger qui remplit les conditions ci-après : (.) c) Présenter, le cas échéant, les documents justifiant de l’objet et des conditions du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un Etat tiers dans lequel son admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens." ; qu’aux termes de son article 20 : "1. Les étrangers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Parties contractantes pendant une durée maximale de trois mois au cours d’une période de six mois à compter de la date de première entrée, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a, c, d et e" ; qu’enfin, aux termes de son article 23 : "1. L’étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de court séjour applicables sur le territoire de l’une des Parties contractantes doit en principe quitter sans délai les territoires des Parties contractantes (.) 3. Lorsque le départ volontaire d’un tel étranger n’est pas effectué ou lorsqu’il peut être présumé que ce départ n’aura pas lieu (.), l’étranger doit être éloigné du territoire de la Partie contractante sur lequel il a été appréhendé, dans les conditions prévues par le droit national de cette Partie contractante" ;
Considérant qu’aux termes de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : "I. - Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ; (.) II. - Les dispositions du 1° du I sont applicables à l’étranger qui n’est pas ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne : a) S’il ne remplit pas les conditions d’entrée prévues à l’article 5 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; (.) b) Ou si, en provenance directe du territoire d’un Etat partie à cette convention, il ne peut justifier être entré sur le territoire métropolitain en se conformant aux dispositions des articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, 21, paragraphe 1 ou 2, de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 (.). III. Les dispositions du 2° du I sont applicables à l’étranger qui n’est pas ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne si, en provenance directe du territoire d’un des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, il s’est maintenu sur le territoire métropolitain sans se conformer aux dispositions des articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, 21, paragraphe 1 ou 2, de ladite convention" ; qu’aux termes des dispositions de l’article 2 du décret du 27 mai 1982 pris pour l’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "En fonction de ses déclarations sur les motifs de son voyage, l’étranger doit présenter selon les cas : 1. Pour un séjour touristique, tout document de nature à établir l’objet et les conditions de ce séjour, et notamment sa durée ; (.) 3. Pour une visite privée, une attestation d’accueil signée par la personne qui se propose d’assurer le logement de l’étranger. Cette attestation d’accueil constitue le document prévu par les accords internationaux auxquels la France est partie pour justifier des conditions de séjour dans le cas d’une visite familiale ou privée" ; et qu’aux termes de l’article 4 du même décret : "Les documents relatifs aux garanties de rapatriement doivent permettre à l’étranger qui pénètre en France d’assurer les frais afférents à son retour du lieu situé sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer, où il a l’intention de se rendre, jusqu’au pays de sa résidence habituelle" ;
Considérant en premier lieu qu’il résulte de la combinaison de ces stipulations et dispositions que peuvent faire l’objet d’une reconduite à la frontière, sur le fondement des dispositions précitées du b) du II de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, les étrangers non ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne, en provenance directe du territoire d’un Etat partie à la convention d’application de l’accord de Schengen, qui ne peuvent justifier être entrés sur le territoire métropolitain en se conformant aux exigences définies à l’article 5 de la convention, notamment celles du c) du paragraphe 1 dudit article relatives à la présentation des documents justificatifs de l’objet et des conditions de séjour ainsi qu’à la disposition de moyens de subsistance suffisants ; qu’il en va de même, sur le fondement des dispositions précitées du III de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, de ceux d’entre eux qui ne remplissent plus les conditions posées par ces stipulations ;
Considérant en second lieu que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, aucune des stipulations de la convention d’application de l’accord de Schengen ne prive les autorités de l’Etat où se trouve l’étranger de vérifier la régularité de la situation de celui-ci et de prendre une mesure de reconduite à la frontière à l’égard de celui qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de séjour prévues par la convention ; que les stipulations de la convention n’interdisent pas davantage au préfet de décider de reconduire à la frontière un étranger entré depuis moins de trois mois sur le territoire d’un Etat partie à la convention ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. T., de nationalité roumaine, est entré, par l’Autriche, le 26 mars 2003, dans l’espace couvert par la convention d’application de l’accord de Schengen, et qu’il s’est ensuite rendu sur le territoire français où il a été interpellé le 14 avril 2003 ; qu’alors que, selon ses dires, il était venu en France pour une visite privée, il est constant qu’il ne disposait, ni de l’attestation d’accueil prévue à l’article 2 du décret du 27 mai 1982, ni des garanties de rapatriement prévues à l’article 4 du même décret et qu’il ne disposait pas davantage de moyens de subsistance suffisants ; que M. T. se trouvait ainsi dans un cas où le préfet peut légalement faire application des dispositions de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ; qu’il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour annuler l’arrêté attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est fondé, en premier lieu, sur le fait que les stipulations conventionnelles précitées feraient obstacle à ce que les autorités nationales vérifient la régularité, au regard de ces stipulations, de la situation des étrangers en provenance d’un autre Etat partie à cette convention et, en second lieu, sur la circonstance que M. T. ne pouvait faire l’objet d’une reconduite à la frontière dès lors qu’il était entré depuis moins de trois mois sur le territoire d’un Etat partie à cette convention ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. T. devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
Considérant que l’arrêté attaqué a été signé par M. Pierret, secrétaire général de la préfecture, titulaire d’une délégation de signature consentie par le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS le 6 janvier 2003 et publiée au bulletin de la préfecture le 8 janvier 2003 ; qu’ainsi le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de la décision du 14 avril 2003 doit être écarté ;
Considérant que cette décision qui mentionne les textes en application desquels elle est prise et les motifs qui la fondent est suffisamment motivée ;
Considérant que si M. T., d’une part, invoque la violation des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, d’autre part, fait état, à l’égard de la décision fixant la Roumanie comme pays de destination, de risques personnels sérieux qu’il pourrait encourir à son retour dans ce pays, il ne produit aucun élément précis permettant d’apprécier le bien-fondé de ces moyens ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé sa décision du 14 avril 2003 ordonnant la reconduite à la frontière de M. T. ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 17 avril 2003 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. T. devant ce tribunal est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS, à M. Iosif T. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.