CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 214770
FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME
Mlle Verot, Rapporteur
Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement
Séance du 14 novembre 2001
Lecture du 14 décembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 novembre 1999 et 27 mars 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME, dont le siège est 5, rue de Rome à Rosny (93561 cedex) ; la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt en date du 21 septembre 1999 de la cour administrative d’appel de Paris rejetant sa requête tendant à l’annulation du jugement du 9 décembre 1997 du tribunal administratif de Paris annulant, à la demande de M. Patrick N, la décision du 24 septembre 1996 par laquelle le conseil fédéral d’appel de cette fédération a suspendu M. N pendant une durée de trois ans ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 91-274 du 13 mars 1991 portant publication de la convention contre le dopage, signée à Strasbourg le 16 novembre 1989 ;
Vu le décret n° 98-328 du 24 avril 1998 portant publication de l’amendement à l’annexe de la convention contre le dopage du 16 novembre 1989 ;
Vu la loi n° 89-432 du 28 juin 1989 ;
Vu le décret n° 92-381 du 1er avril 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Verot, Auditeur,
les observations de Me Odent, avocat de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. N,
les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une décision en date du 24 septembre 1996, le conseil fédéral d’appel de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME a prononcé à l’encontre de M. Patrick N, médecin licencié de la fédération, la sanction de suspension d’une durée de trois ans, pour avoir prescrit à des coureurs cyclistes, par deux ordonnances des 26 octobre et 14 novembre 1995, des médicaments contenant des substances anabolisantes ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du 1er alinéa du I de l’article 1er de la loi du 28 juin 1989 relative à la prévention et à la répression de l’usage des produits dopants à l’occasion des compétitions et manifestations sportives, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : "Il est interdit à toute personne d’utiliser, au cours des compétitions et manifestations sportives organisées ou agréées par les fédérations sportives ou en vue d’y participer, les substances et procédés qui, de nature à modifier artificiellement les capacités ou à masquer l’emploi de substances ou de procédés ayant cette propriété, sont déterminés par arrêté conjoint des ministres chargés des sports et de la santé" ; qu’aux termes du 2ème alinéa du I de l’article 1er de la loi : "Dans les mêmes conditions, il est interdit, sans préjudice du principe de liberté de prescription à des fins thérapeutiques, d’administrer les substances définies au précédent alinéa ou d’appliquer les procédés visés à cet alinéa, d’inciter à l’usage de telles substances ou de tels procédés ou de faciliter leur utilisation" ;
Considérant qu’en vertu des dispositions combinées des articles 7 et 11 du décret n° 92-3 81 du 1er avril 1992 relatif aux dispositions que les fédérations chargées d’une mission de service public doivent adopter dans leur règlement en application du deuxième alinéa de l’article 16 de la loi du 28 juin 1989, lorsqu’une affaire concerne une infraction aux dispositions du premier alinéa du I de l’article 1er de la loi du 28 juin 1989, relatives à l’usage de produits dopants au cours de manifestations ou de compétitions sportives, une commission médicale d’interprétation instituée au sein de la fédération est chargée de donner son avis sur les justifications thérapeutiques invoquées par les personnes poursuivies ; qu’il résulte de ces dispositions que l’avis de la commission médicale d’interprétation ainsi instituée n’est pas requis dans le cas où une personne fait l’objet de poursuites disciplinaires pour des faits constitutifs d’infractions aux dispositions du deuxième alinéa du I de l’article 1er de la loi du 28 juin 1989, relatives à l’administration ou à l’incitation à l’usage de produits dopants ; qu’ainsi, en jugeant que la sanction infligée à M. N, poursuivi pour avoir prescrit des produits dopants, avait été prise selon une procédure irrégulière, au motif que l’avis de la commission médicale d’interprétation n’avait pas été préalablement recueilli, la cour administrative d’appel de Paris a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME est fondée à en demander l’annulation ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, la sanction prise à l’encontre de M. N n’était pas irrégulière faute de saisine préalable de la commission d’interprétation médicale ; qu’il en résulte que la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris s’est fondé sur cette irrégularité de procédure pour annuler la décision du 24 septembre 1996 du conseil fédéral d’appel de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME ;
Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. N devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu’aux termes de l’article 6 du décret du 1er avril 1992 susmentionné : "Le règlement institue un organisme disciplinaire de première instance et un organisme disciplinaire d’appel investis du pouvoir disciplinaire à l’égard des membres licenciés de la fédération, qui (..) ont contrevenu aux dispositions des premier et deuxième alinéas du I de l’article 1er de la loi du 28 juin 1989 (..)" ; qu’aux termes de l’article 8 du même décret : "Le règlement prévoit que les membres des organismes institués en application des articles 6 et 7 ci-dessus ne peuvent prendre part aux délibérations lorsqu’ils ont un intérêt à l’affaire et qu’à l’occasion d’une même affaire, nul ne peut siéger dans plus d’un d’entre eux" ;
Considérant qu’en application de ces dispositions, l’article 90 du règlement intérieur de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME donne compétence à la commission nationale de discipline pour "connaître de toute poursuite disciplinaire engagée contre les contrevenants aux lois et règlements relatifs à la répression de l’usage des produits dopants", et prévoit que les décisions prises par la commission nationale de discipline sont susceptibles d’appel devant le conseil fédéral d’appel ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le président de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME a saisi directement le conseil fédéral d’appel des poursuites disciplinaires engagées, le 9 juillet 1996, à l’encontre de M. N ; que la circonstance que M. N était membre de la commission nationale de discipline n’était pas de nature, en tout état de cause, à justifier le désaisissement de cette commission en première instance, dès lors que M. N ne pouvait pas prendre part aux délibérations de cette commission concernant son cas, en application de l’article 8 du décret du 1er avril 1992 précité ; que si, en vertu du second alinéa de l’article 92 du règlement intérieur de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME, le conseil fédéral d’appel peut être "saisi de toute affaire intéressant la vie interne de la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME", le conseil fédéral d’appel ne pouvait être saisi directement de poursuites disciplinaires engagées contre un membre de la fédération pour des faits d’usage, d’administration ou d’incitation à l’usage de produits dopants, sans méconnaître le droit d’appel reconnu aux personnes poursuivies par l’article 6 du décret du 1er juillet 1992 précité ; que, par suite, la décision du 24 septembre 1996 par laquelle le conseil fédéral d’appel a statué directement sur les poursuites engagées contre M. N, a été prise selon une procédure irrégulière ;
Considérant qu’il suit de là que la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME n’est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 septembre 1996 de son conseil fédéral d’appel ;
Sur les conclusions de M. N tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME à verser à M. N. la somme qu’il demande au titre des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés tant devant le Conseil d’Etat qu’en appel ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 21 septembre 1999 est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant la cour administrative d’appel de Paris par la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. N tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION FRANÇAISE DE CYCLISME, à M. Patrick N et au ministre de la jeunesse et des sports.