CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 261714
PRESIDENTE DE L’ASSEMBLEE DE LA POLYNESIE FRANCAISE
Ordonnance du 25 novembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE JUGE DES REFERES
Vu la requête, enregistrée le 12 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la présidente de l’assemblée de la Polynésie française, dont le siège est BP 28 à Papeete (98700), et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) annule l’ordonnance du 1er novembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Papeete a, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint à la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française d’assurer, à compter du lundi 3 novembre et pour toute la durée de la session budgétaire, à Mme Henriette K., membre de l’assemblée territoriale, le bénéfice d’une " assistante-auxiliaire de vie " ;
2°) rejette la demande présentée par Mme Henriette K. devant le juge des référés du tribunal administratif de Papeete ;
elle soutient que l’ordonnance attaquée est entachée d’un défaut de motivation s’agissant de la condition d’urgence ; que les conclusions de Mme K. sont irrecevables ; qu’en effet, elles auraient des conséquences identiques à celles résultant de l’exécution d’un jugement annulant le refus de recruter une auxiliaire de vie ; que, de surcroît, Mme K. a omis de saisir le juge de la légalité dans le délai requis ; que le juge des référés a commis une erreur dans la qualification juridique des faits en estimant l’urgence caractérisée alors que la situation était imputable au comportement de la requérante ; qu’il a commis une erreur de droit en faisant primer la liberté d’expression de Mme K. sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales ; qu’il a entaché son ordonnance d’erreurs dans la qualification juridique des faits en considérant d’une part, que le refus d’accorder le concours d’une auxiliaire de vie, gracieusement et alors qu’aucun texte ne l’impose ni même ne le permet, à une conseillère non-voyante, constitue une atteinte à sa liberté d’expression et d’autre part, que cette atteinte est manifestement illégale ; qu’en tout état de cause, le préjudice dont se prévaut Mme K. n’est ni direct ni personnel puisque tout groupement politique est concerné ; que le moyen soulevé par Mme K. d’une atteinte au principe d’égalité n’est pas fondé ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2003, présenté pour Mme K. ; il tend au rejet de la requête ; Mme K. demande en outre au juge des référés du Conseil d’Etat de condamner le territoire de la Polynésie française à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que l’ordonnance attaquée est suffisamment motivée s’agissant de la condition d’urgence ; que les conclusions de Mme K., qui tendent au recrutement provisoire, pour la durée de la session en cours, d’une auxiliaire de vie, sont recevables ; que le moyen tiré de ce que Mme K. a omis de saisir le juge de la légalité dans le délai requis n’est pas fondé, dès lors que cette saisine n’est pas obligatoire dans le cadre du référé-liberté et que la décision litigieuse n’indique pas les voies et délais de recours ; qu’au fond, l’ordonnance litigieuse, qui concerne uniquement l’administration interne de l’assemblée territoriale, ne méconnaît pas la libre administration des collectivités territoriales ; que la présidente de l’assemblée, en refusant d’accorder une auxiliaire de vie à une conseillère non-voyante, alors que l’assemblée ne dispose d’aucun équipement adapté, a méconnu le principe constitutionnel de l’égalité d’accès aux emplois publics et porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression d’une élue ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 novembre 2003, présenté pour la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française ; elle reprend les mêmes conclusions et les mêmes moyens ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française et d’autre part, Mme Henriette K. ;
Vu le procès verbal de l’audience publique du jeudi 20 novembre 2003 à 15 heures à laquelle ont été entendus :
Me Blondel, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française ;
Me Farge, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme Henriette K. ;
Mme Henriette K. ;
Vu, enregistrés les 21 et 24 novembre 2003, les nouveaux mémoires présentés pour la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française ; il tendent aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
Vu, enregistré le 25 novembre 2003, le nouveau mémoire présenté pour Mme K. ; il tend aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes moyens ; Mme K. soutient en outre que les principes constitutionnels, les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la loi du 27 janvier 2002 imposent à l’assemblée territoriale de prendre les mesures nécessaires pour pallier les conséquences de son handicap ; que la loi du 27 février 2002 permet la prise en charge des dépenses engagées à ce titre ;
Vu, enregistré le 25 novembre 2003, le nouveau mémoire présenté pour la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française, qui tend aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; la présidente de l’assemblée territoriale soutient en outre que la carte territoriale d’invalidité, prévue par une délibération de l’assemblée, permet de disposer pour les déplacements de l’aide d’une tierce personne ; qu’il n’appartient pas à l’assemblée territoriale de mettre un " auxiliaire de vie " à la disposition d’un élu handicapé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d’autonomie de la Polynésie française ;
Vu la loi n° 96-313 du 12 avril 1996 complétant le statut d’autonomie de la Polynésie française ;
Vu la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public... aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’après avoir prévu qu’une " auxiliaire de vie " serait, à compter du 10 avril 2003, mise à la disposition de Mme K., conseiller à l’assemblée territoriale de la Polynésie française, pour aider cette élue, atteinte de cécité, dans l’exercice de son mandat, la présidente de l’assemblée a décidé, le 5 août 2003, de surseoir à l’application de cette mesure ;
Considérant qu’aucune disposition n’impose à l’assemblée territoriale de la Polynésie française l’obligation de mettre à la disposition de ses élus qui souffrent d’un handicap une personne destinée à les aider à exercer leur mandat ; qu’en particulier une telle obligation ne résulte pas, contrairement à ce que soutient Mme K., des dispositions de l’article 53 de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui prévoient de manière générale et, au surplus, sans mention d’application outre-mer, que " la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap " ; que, dans ces conditions, et alors qu’il n’est pas contesté qu’aucune atteinte n’a été portée à la liberté d’expression de Mme K., la décision par laquelle la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française a sursis à l’application de la mesure gracieuse envisagée pour aider l’intéressée dans l’exercice de son mandat ne peut, quels qu’en soient les motifs, être regardée comme constituant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu’il en résulte que les conditions à l’application des pouvoirs que l’article L. 521-2 du code de justice administrative confère au juge des référés ne sont pas remplies ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par Mme K. devant le juge des référés du tribunal administratif de Papeete, y compris en ce qu’elle tendait à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées par Mme K. devant le juge des référés du Conseil d’Etat tendant à l’application de cet article doivent être rejetées par voie de conséquence ;
O R D O N N E :
Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Papeete en date du 1er novembre 2003 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme Henriette K. devant le juge des référés du tribunal administratif de Papeete ainsi que ses conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d’Etat et tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la présidente de l’assemblée territoriale de la Polynésie française, à Mme Henriette K. et au secrétaire d’Etat à l’outre-mer.