CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 234427
M. P.
Mlle Vialettes
Rapporteur
M. Guyomar
Commissaire du gouvernement
Séance du 23 avril 2003
Lecture du 14 mai 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 4 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Gérard P. ; M. P. demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule la décision, en date du 30 mars 2001, par laquelle la chambre nationale de discipline des commissaires aux comptes, sur recours du commissaire du Gouvernement auprès de la chambre régionale de discipline des commissaires aux comptes de Lyon, lui a infligé la sanction de suspension pendant une durée d’un an assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité pendant 10 ans aux organismes mentionnés au deuxième alinéa de l’article 89 du décret du 12 août 1969 ;
2°) annule la décision, en date du 21 février 2000, de la chambre régionale de discipline ;
3°) condamne la chambre nationale de discipline à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu le décret n° 69-810 du 12 août 1969 relatif à l’organisation et au statut professionnel des commissaires aux comptes de sociétés ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. P.,
les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. P. demande l’annulation de la décision par laquelle la chambre nationale de discipline des commissaires aux comptes, statuant sur le recours du commissaire du Gouvernement auprès de la chambre régionale de discipline des commissaires aux comptes de Lyon, lui a infligé la sanction de la suspension de son activité professionnelle pendant une durée d’un an, assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité pendant dix ans aux organismes mentionnés au deuxième alinéa de l’article 89 du décret du 12 août 1969 ;
Sur la régularité de la décision attaquée :
Considérant que si M. P. soutient qu’il n’aurait pas eu communication des conclusions du commissaire du Gouvernement préalablement à l’audience, il ressort des pièces du dossier qu’il a eu accès, le 26 février 2001, à son dossier dans lequel figurait depuis le 25 janvier précédent, les conclusions écrites du commissaire du Gouvernement ; que, par suite, le moyen manque en fait ;
Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" ;
Considérant qu’il résulte de l’article 89 du décret du 12 août 1969 que la chambre nationale de discipline peut, au titre des sanctions qu’elle peut infliger aux commissaires aux comptes, prononcer la suspension pour une durée n’excédant pas cinq ans ou la radiation de la liste d’un membre de cette profession ; qu’ainsi, les décisions de cette instance sont susceptibles de porter atteinte au droit d’exercer la profession de commissaire aux comptes, lequel revêt le caractère d’un droit de caractère civil au sens des stipulations précitées de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il suit de là que lesdites stipulations sont applicables aux procédures disciplinaires diligentées à l’encontre des commissaires aux comptes ;
Considérant qu’il ressort à la fois des mentions de la décision attaquée et des précisions apportées par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conditions dans lesquelles s’est tenue l’audience, qui ne sont pas contestées par le requérant, que, contrairement à ce que soutient M. P., l’audience de la chambre nationale a été publique, conformément aux exigences précitées de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, enfin, que la décision attaquée est suffisamment motivée ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, que M. P. soutient que la chambre nationale de discipline a entaché sa décision d’une erreur de droit, en ne relevant pas d’office le moyen tiré de ce que la chambre régionale aurait siégé dans une composition méconnaissant le principe d’impartialité, rappelé à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du fait de la présence, à la procédure, d’un commissaire du Gouvernement qui avait eu antérieurement, lors de l’instance pénale relative aux mêmes faits, à prononcer des réquisitions contre lui ; que, toutefois, il résulte des dispositions combinées des articles 91, 92, 95, 100 et 101 du décret du 12 août 1969 que le commissaire du Gouvernement devant les instances disciplinaires des commissaires aux comptes, qui est un magistrat du parquet désigné par le garde des sceaux pour y exercer les fonctions de ministère public, a la qualité de partie de l’instance et n’est pas membre de la juridiction ; que, dès lors, le moyen tiré de l’erreur de droit qu’aurait commise la chambre nationale en ne relevant pas d’office le fait que la chambre régionale avait siégé en méconnaissance du principe d’impartialité, ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que la chambre nationale de discipline n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu’étaient établis les faits imputés à M. P., auquel il était reproché, d’une part, de ne pas avoir donné une information suffisante aux actionnaires des deux sociétés dont il était le commissaire aux comptes et, d’autre part, d’avoir dénoncé tardivement au procureur de la République les abus de biens sociaux dont il avait connaissance ; qu’elle n’a pas inexactement qualifié ces faits en jugeant qu’ils constituaient une faute disciplinaire et revêtaient le caractère d’un manquement à l’honneur professionnel exclu, par suite, du bénéfice de l’amnistie ;
Considérant, en dernier lieu, qu’en jugeant que la gravité de ces faits justifiait une suspension pour une durée d’un an, la chambre nationale s’est livrée à une appréciation souveraine qui, dès lors qu’elle est exempte de dénaturation, n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de cassation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. P. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision, en date du 30 mars 2001, par laquelle par laquelle la chambre nationale de discipline des commissaires aux comptes lui a infligé la sanction de la suspension de son activité professionnelle pendant une durée d’un an, assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité pendant 10 ans aux organismes mentionnés au deuxième alinéa de l’article 89 du décret du 12 août 1969 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la chambre nationale de discipline des commissaires aux comptes, qui n’est pas partie à l’instance, soit condamnée à verser à M. P. la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non-compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. P. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Gérard P., au garde des sceaux, ministre de la justice et à la compagnie nationale des commissaires aux comptes.