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Conseil d’Etat, 30 avril 2003, n° 245751, SARL "La Nuit Bleue" et autres

Homologation d’un avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sur la responsabilité d’un cabinet d’avocat.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 245751,245752,245753,245754

SARL "LA NUIT BLEUE" et autres

M. Aladjidi
Rapporteur

M. Olson
Commissaire du gouvernement

Séance du 19 mars 2003
Lecture du 30 avril 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°, sous le n° 245751, la requête, enregistrée le 30 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SARL "LA NUIT BLEUE", dont le siège est 10, rue Couverte à Montereau (77130), représentée par son gérant en exercice ; la SARL "LA NUIT BLEUE" demande au Conseil d’Etat :

1°) d’homologuer l’avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation du 11 octobre 2001 en tant que par cet avis, ledit conseil a estimé que la responsabilité de la SCP Guy Lesourd était engagé vis-à-vis d’elle ;

2°) de ne pas homologuer l’avis susmentionné en tant que, par cet avis, le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, a limité à la somme de 30 000 F, le préjudice subi par elle et susceptible d’être indemnisé ;

3°) de condamner la SCP Lesourd-Baudin à lui verser la somme de 168 609 euros en réparation du préjudice résultant de la faute que celle-ci a commise et la somme de 2 400 euros au titre des frais irrépétibles ;

Vu 2°, sous le n° 245752, la requête, enregistrée le 30 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mlle Christiane L. ; Mlle L. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’homologuer l’avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation du 11 octobre 2001 en tant que par cet avis, ledit conseil a estimé que la responsabilité de la SCP Guy Lesourd était engagé vis-à-vis d’elle ;

2°) de ne pas homologuer l’avis susmentionné en tant que, par cet avis, le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, a limité à la somme de 5 000 F, le préjudice subi par elle et susceptible d’être indemnisé ;

3°) de condamner la SCP Lesourd-Baudin à lui verser la somme de 621 828 F en réparation du préjudice résultant de la faute que celle-ci a commise ;

Vu 3°, sous le n° 245753, la requête, enregistrée le 30 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mme Ghislaine L. ; Mme L. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’homologuer l’avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation du 11 octobre 2001 en tant que par cet avis, ledit conseil a estimé que la responsabilité de la SCP Guy Lesourd était engagé vis-à-vis d’elle ;

2°) de ne pas homologuer l’avis susmentionné en tant que, par cet avis, le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, a limité à la somme de 5 000 F, le préjudice subi par elle et susceptible d’être indemnisé ;

3°) de condamner la SCP Lesourd-Baudin à lui verser la somme de 483 347 F en réparation du préjudice résultant de la faute que celle-ci a commise ;

Vu 4°, sous le n° 245754, la requête, enregistrée le 30 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Eric G., M. G. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’homologuer l’avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation du 11 octobre 2001 en tant que par cet avis, ledit conseil a estimé que la responsabilité de la SCP Guy Lesourd était engagé vis-à-vis de lui ;

2°) de ne pas homologuer l’avis susmentionné en tant que, par cet avis, le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, a limité à la somme de 5 000 F, le préjudice subi par lui et susceptible d’être indemnisé ;

3°) de condamner la SCP Lesourd-Baudin à lui verser la somme de 128 936 F en réparation du préjudice résultant de la faute que celle-ci a commise ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu l’ordonnance du 10 septembre 1817 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de Me Rouvière, avocat de la SARL "LA NUIT BLEUE" et autres et de la SCP Roger, Sevaux, avocat de la SCP Lesourd-Baudin,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 relative aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, dans sa rédaction, applicable en l’espèce, issue du décret du 21 août 1927, le conseil de l’ordre "prononce définitivement, lorsqu’il s’agit de police et de discipline intérieure ; il émet seulement un avis dans tous les autres cas./ Cet avis est soumis à l’homologation du Conseil d’Etat statuant au contentieux quand les faits ont rapport aux fonctions d’avocat aux conseils (...)" ;

Considérant que la SARL "LA NUIT BLEUE", sous le n° 245751, Mlle Christiane L., sous le n° 245752, Mme Ghislaine L., sous le n° 245753 et M. Eric G., sous le n° 245754, demandent, par application des dispositions précitées de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, que l’avis du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation en date du 11 octobre 2001 soit homologué en tant que, par cet avis, le conseil, saisi de leur plainte mettant en cause la responsabilité de la société civile professionnelle Guy Lesourd, a estimé que celle-ci est engagée à raison de la perte pour eux d’une chance d’obtenir réparation des chefs de préjudice que leur a causés la fermeture temporaire du restaurant-grill situé au premier étage de leur établissement, illégalement prononcée par l’arrêté du 6 janvier 1987 du maire de Montereau (Yonne) ; qu’ils demandent en revanche que cet avis ne soit pas homologué en tant que le conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation a limité à 30 000 F pour la SARL "LA NUIT BLEUE" et à 5 000 F chacun pour Mlle Christiane L., Mme Ghislaine L. et M. Eric G. l’évaluation des préjudices subis ; qu’il y a lieu de joindre ces requêtes, qui présentent à juger des questions semblables, pour qu’il y soit statué par une seule et même décision ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la SCP Guy Lesourd à la requête de la SARL "LA NUIT BLEUE" ;

Sur la responsabilité de la SCP Guy Lesourd :

Considérant que, dès lors qu’en première instance, il avait été jugé que le préjudice invoqué par les requérants n’était pas la conséquence directe et certaine de la fermeture temporaire illégale de leur établissement, il incombait à la SCP Guy Lesourd, leur avocat devant le Conseil d’Etat, de leur demander de lui fournir les éléments susceptibles d’établir l’étendue de leur préjudice et son imputabilité à la fermeture susmentionnée ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la SCP Guy Lesourd, contrairement à ce qu’elle soutient, se soit acquittée de cette obligation ; qu’ainsi elle a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard des consorts L.-G. ; que, toutefois, les requérants ne sont fondés à demander réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de cette faute que dans la mesure où celle-ci a entraîné pour eux la perte d’une chance sérieuse d’obtenir réparation des chefs de préjudice directement causés par la fermeture temporaire illégale de leur établissement ;

Sur les chefs de préjudice liés à la cessation définitive d’exploitation :

Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que, compte-tenu de la configuration des lieux, la fermeture du grill situé au premier étage de l’établissement impliquait celle du rez-de-chaussée où se trouvait un bar à cocktails ; qu’il n’est pas établi, en outre, que cette fermeture prononcée pour des raisons de sécurité ait pu entraîner, après son abrogation, des pertes de clientèle ; qu’enfin, cette fermeture partielle et temporaire n’était pas susceptible, alors même que les requérants devaient faire face à de lourdes charges financières liées aux emprunts contractés, d’entraîner à elle seule la cessation définitive de l’exploitation de leur établissement ; qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation a estimé que la fermeture temporaire illégale de l’établissement "LA NUIT BLEUE" ne pouvait être regardée comme étant à l’origine ni de la vente de ce fonds de commerce, ni, par voie de conséquence, des moins-values liées à cette opération et du paiement anticipé de dettes qu’elle a entraîné, chiffrées respectivement à 462 000 F et 644 963 F par la société, ou de la perte de leur emploi par Mlle Christiane L., Mme Ghislaine L. et M. Eric G., entraînant, selon leurs dires, des préjudices de 621 828 F, 483 347 F et 128 936 F ;

Sur les chefs de préjudice liés à la fermeture temporaire et partielle :

Considérant qu’il est constant que l’arrêté du 6 janvier 1987 est resté en vigueur de la date de son édiction au 4 février 1987 ; qu’il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport établi le 6 décembre 1995 par l’expert comptable de la SARL "LA NUIT BLEUE" que celle-ci a été privée, durant la période susmentionnée, du chiffre d’affaires du grill situé au premier étage de l’établissement ; qu’en outre, les consorts L.-G. n’ont pas perçu leur salaire et ont subi, compte-tenu de l’incertitude quant à leur avenir, un trouble dans les conditions de leur existence ; que si les chefs de préjudice ayant résulté, d’une part pour la société, de la perte d’un mois de chiffre d’affaire diminué des salaires non versés, et d’autre part, pour ses associés des troubles dans les conditions de leur existence, doivent être regardés comme directement liés à la mesure litigieuse, tel n’est pas le cas du chef de préjudice ayant résulté des pertes de salaire, dès lors qu’il n’est pas contesté que ces dernières ont été le fait exclusif de l’employeur ; que le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation n’a pas fait une inexacte appréciation des chefs de préjudice directement causés par l’arrêté illégal du 6 janvier 1997 en les fixant à 30 000 F pour la SARL "LA NUIT BLEUE" et à 5 000 F pour chacun des consorts L.-G. ; qu’il a, ainsi, pu allouer aux intéressés lesdites sommes en réparation de la faute qui les a privés d’une chance sérieuse d’obtenir, devant le Conseil d’Etat, la condamnation de la commune de Montereau à les leur verser ;

Considérant qu’il résulte de ce tout qui précède que les faits et les moyens invoqués par les requérants ne sont pas de nature à faire obstacle à l’homologation de l’avis susmentionné du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

Sur les conclusions de la SARL "LA NUIT BLEUE" tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la SCP Lesourd-Baudin à verser à la SARL "LA NUIT BLEUE" la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’avis en date du 11 octobre 2001 du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation est homologué.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes de la SARL "LA NUIT BLEUE", de Mlle Christiane L., de Mme Ghislaine L. et de M. Eric G. est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL "LA NUIT BLEUE", à Mlle Christiane L., à Mme Ghislaine L., à M. Eric G., à la SCP Guy Lesourd-Baudin, au Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


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