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Conseil d’Etat, 15 février 2002, n° 238547, M. H.

Au nombre des libertés fondamentales au sens où les a entendues le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, figure le droit constitutionnel d’asile qui a pour corollaire non seulement la possiblité de demander la qualité de réfugié mais aussi celle de solliciter du ministre de l’intérieur, en vertu de l’article 13 de la loi susvisée du 25 juillet 1952, l’asile territorial.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 238547

M. H.

Mlle Landais, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Séance du 21 janvier 2002

Lecture du 15 février 2002

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1 ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre et 30 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M.Hadj H. ; M. H. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler sans renvoi l’ordonnance du 13 septembre 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Lille en tant qu’elle rejette sa demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu’il soit enjoint au préfet du Nord de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

2°) d’ordonner la suspension de la décision de refus d’enregistrement de sa demande d’asile territorial ;

3°) d’enjoindre au préfet du Nord d’instruire la demande d’asile et de délivrer le récépissé de la demande prévu par le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 ;

4°) de condamner l’Etat à verser à son avocat la somme de 2 400 euros au titre des dispositions combinées de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 ;

Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,

- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. H.,

- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. H. demande l’annulation de l’ordonnance du 13 septembre 2001 en tant que, par cette ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, rejeté sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet du Nord d’enregistrer sa demande d’asile territorial et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l’attente de l’examen de sa demande d’asile territorial ;

Sur les conclusions présentées par le ministre de l’intérieur et tendant à ce que le Conseil d’Etat prononce un non-lieu :

Considérant que si, au cours de l’instance devant le Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur a enjoint au préfet du Nord d’enregistrer la demande d’asile territorial de M. H. dès que ce dernier se présenterait à nouveau à la préfecture, il n’en a pas informé M. H., qui n’a ainsi pas été mis en mesure d’obtenir cet enregistrement ; que, dès lors, la requête de M. H. n’est pas devenue sans objet ;

Sur les conclusions présentées par M. H. :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : "Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale" ; qu’aux termes de l’article L. 522-3 : "Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L.522-1" ;

Considérant que l’article 1er du décret susvisé du 23 juin 1998 relatif à l’asile territorial fait obligation aux services préfectoraux d’enregistrer sans délai la demande d’asile territorial qu’un étranger vient leur présenter, compte tenu des menaces pesant sur sa vie ou sa liberté ou des risques d’exposition à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine ; que le refus d’enregistrer, en violation de ces prescriptions, une demande d’asile territorial, qui fait obstacle à l’examen de cette dernière et prive donc l’étranger du droit d’être autorisé à demeurer sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande, porte par lui-même une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du demandeur pour que la condition d’urgence soit, sauf circonstances particulières, satisfaite ; que le ministre de l’intérieur n’invoque aucune circonstance particulière propre à la situation de M. H., qui était titulaire d’un visa en cours de validité lorsqu’il a tenté à plusieurs reprises de faire enregistrer sa demande d’asile territorial ; que, par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en estimant qu’eu égard à l’existence d’une procédure de recours à caractère suspensif à l’encontre de la décision de reconduite à la frontière dont l’intéressé pouvait faire l’objet, l’urgence ne justifiait pas que soit ordonnée la mesure sollicitée par M. H. ; que son ordonnance doit, par suite, être annulée, en tant qu’elle statue sur les conclusions présentées par M. H. tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

Considérant qu’il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. H. ;

Considérant qu’au nombre des libertés fondamentales au sens où les a entendues le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, figure le droit constitutionnel d’asile qui a pour corollaire non seulement la possiblité de demander la qualité de réfugié mais aussi celle de solliciter du ministre de l’intérieur, en vertu de l’article 13 de la loi susvisée du 25 juillet 1952, l’asile territorial ;

Considérant que le préfet auprès duquel est déposé le dossier de demande d’asile territorial est tenu, en application de l’article 1er du décret n° 98-503 du 23 juin 1998, d’enregistrer ce dossier ; que ce n’est qu’après cet enregistrement qu’il peut engager l’instruction de la demande soit dans les conditions du droit commun, en adressant une convocation à l’étranger pour qu’il soit procédé à son audition et en lui délivrant un récépissé valant, en vertu de l’article 4 du décret du 30 juin 1946, autorisation provisoire de séjour, soit, si l’étranger se trouve dans l’un des cas prévus à l’article 9 du décret du 23 juin 1998, selon la procédure d’urgence qui prévoit l’audition de l’intéressé sans délai et dispense le préfet de remettre la convocation et le récépissé mentionnés ci-dessus ; qu’en refusant d’enregistrer le dossier déposé par M. H. et donc d’engager l’instruction de sa demande d’asile territorial selon l’une ou l’autre procédure, l’autorité préfectorale a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que l’urgence, telle qu’elle a été rappelée plus haut, justifie qu’il soit enjoint au préfet du Nord d’enregistrer le dossier déposé par M. H. dès que ce dernier, qui devra en être informé par le préfet dans les 48 heures suivant la notification de la présente décision, se présentera dans les services de la préfecture ; qu’il n’y a pas lieu, en revanche, à ce stade, d’enjoindre au préfet de délivrer une autorisation provisoire de séjour dès lors que cette autorisation résultera nécessairement de la délivrance du récépissé si le préfet suit la procédure de droit commun ;

Sur les conclusions présentées par M. H. devant le Conseil d’Etat et tendant à l’application combinée des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. H. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions précitées ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. H., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de condamner ce dernier à payer à la SCP Parmentier, Didier la somme de 2 400 euros ;

Sur les conclusions présentées par M. H. devant le juge des référés de Eremjère instance et tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à payer à M. H. la somme de 762,25 euros (soit 5 000 F) au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 13 septembre 2001 est annulée en tant qu’elle statue sur les conclusions de M. H. tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet du Nord d’enregistrer sa demande d’asile territorial.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de procéder à l’enregistrement du dossier de demande d’asile territorial de M. H. dès que ce dernier, qui devra en être informé par le préfet dans les 48 heures suivant la notification de la présente décision, se présentera dans les services de la préfecture.

Artlcle 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. H. devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille est rejeté.

Article 4 : L’Etat versera à la SCP Parmentier, Didier la somme de 2 400 euros en application des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 5 : L’Etat versera à M. H. la somme de 762,25 euros (soit 5 000 F) au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Hadj H. et au ministre de l’intérieur.

 


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