TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BESANCON
N° 970044
M. Christian G. c/ Ville de Besançon
Mme CHAUVET, rapporteuse
M. AGNEL, Commissaire du Gouvernement
Audience du 29 novembre 2001
Lecture du 20 décembre 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Tribunal administratif de Besançon (1ère chambre),
Composé de M. THOMAS, Président, M. RAISSON et Mme CHAUVET, assesseurs
Assistés de M. NOBLET, Greffier
rend le jugement suivant :
• Le litige et la procédure :
Par une requête enregistrée le 16 janvier 1997, M. Christian G. demande au tribunal :
d’annuler la décision de poser une croix au sommet de la tour du palais de Granvelle,
d’ordonner l’enlèvement de cette croix.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience publique qui a eu lieu le 29 novembre 2001.
Le tribunal a examiné la requête, la décision attaquée ainsi que les mémoires et les pièces produits par les parties.
Il a entendu à l’audience publique :
le rapport de Mme CHAUVET, conseillère,
les observations de M. G, de Me DUFRAY, avocat de la commune de Besançon et de M. BRIGONNET, représentant le Département du Doubs,
et les conclusions de M. AGNEL, Commissaire du Gouvernement.
• La décision :
Vu la Constitution du 4 octobre 1958,
Vu le code de l’urbanisme,
Vu la loi du 9 décembre 1905, et notamment son article 28,
Vu la loi du 31 décembre 1913,
Vu le code de justice administrative ;
Sur la décision attaquée :
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que, dans le cadre des travaux de restauration des toitures de l’hôtel Granvelle à Besançon a été apposée, en décembre 1996, sur le dôme qui surmonte la tour principale, une croix ; que l’apposition de cette croix révèle nécessairement qu’a été prise, par la ville de Besançon, qui est propriétaire de l’immeuble, et qui, seule a la responsabilité de respecter, en ce qui concerne les bâtiments municipaux, les prescriptions de la loi du 9 décembre 1905, la décision de la poser ; qu’il résulte clairement des écritures de M. G., et notamment de son mémoire enregistré le 3 février 1997, combiné avec l’argumentation de sa requête introductive d’instance, que c’est bien cette décision de la ville que l’intéressé entend attaquer par la voie du recours en excès de pouvoir ; qu’en revanche, si M. G. a mentionné dans ses mémoires l’Etat et le Département du Doubs comme ayant eu des responsabilités dans la conception, la décision et le financement des travaux, et si le tribunal a cru devoir leur communiquer la requête, celle-ci ne peut être regardée comme dirigée contre aucune décision émanant du Département du Doubs et de l’Etat, dès lors que le département s’est contenté d’apporter aux travaux une contribution financière et que les services de l’Etat n’ont pris de décisions qu’en matière de monuments historiques et en matière d’urbanisme, décisions qui ne sanctionne pas la loi du 9 décembre 1905 ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que ni la délibération du conseil municipal de Besançon en date du 22 avril 1996, qui a eu pour seul objet d’autoriser le maire à signer la convention confiant à l’Etat la maîtrise d’ouvrage des travaux et décidant de la participation financière de la ville, ni l’autorisation de travaux délivrée le 15 mai 1995 par le Directeur Régional des Affaires Culturelles, qui ne sanctionne que le respect de la législation sur les monuments historiques et celui de la législation de l’urbanisme, n’ont pu révéler l’existence de la décision d’apposer une croix ; qu’en conséquence, la publicité qui a été légalement donnée à ces deux actes n’a pu faire courir le délai de recours contentieux contre la décision d’apposer la croix ; qu’à la date du 16 janvier 1997, date d’enregistrement de la requête, comme à la date du 3 février 1997, date à laquelle a été enregistré un mémoire de M. G. précisant la portée de ses conclusions et de ses moyens, le délai de recours contentieux n’était pas expiré ;
Considérant que, eu égard au caractère ostentatoire de la croix en cause, visible de plusieurs des voies principales et places qui structurent le centre ville de Besançon, et au coût de sa pose, M. G. tire de sa double qualité d’habitant de Besançon et de contribuable de la ville un intérêt suffisant pour agir contre la décision de l’apposer ;
Sur le bien-fondé de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances" et qu’aux termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions" ; qu’il résulte de ces dispositions combinées, d’une part, que l’apposition d’un emblème religieux sur un édifice public, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l’égard des cultes quels qu’ils soient, d’autre part, que si des signes cultuels peuvent être apposés ou élevés sur des musées ou à l’occasion d’expositions, cette pose d’emblèmes religieux est possible uniquement si la vocation du musée ou de l’objet de l’exposition sont eux-mêmes religieux ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la croix posée au sommet du palais de Granvelle correspond à la transposition directe et immédiate d’un objet cultuel ; qu’aucune étude historique fiable ne démontre avec certitude la présence d’une crois au sommet de ce bâtiment à une quelconque période de son histoire antérieure à la loi du 9 décembre 1905 ; qu’à supposer même qu’un tel emblème ait pu exister, il ne surmontait en tout état de cause que l’un des dômes successifs qui caractérisaient un clocher comtois, c’est-à-dire une architecture religieuse ; qu’enfin, aucun emblème religieux n’a couronné la tour entre la destruction du précédent dôme au XVIIIème siècle, et sa restitution en 1996 ; que si seule une volonté esthétique et historique est à l’origine de ce choix, la pose d’un tel objet cultuel à cet endroit donne désormais au bâtiment, dans son ensemble, l’aspect d’un édifice religieux ; qu’ainsi, l’apposition d’un tel objet au sommet du musée Granvelle, qui n’a aucune vocation religieuse, est contraire aux dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ; qu’il suit de là que la décision décidant la pose de cette croix doit être annulée ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ;
Considérant que la présente décision implique normalement que la ville de Besançon, en sa qualité de propriétaire du bâtiment, procède à l’enlèvement de la croix placée sur le dôme du palais Granvelle ; qu’il y a lieu, dès lors, pour le Tribunal d’enjoindre à la ville de Besançon de procéder à cet enlèvement dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ;
LE TRIBUNAL DECIDE :
Article 1er : La décision de poser une croix sur le sommet du palais Granvelle est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la ville de Besançon de procéder à l’enlèvement de cette croix dans un délai de six mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Christian G. et à la ville de Besançon.