CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 244138,244140
COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER
COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT
M. Derepas
Rapporteur
M. Austry
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 octobre 2002
Lecture du 22 novembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux,
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°, sous le n° 244138, la requête enregistrée le 15 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER, représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité à la mairie de Beaulieu-sur-Mer au 3, boulevard du Général Leclerc à Beaulieu-sur-Mer (06130) ; la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER demande au Conseil d’Etat
1°) d’annuler l’ordonnance du 7 février 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’arrêté du 10 décembre 2001 du préfet des Alpes-Maritimes créant la communauté d’agglomération de Nice-Côte d’Azur ;
2°) de suspendre l’exécution de cet arrêté ;
3°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du côde de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 244140, la requête enregistrée le 15 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT, représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité à la mairie au 21, avenue Denis Semeria à Saint-Jean-Cap-Ferrat (06230) ; la COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT demande au Conseil d’Etat
1°) d’annuler l’ordonnance du 7 février 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’arrêté du 10 décembre 2001 du préfet des Alpes-Maritimes créant la communauté d’agglomération de Nice-Côte d’Azur ;
2°) statuant au fond, de suspendre l’exécution de l’arrêté susmentionné ;
3°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Derepas, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER et de la COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT ;
les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER et la COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT demandent l’annulation de deux ordonnances en date du 7 février 2002 par lesquelles le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté du 10 décembre 2001 du préfet des Alpes-Maritimes créant la communauté d’agglomération de Nice Côte d’Azur ; que ces requêtes étant relatives à la suspension de l’exécution du même arrêté, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de l’ordonnance attaquée par la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER :
Considérant qu’il appartient au juge des référés qui rejette une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, d’analyser soit dans les visas, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle ; qu’il est constant que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a régulièrement analysé, dans les visas de son ordonnance, le moyen invoqué par la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER et tiré de ce que la répartition des sièges au conseil de communauté opérée par l’arrêté litigieux méconnaissait les dispositions de l’article L. 5216-3 du code général des collectivités territoriales ; que par suite, la circonstance qu’il n’ait pas de nouveau mentionné expressément ce moyen dans les motifs de son ordonnance, par lesquels il a jugé qu’il n’était fait état d’aucun moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, n’est pas de nature à entacher cette ordonnance d’irrégularité ;
Considérant qu’en analysant dans les motifs de l’ordonnance un moyen tiré "des vices de procédure tenant au défaut de consultation et d’information suffisante des conseils municipaux intéressés tant sur l’étendue des compétences transférées que sur la répartition des sièges au sein de la communauté d’agglomération", le juge des référés a entendu viser également le moyen soulevé par la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER et tiré de ce que le conseil municipal de Nice n’aurait pas été suffisamment informé des conséquences de la création de la communauté d’agglomération ;
Sur le bien fondé des ordonnances attaquées :
En ce qui concerne la consultation du conseil municipal de Nice :
Considérant qu’en jugeant que n’est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué le moyen tiré de ce que le conseil municipal de Nice aurait délibéré sur la création de la communauté d’agglomération sans disposer d’une information suffisante, le juge des référés a souverainement apprécié, sans les dénaturer, les pièces du dossier qui lui était soumis ;
En ce qui concerne l’application des dispositions du III de l’article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales :
Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions du 1, du II et du III de l’article L.5216-5 du code général des collectivités territoriales qu’une communauté d’agglomération exerce certaines compétences de façon exclusive et qu’elle est, dans d’autres domaines, au nombre desquels figurent la création et la gestion de zones d’aménagement concerté et de zones d’activité économiques, seulement compétente pour les actions et opérations reconnues d’intérêt communautaires ; qu’en vertu des mêmes dispositions, la reconnaissance de l’intérêt communautaire résulte d’une délibération du conseil de la communauté d’agglomération statuant à la majorité des deux tiers ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du III de l’article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté litigieux : "Le transfert de compétences entraîne de plein droit l’application à l’ensemble des biens, équipements, et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu’à l’ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l’article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l’article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L.1321-4 et L.1321-5./ Toutefois, lorsque l’établissement public de coopération intercommunale est compétent en matière de zones d’activité économique, les conditions financières et patrimoniales du transfert des biens immobiliers nécessaires à l’exercice de cette compétence sont décidées dans les conditions de majorité qualifiée requise au II. Il en va de même lorsque l’établissement public est compétent en matière de zones d’aménagement concerté. L’affectation des personnels est décidée dans les mêmes conditions./ L’établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert de compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes" ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que les transferts des biens relatifs aux compétences exclusives d’une communauté d’agglomération et aux compétences subordonnées à la reconnaissance d’un intérêt communautaire autres que les zones d’activité économique et les zones d’aménagement concerté interviennent de plein droit à la date de transfert des compétences, soit, respectivement, à la date de création de la communauté d’agglomération et à la date de reconnaissance de l’intérêt communautaire ; qu’en s’abstenant de définir les modalités selon lesquelles les communautés d’agglomération peuvent disposer des personnels nécessaires à l’exercice de ces compétences, le législateur a nécessairement entendu qu’elles se dotent de ces personnels par les voies de droit commun, c’est-à-dire soit par la création d’emplois soit par la mise à disposition d’agents par des communes membres, le cas échéant après la création de l’établissement ; qu’en revanche, les transferts de biens et de personnels relatifs aux zones d’activité économique et aux zones d’aménagement concerté reconnues d’intérêt communautaire sont décidés par les communes membres, dans les conditions de majorité requises pour la création de l’établissement, au plus tard à la date de reconnaissance de l’intérêt communautaire ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que le moyen tiré de ce que les communes membres auraient dû délibérer sur les transferts des personnels avant la création de la communauté d’agglomération n’est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ;
En ce qui concerne l’application de l’article L. 5216-3 du code général des collectivités territoriales :
Considérant que cet article dispose qu’à défaut d’accord amiable entre les communes membres d’une communauté d’agglomération, accord qui n’a pas été obtenu en l’occurrence, la répartition des sièges au conseil de la communauté est fixée "en fonction de la population des communes" ; qu’en jugeant que le moyen tiré de ce que la répartition des sièges au sein du conseil de la communauté d’agglomération de Nice-Côte d’Azur a été opéré en méconnaissance de ces dispositions n’est pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué, le juge des référés a souverainement apprécié, sans les dénaturer, les pièces du dossier qui lui était soumis ;
En ce qui concerne l’application des dispositions des articles L. 5216-5 et L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales
Considérant qu’aux termes de l’article L.5216-5 du code général des collectivités territoriales : "I- La communauté d’agglomération exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences suivantes : / 1 ° En matière de développement économique : création, aménagement, entretien et gestion de zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire qui sont d’intérêt communautaire ; actions de développement économique d’intérêt communautaire ; / 2° En matière d’aménagement de l’espace communautaire : schéma directeur et schéma de secteur ; création et réalisation de zones d’aménagement concerté d’intérêt communautaire ; organisation des transports urbains au sens du chapitre II du titre II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, sous réserve des dispositions de l’article 46 de cette loi ; / 3° En matière d’équilibre social de l’habitat : programme local de l’habitat ; politique du logement d’intérêt communautaire ; actions et aides financières en faveur du logement social d’intérêt communautaire ; réserves foncières pour la mise en oeuvre de la politique communautaire d’équilibre social de l’habitat : action, par des opérations d’intérêt communautaire, en faveur du logement des personnes défavorisées ; amélioration du parc immobilier bâti d’intérêt communautaire ; / 4° En matière de politique de la ville dans la communauté : dispositifs contractuels de développement urbain, de développement local et d’insertion économique et sociale d’intérêt communautaire ; dispositifs locaux, d’intérêt communautaire, de prévention de la délinquance./ II- La communauté d’agglomération doit en outre exercer au lieu et place des communes au moins trois compétences parmi les cinq suivantes : /1° Création ou aménagement et entretien de voirie d’intérêt communautaire ; création ou aménagement et gestion de parcs de stationnement d’intérêt communautaire ; /2° Assainissement ; /3° Eau ; /4° En matière de protection et de mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie : lutte contre la pollution de l’air, lutte contre les nuisances sonores, élimination et valorisation des déchets des ménages et déchets assimilés ou partie de cette compétence dans les conditions fixées par l’article L. 2224-13 ; /5° Construction, aménagement, entretien et gestion d’équipements culturels et sportifs d’intérêt communautaire./ Le choix de ces compétences est arrêté par décision des conseils municipaux des communes intéressées dans les conditions de majorité qualifiée requise pour la création" ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.5211-17 du code général des collectivités territoriales : "Les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale peuvent à tout moment transférer, en tout ou partie, à ce dernier, certaines de leurs compétences dont le transfert n’est pas prévu par la loi ou par la décision institutive ainsi que les biens, équipements ou services publics nécessaires à leur exercice. Ces transferts sont décidés par délibérations concordantes de l’organe délibérant et des conseils municipaux se prononçant dans les conditions de majorité requises pour la création de l’établissement public de coopération intercommunale. Le conseil municipal de chaque commune membre dispose d’un délai de trois mois, à compter de la notification au maire de la commune de la délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale, pour se prononcer sur les transferts proposés. A défaut de délibération dans ce délai, sa décision est réputée favorable. Le transfert de compétences est prononcé par arrêté du ou des représentants de l’Etat dans le ou les départements intéressés (...)" ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le champ des compétences dont le représentant de l’Etat opère le transfert lors de la création d’une communauté d’agglomération, dans les conditions de majorité requises pour cette création, excède celui prévu par les dispositions précitées de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales ; que par suite, la commune requérante n’est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait entaché son ordonnance d’une erreur de droit en s’abstenant de soulever d’office le moyen tiré de ce que le transfert par le préfet des Alpes-Maritimes de compétences "supplémentaires" à celles prévues par la loi ne pouvait intervenir que sur le fondement de l’article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales ;
En ce qui concerne l’application des dispositions de l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 :
Considérant qu’aux termes de l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée : "Les comités techniques paritaires sont consultés pour avis sur les questions relatives : / 1 ° A l’organisation des administrations intéressées ; / 2° Aux conditions générales de fonctionnement de ces administrations (...)" ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les transferts de personnels au profit d’une communauté d’agglomération résultent de décisions distinctes de l’acte de création et qui peuvent lui être postérieures ; que dès lors, cet acte n’a pas en lui-même à être soumis aux comités techniques paritaires des communes membres ; que par suite, en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 n’est pas de nature à entraîner la suspension de l’arrêté litigieux, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requêtes des COMMUNES DE BEAULIEU-SUR-MER et de SAINT-JEAN-CAP-FERRAT doivent être rejetées ;
Sur les dispositions tendant à l’application de l’article L. 761 du code de justice administrative ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer aux communes requérantes les sommes qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes des COMMUNES DE BEAULIEU-SUR-MER et SAINT-JEAN-CAP-FERRAT sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BEAULIEU-SUR-MER, à la COMMUNE DE SAINT-JEAN-CAP-FERRAT, au préfet des Alpes-Maritimes, à la Communauté d’agglomération de Nice-Côte d’Azur et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.