CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 303863
M. H.
M. Damien Botteghi
Rapporteur
M. Terry Olson
Commissaire du gouvernement
Séance du 4 février 2008
Lecture du 15 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 mars et 3 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Stéphane H. ; M. H. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 28 février 2007 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté sa requête tendant d’une part à l’annulation de l’ordonnance du 21 septembre 2006 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles en tant qu’elle a rejeté sa demande de condamnation de l’Etablissement français du sang à lui verser une provision de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant de sa contamination par le virus de l’hépatite C et d’autre part à la réformation de cette ordonnance en tant qu’elle a défini trop largement les missions de l’expert qu’elle a désigné ;
2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etablissement français du sang et de la société Azur Assurances IARD la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 52-854 du 21 janvier 1952 ;
Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Damien Botteghi, Auditeur,
les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. H. et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’Etablissement français du sang,
les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par ordonnance du 21 septembre 2006, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a, à la demande de M. H., ordonné une expertise afin d’établir les causes et conséquences de la contamination de celui-ci par le virus de l’hépatite C que l’intéressé impute aux produits dérivés du sang qui lui ont été administrés à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart entre 1973 et 1984 pour traiter son hémophilie, mais a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l’Etablissement français du sang au versement d’une provision ; que, demandant la réformation de l’ordonnance sur le premier point et son annulation sur le second, M. H. a formé un appel qui a été rejeté par une ordonnance du 28 février 2007 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles, contre laquelle il se pourvoit en cassation ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle statue sur la demande de provision :
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie " ;
Considérant qu’aux termes de l’article 15 de l’ordonnance du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine : " Les demandes tendant à l’indemnisation des dommages résultant de la fourniture de produits sanguins labiles ou de médicaments dérivés du sang élaborés (.) par des organismes dont les droits et obligations ont été transférés à l’Etablissement français du sang en vertu d’une convention conclue en application de l’article 18 de la loi du 1er juillet 1998 (.) ou dans les conditions fixées au I de l’article 60 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 (.) relèvent de la compétence des juridictions administratives quelle que soit la date à laquelle est intervenu le fait générateur des dommages dont il est demandé réparation. Les juridictions judiciaires saisies antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance de demandes pour lesquelles elles étaient compétentes le demeurent après cette entrée en vigueur. " ;
Considérant que les établissements qui élaborent les médicaments ou produits dérivés du sang sont responsables, même en l’absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité de ces médicaments ou produits ;
Considérant que, faisant application des dispositions de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles a jugé qu’il était établi avec un degré suffisant de vraisemblance que la contamination de M. H. par le virus de l’hépatite C avait pour origine les médicaments dérivés du sang qui lui avaient été injectés entre 1973 et 1984 pour traiter son hémophilie ; qu’il a toutefois refusé de condamner l’Etablissement français du sang au versement d’une provision au motif qu’il n’était pas établi que ces médicaments avaient été fournis par un établissement aux droits et obligations duquel l’Etablissement français du sang était substitué ;
Considérant que les droits et obligations des huit " centres de fractionnement " qui, avant l’année 1994, élaboraient à partir de produits sanguins stables les médicaments dérivés du sang administrés à titre curatif ou préventif aux hémophiles, ont été, en vertu des dispositions des articles 18 de la loi du 1er juillet 1998 et 60 de la loi du 30 décembre 2000, transférés à l’Etablissement français du sang ; que dès lors en se fondant, pour confirmer le rejet de la demande de provision présentée par M. H., sur le motif qu’il n’était pas établi que les droits et obligations des établissements responsables de la mauvaise qualité de ces produits ont été transférés à l’Etablissement français du sang et que, par suite, l’obligation de ce dernier de réparer les conséquences dommageables de la contamination de M. H. était sérieusement contestable, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles a entaché son ordonnance d’erreur de droit ; que M. H. est donc fondé à en demander l’annulation en tant qu’elle a confirmé le rejet de sa demande de provision ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, dans la mesure de la cassation prononcée, l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant que l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dispose que : " En cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à l’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injonction de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à décision irrévocable. " ;
Considérant que, pour l’application de ces dispositions, il appartient à la victime d’une contamination, non pas seulement de faire état d’une éventualité selon laquelle cette contamination provient d’une transfusion, mais d’apporter un faisceau d’éléments conférant à cette hypothèse un degré suffisamment élevé de vraisemblance ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que les circonstances de l’espèce permettent de présumer que la contamination de M. H. par le virus de l’hépatite C, constatée en 1992, a pour origine les nombreuses injections de produits dérivés du sang qu’il a reçues pour le traitement de son hémophilie entre 1973 et 1984 ; que, d’ailleurs, sa contamination pendant la même période par le virus de l’immuno-déficience humaine a été reconnue imputable à ces injections par le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles ; que l’Etablissement français du sang, qui ne conteste pas sérieusement que la contamination par le virus de l’hépatite C est imputable aux injections, n’apporte pas la preuve contraire qui lui incombe ;
Considérant qu’il résulte du motif de cassation que les droits et obligations des établissements responsables de la mauvaise qualité des produits à l’origine de la contamination ont été transférés à l’Etablissement français du sang ;
Considérant, enfin, que la circonstance qu’a été ordonnée une expertise portant notamment sur l’origine de la contamination ne fait pas obstacle à ce que l’obligation de l’Etablissement français du sang d’en réparer les conséquences dommageables soit regardée, en l’état de l’instruction, comme n’étant pas sérieusement contestable ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. H. fait état d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable ; que, par suite, il est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de provision ;
Considérant que l’indemnité provisionnelle de 30 000 euros réclamée par M. H. n’est pas contestée, dans son montant, par l’Etablissement français du sang ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ce dernier le versement à M. H. d’une indemnité provisionnelle d’un montant de 30 000 euros ;
Considérant que M. H. a droit aux intérêts de cette somme à compter du 6 juillet 2006, date d’enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Versailles ; que M. H. a demandé, par un mémoire enregistré le 3 avril 2007, la capitalisation des intérêts ; qu’il y a lieu de faire droit à cette demande tant à la date du 6 juillet 2007 qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle statue sur la demande d’expertise :
Considérant que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés de la cour administrative d’appel a confirmé la mission confiée à l’expert par le juge des référés de première instance, qui porte tant sur les causes que sur les conséquences de la contamination de M. H. par le virus de l’hépatite C ;
Considérant que la circonstance que l’obligation de l’Etablissement français du sang à l’égard de M. H. soit jugée, en l’état de l’instruction, non sérieusement contestable au sens des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, n’a pas pour effet de faire regarder comme entachée d’erreur de droit l’ordonnance attaquée confirmant la mission confiée à l’expert par le juge des référés de première instance, y compris en tant que cette mission porte sur les causes de la contamination ;
Considérant qu’en jugeant que l’expertise ainsi ordonnée par le juge de référés de première instance n’est pas frustratoire, le juge des référés de la cour administrative d’appel s’est livré à une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. H. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a rejeté sa demande tendant à la réformation de la mission de l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles ;
Sur les conclusions présentées devant le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Versailles et le tribunal administratif de Versailles au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu de faire application des dispositions de cet article et de mettre à la charge de l’Etablissement français du sang le versement à M. H. d’une somme de 5 000 euros au titre des frais engagés devant le tribunal administratif de Versailles, la cour administrative d’appel de Versailles et le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que cette somme soit également mise à la charge de la Société Azur Assurances IARD ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du 28 février 2007 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles et l’ordonnance du 21 septembre 2006 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles sont annulées en tant qu’elles statuent sur la demande de M. H. tendant à la condamnation de l’Etablissement français du sang au versement d’une indemnité provisionnelle.
Article 2 : L’Etablissement français du sang versera à M. H. une somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2006. Les intérêts échus à la date du 6 juillet 2007 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L’Etablissement français du sang versera à M. H. une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. H. présentées devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Versailles est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Stéphane H., à l’Etablissement français du sang, à la caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine et à la Société Azur Assurances IARD.
Copie pour information en sera adressée au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.