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Conseil d’Etat, 29 décembre 2000, n° 211240, M. Gubler

La section disciplinaire a retenu à sa charge le fait d’avoir, pendant la période où il était médecin personnel du Président Mitterrand de 1981 à 1994, rédigé et signé à la demande de celui-ci des bulletins de santé dont le caractère incomplet, inexact ou tendancieux n’est pas contesté ; qu’en estimant que la circonstance que M. GUBLER aurait ainsi agi pour se conformer à la demande expresse du Président de la République et en considération de la « raison d’État », n’était pas de nature à l’autoriser à aliéner son indépendance professionnelle, la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins n’a pas méconnu les dispositions précitées du code de déontologie médicale.

CONSEIL D’ÉTAT

Statuant au contentieux

N° 211240

M. GUBLER

Mme Dumortier, Rapporteur

M. Schwartz, Commissaire du Gouvernement

Séance du 8 décembre 2000

Lecture du 29 décembre 2000

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’État statuant au contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire. enregistrés les 4 août et 3 décembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. Claude GUBLER, demeurant 40, rue Poliveau à Paris (75005) ; M. GUBLER demande au Conseil d’État d’annuler la décision en date du 19 mai 1999 par laquelle la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a :

1°) rejeté sa demande d’annulation de la décision du 6 avril 1997 par laquelle le Conseil régional de l’Ordre d’Ile-de-France lui a infligé la peine de la radiation du tableau de l’ordre ;

2°) décidé que cette peine prendrait effet dès sa notification ;

3°) mis à sa charge les frais de l’instance ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6 ;

Vu le code de la santé publique, notamment ses articles L. 417 et L. 418 ;

Vu le décret n° 79-506 du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ;

Vu le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme Dumortier, Auditeur,

- les observations de Me Choucroy, avocat de M. GUBLER et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du Conseil national de l’Ordre des médecins,

- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sur le moyen relatif à la régularité de la saisine de la juridiction disciplinaire :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 417 du code de la santé publique, le Conseil régional de l’Ordre des médecins « peut être saisi par le Conseil national ou par les conseils départementaux de l’Ordre ou les syndicats de médecins de son ressort, qu’ils agissent de leur propre initiative ou à la suite de plaintes. Il peut également être saisi par le ministre de la santé publique et de la population, par le directeur départemental de la santé, par le préfet, par le procureur de la République ou par un médecin inscrit au tableau de l’Ordre » ; qu’aux termes de l’article L. 418 du même code : « Les médecins chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’Ordre ne peuvent être traduits devant le Conseil régional, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre de la santé publique et de la population, le directeur départemental de la santé ou le Procureur de la République » ;

Considérant que les faits reprochés à M. GUBLER sont liés, non à une fonction rattachée à l’organisation de la présidence de la République mais à l’activité qu’il a exercée comme médecin personnel de M. François Mitterrand alors que celui-ci était Président de la République ; qu’ainsi et alors même qu’il avait par ailleurs été nommé inspecteur général des affaires sociales ce n’est pas à raison d’une activité de médecin « chargé d’un service public » ni d’actes d’une « fonction publique » au sens des dispositions précitées de l’article L. 418 du code de la santé publique qu’il a fait l’objet de plaintes ; que, par suite, la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a pu, sans méconnaître ces mêmes dispositions, admettre la recevabilité devant le Conseil régional de l’Ordre des médecins d’Ile-de-France de plaintes qui avaient été présentées par des autorités autres que celles mentionnées à l’article L. 418 ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire :

Considérant que si M. GUBLER fait valoir qu’il n’a disposé que d’un délai limité à quarante-huit heures pour prendre connaissance d’un long mémoire présenté par le Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la ville de Paris, ce mémoire ne comportait pas d’élément nouveau par rapport à ceux qui lui avaient été précédemment communiqués ; qu’ainsi, le principe du contradictoire n’a pas en l’espèce été méconnu ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : « 1- Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » : que la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins est distincte des autres formations du Conseil national de l’Ordre des médecins : qu’ainsi, et en tout état de cause, elle a pu sans méconnaître ces stipulations statuer en appel sur une instance engagée devant le Conseil régional de l’Ordre des médecins de l’Ile-de-France par diverses plaintes, dont l’une émanait du Conseil national de l’Ordre des médecins ;

Sur le moyen tiré de l’inexacte application des dispositions des articles 10 et 49 du code de déontologie médicale :

Considérant qu’aux termes de l’article 10 du code de déontologie médicale dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, issue du décret susvisé du 28 juin 1979 : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » ; qu’aux termes de l’article 49 du même code : « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » ;

Considérant que pour confirmer la sanction infligée à M. GUBLER la section disciplinaire a retenu à sa charge le fait d’avoir, pendant la période où il était médecin personnel du Président Mitterrand de 1981 à 1994, rédigé et signé à la demande de celui-ci des bulletins de santé dont le caractère incomplet, inexact ou tendancieux n’est pas contesté ; qu’en estimant que la circonstance que M. GUBLER aurait ainsi agi pour se conformer à la demande expresse du Président de la République et en considération de la « raison d’État », n’était pas de nature à l’autoriser à aliéner son indépendance professionnelle, la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins n’a pas méconnu les dispositions précitées du code de déontologie médicale ;

Sur le moyen tiré de l’inexacte application des dispositions de l’article 4 du code de déontologie médicale :

Considérant qu’aux termes de l’article 4 du code de déontologie médicale dans sa rédaction en vigueur au moment de la publication de l’ouvrage de M. GUBLER et issue du décret du 6 septembre 1995 susvisé : « Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris. » ;

Considérant que la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins a également retenu à la charge de M. GUBLER le fait d’avoir, quelques jours après la mort de M. François Mitterrand publié un livre contenant « ...des informations nombreuses, précises et détaillées sur l’état de santé de celui-ci et de sa vie intime et familiale dont il avait eu connaissance en sa qualité de médecin traitant... » ; que l’obligation de secret professionnel qui s’impose au médecin ne saurait être levée par la circonstance que le patient aurait lui-même publiquement fait part de son état de santé ou de certains aspects de sa vie privée ou que les informations susceptibles d’être diffusées seraient de nature à intéresser l’ensemble des Français au titre de l’histoire de France ; qu’ainsi la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que M. GUBLER avait méconnu l’article 4 précité du code de déontologie médicale ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. GUBLER n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. GUBLER est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Claude GUBLER au Conseil national de l’Ordre des médecins, au Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la ville de Paris et au ministre de l’emploi et de la solidarité.

 


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