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Conseil d’Etat, 27 février 2002, n° 184009, Assistance publique de Marseille, Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles

La faute que commet un établissement hospitalier en n’informant pas un patient des risques que comporte une intervention envisagée n’entraîne pour l’intéressé que la perte d’une chance de se soustraire ainsi au risque qui s’est réalisé.

CONSEIL D’ETAT

N° 184009, 184306

ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE
FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES

M. Aladjidi, Rapporteur

M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement

Lecture du 4 février 2002

Séance du 27 février 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux,

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 184009, la requête et le mémoire complémentaire enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat le 2 décembre 1996 et le 2 avril 1997 présentés pour l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, dont le siège est 145 boulevard Baille à Marseille (13005) ; l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 3 octobre 1996 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté son appel du jugement du 2 février 1994 du tribunal administratif de Marseille qui l’a déclarée responsable des conséquences dommageables de la contamination de M. Richard L. par le virus de l’immuno-déficience humaine et l’a condamnée à verser diverses indemnités en réparation de ces conséquences ;

Vu 2°), sous le n° 184306, la requête et le mémoire complémentaires enregistrés le 13 décembre 1996 et le 14 avril 1997, présentés pour le FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES, dont le siège est 106, avenue Michel Bizot à Paris (75012) ; le FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 3 octobre 1996, en tant qu’il refuse la subrogation du fonds dans les droits des victimes indemnisées ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 février 2002, présentée pour l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ;

Vu la loi du 31 décembre 1991 et notamment son article 47 ;

Vu le décret n° 92-183 du 26 février 1992 ;

Vu le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 ;

Vu le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,

- les observations de Me Le Prado, avocat de l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, de Me Blondel, avocat de M. L. et autres et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES,

- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes n°s 184009 et 184306 sont dirigées contre le même arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 3 octobre 1996 ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes :

Considérant que la faute que commet un établissement hospitalier en n’informant pas un patient des risques que comporte une intervention envisagée n’entraîne pour l’intéressé que la perte d’une chance de se soustraire ainsi au risque qui s’est réalisé ; que, par suite, l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE est fondée à soutenir qu’en se fondant sur la faute résultant de l’absence d’information de M. L. des risques de contamination par le virus VIH préalablement aux transfusions sanguines subies par l’intéressé en novembre et décembre 1984, pour la condamner, sans rechercher si cela était justifié par une perte complète de chance, à réparer intégralement les conséquences dommageables de la contamination subie par le patient à la suite de ces transfusions, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; qu’il y a lieu, en conséquence, d’en prononcer l’annulation ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l’affaire au fond ;

Sur la fin de non-recevoir opposée aux consorts L. par l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE :

Considérant que si l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, repris aux articles L. 3122-1 et suivants du code de la santé publique, a créé une procédure spécifique d’indemnisation des personnes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine à l’occasion de transfusions de produits sanguins, cette procédure n’interdit pas à la victime de rechercher la responsabilité de l’auteur du dommage ; qu’elle impose seulement au juge administratif, saisi d’une demande de réparation du préjudice résultant d’une telle contamination et informé de ce que la victime ou ses ayants droit ont déjà été indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, de déduire d’office la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, la demande de réparation des consorts L. est recevable ;

Sur la responsabilité de l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE :

Considérant que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment de l’expertise effectuée à la demande du tribunal administratif de Marseille que la contamination par le virus de l’immunodéficience humaine dont a été victime M. L. est directement et exclusivement liée aux transfusions de quatre culots d’érythrocytes subies en novembre et décembre 1984 ; qu’il n’est pas contesté que ni M. Richard L., ni sa famille n’avaient été informés de ces risques de contamination, tenus pour établis par la communauté scientifique dès novembre 1983 ; que la circonstance que d’autres responsabilités pourraient être recherchées ne peut avoir pour effet d’exonérer l’établissement hospitalier de sa responsabilité ; qu’ainsi ce défaut d’information expressément invoqué par les requérants, est constitutif d’une faute qui, ayant privé M. L. d’une chance de se soustraire à la contamination, engage la responsabilité de l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise susmentionné que les transfusions par lesquelles M. L. a été contaminé n’étaient pas indispensables au traitement de l’affection dont il souffrait ; que, dans ces conditions, il y a lieu d’admettre que, s’il avait été informé des risques qu’elles lui faisaient courir, il y aurait renoncé ; qu’ainsi, la réparation du dommage résultant de la perte par M. L. d’une chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé et dont il n’a pas été informé doit être fixée à l’intégralité des différents chefs de préjudices subis ;

Sur les préjudices subis et le droit à réparation des consorts L. :

Considérant que le droit à la réparation d’un dommage, quelle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d’avoir d’elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; qu’il suit de là qu’outre leur propre préjudice, les consorts L., ont droit à la réparation du préjudice que subi M. L. du fait de la faute commise par l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE alors même qu’il n’avait, avant son décès, introduit aucune action ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite de sa contamination par le virus de l’immunodéficience humaine, M. L. a développé une toxoplasmose cérébrale dont il est décédé en 1992 à l’âge de 27 ans ; que le tribunal administratif n’a fait une appréciation exagérée ni du préjudice qu’il a subi personnellement en le fixant à deux millions de francs ni du préjudice moral éprouvé par sa famille en le fixant à 75 000 F pour chacun de ses parents et 25 000 F pour chacune de ses deux sœurs ; que c’est à bon droit, que, dans la limite des montants susindiqués, le tribunal administratif a déduit des sommes en cause les indemnités de 1 600 000 F, 150 000 F et 25 000 F que les intéressés avaient respectivement déjà perçues du fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles ;

Sur la subrogation du FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES :

Considérant qu’aux termes du IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 repris à l’article L. 3122-4 du code de la santé publique : "Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées dans les droits que possède la victime contre la personnne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assumer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes (...)" ; qu’aux termes de l’article 15 du décret du 12 juillet 1993 : "Le fonds peut, pour exercer l’action subrogatoire prévue au IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée intervenir même pour la première fois en cause d’appel devant toute juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES ne peut être subrogé aux droits de victimes de contamination par le virus de l’immunodéficience humaine que s’il décide d’engager une action tendant à cette fin, dans les conditions prévues par les dispositions précitées du décret du 12 juillet 1993 ; qu’il résulte de l’instruction que, dans aucun de ses courriers adressés au président du tribunal administratif de Marseille, le fonds n’a manifesté son intention d’engager une telle action subrogatoire ; qu’ainsi le jugement du 2 février 1994 du tribunal administratif de Marseille doit être annulé en tant qu’il a prononcé d’office la subrogation du FONDS d’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES aux droits de chacun des requérants ;

Considérant, toutefois, qu’en application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1991 et du décret du 12 juillet 1993, la subrogation du fonds est de droit dès lors que le dommage qui a été indemnisé par le fonds est imputable à une faute, et que la subrogation a été demandée, fût-ce pour la première fois en appel ; qu’il résulte de l’instruction que le fonds a demandé sa subrogation dans un mémoire enregistré le 13 décembre 1996 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat lequel statue en l’espèce comme juge d’appel en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ; que, par suite, le FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES doit, dans la limite des sommes qu’il a versées aux consorts L., être subrogé dans leurs droits à être indemnisés de la perte de chance liée à la faute commise par l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, par la voie de l’appel principal, et les consorts L., par la voie de l’appel incident, ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement du 2 février 1994 du tribunal administratif de Marseille en tant qu’il a condamné l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à verser 400 000 F aux consorts L. ; qu’il y a lieu de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à rembourser au FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES à concurrence respectivement de 1 600 000 F, 75 000 F et 25 000 F, les indemnités qu’il a versées, respectivement à M. L. à chacun de ses parents et à chacune de ses deux sœurs, soit une somme totale de 1 800 000 F ( 274 408 euros) ;

Sur les conclusions des consorts L. tendant au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le FONDS d’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer aux consorts L. les sommes qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à verser aux consorts L. une somme 4 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 3 octobre 1996 et le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 février 1994 en tant qu’il a subrogé d’office le FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES dans les droits des consorts L. sont annulés.

Article 2 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE versera au FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES, subrogé dans les droits de la victime et de sa famille, la somme de 274 408 euros (1 800 000 F).

Article 3 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE versera aux consorts L. la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE et des conclusions des consorts L. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, au FONDS D’INDEMNISATION DES TRANSFUSES ET HEMOPHILES, à M. et Mme Jacques L., à Mme Sylviane M., à Mme Pascale S-P et au ministre de l’emploi et de la solidarité.

 


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