Conseil d’État, 29 juillet 1994, DÉPARTEMENT DE L’INDRE
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État les 31 octobre 1989 et 28 février 1990, présentés pour le DÉPARTEMENT DE L’INDRE, représenté par le président du conseil général en exercice ; le DÉPARTEMENT DE L’INDRE demande que le Conseil d’État, annule la décision du 23 juin 1989 par laquelle la commission centrale d’aide sociale a annulé une décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Indre en date du 12 novembre 1987 et décidé que les sommes versées à Mme Proteau au titre de l’allocation compensatrice en faveur des handicapés ne seront pas récupérées sur la succession de la bénéficiaire ;
Vu la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 ;
Vu le décret n° 61-495 du 15 mai 1961 modifié par le décret du 28 septembre 1983 ;
Vu le code de la famille et de l’aide sociale ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue... publiquement... par un tribunal... qui décidera... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil... Le jugement doit être rendu publiquement..." ;
Considérant que la décision du 23 juin 1989 par laquelle la commission centrale d’aide sociale, saisie par Mme Padilla, héritière de Mme Proteau, a statué sur l’action exercée par le DÉPARTEMENT DE L’INDRE sur le fondement de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale en vue de récupérer sur la succession de Mme Proteau l’allocation compensatrice en faveur des handicapés prévue à l’article 39 de la loi du 30 juin 1975 qui avait été versée à cette dernière, a le caractère d’une décision juridictionnelle qui tranche une contestation relative à des droits et obligations de caractère civil, au sens des stipulations précitées de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu’il ne ressort pas des mentions de la décision attaquée de la commission centrale d’aide sociale que cette juridiction ait siégé en séance publique et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que cette formalité n’a pas été respectée ; que le DÉPARTEMENT DE L’INDRE est dès lors fondé à soutenir que la commission centrale d’aide sociale a statué selon une procédure irrégulière et à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision attaquée ;
Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d’État, s’il prononce l’annulation d’une décision administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale relatif à la récupération des allocations d’aide sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 19 janvier 1983 : "Des recours sont exercés par le département... a)... contre la succession du bénéficiaire..." ; qu’aux termes du second alinéa du même article : "... Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l’aide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier s’exerce sur la partie de l’actif net successoral défini par les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par décret en Conseil d’État..." ; que ce seuil est fixé par l’article 4-1 du décret du 15 mai 1961, dans sa rédaction résultant du décret du 28 septembre 1983, à 250 000 F ;
Considérant qu’il résulte des dispositions, éclairées par les travaux préparatoires, de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1982 dont sont issues les dispositions précitées du second alinéa de l’article 146 du code de la famille et de l’aide sociale, que les prestations d’aide sociale à domicile versées aux handicapés sont au nombre des sommes qui ne peuvent être recouvrées sur un actif net successoral inférieur ou égal à 250 000 F ; qu’eu égard aux conditions auxquelles sont subordonnées son attribution et son versement, l’allocation compensatrice prévue par l’article 39 de la loi du 30 juin 1975 doit être regardée comme une prestation d’aide sociale à domicile versée aux handicapés ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’actif net successoral de Mme Proteau est inférieur au montant de 250 000 F ; qu’il en résulte que les sommes qui avaient été versées à Mme Proteau au titre de l’allocation compensatrice susmentionnée ne pouvaient légalement, en vertu des dispositions précitées des articles 146 du code de la famille et de l’aide sociale et 4-1 du décret du 15 mai 1961, être récupérées sur l’actif net successoral de l’intéressée ; que, par suite, Mme Padilla est fondée à soutenir que c’est à tort que, par la décision attaquée en date du 12 novembre 1987, la commission départementale d’aide sociale de l’Indre a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 11 février 1987 par laquelle la commission d’admission à l’aide sociale de Saint-Gaultier a décidé que le DÉPARTEMENT DE L’INDRE récupérera, sur la succession de Mme Proteau, les sommes versées à celle-ci au titre de l’allocation compensatrice en faveur des handicapés ;
D E C I D E :
Article premier : La décision de la commission centrale d’aide sociale en date du 23 juin 1989 et la décision de la commission départementale d’aide sociale de l’Indre en date du 12 novembre 1987 sont annulées.
Article 2 : Le DÉPARTEMENT DE L’INDRE n’est pas fondé à récupérer, sur la succession de Mme Proteau, les sommes versées à celle-ci au titre de l’allocation compensatrice en faveur des handicapés.