CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 206145
SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT
M. Derepas, Rapporteur
M. Séners Commissaire du gouvernement
Séance du 23 novembre 2001
Lecture du 7 décembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 mars 1999 et 29 juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT dont le siège est Rumont à Bar-le-Duc (55000) ; la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 28 janvier 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 12 avril 1994 du tribunal administratif de Nancy en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à l’annulation d’un état exécutoire émis à son encontre par le directeur de l’office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) le 5 septembre 1990 pour un montant de 1 765 714 F et à la condamnation de l’ONILAIT à lui verser la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CEE) n° 804/68 du Conseil du 27 juin 1968 modifié ;
Vu le règlement (CEE) n° 1546/88 de la Commission du 3 juin 1988 ;
Vu le décret n° 84-661 du 17 juillet 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Derepas, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT et de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat de l’office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT),
les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le directeur de l’office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT), a émis le 5 septembre 1990 un état exécutoire en vue du recouvrement sur la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT d’un prélèvement supplémentaire au titre de la campagne laitière 1988-1989 ; que par un jugement du 12 avril 1994, le tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions de la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT tendant, en premier lieu à l’annulation de cet état exécutoire, en deuxième lieu, à ce qu’il soit enjoint à l’ONILAIT de lever les oppositions formées contre les comptes bancaires de cette société, et en troisième lieu, à ce que l’ONILAIT soit condamné à lui verser la somme d’un million de francs à titre de dommages et intérêts ; que le tribunal administratif puis, en appel, la cour administrative d’appel de Nancy ont rejeté ces conclusions ; que la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 28 janvier 1999 de la cour administrative d’appel de Nancy ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l’article 8 du décret du 17 juillet 1984 susvisé dispose que le prélèvement supplémentaire défini à l’article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 du Conseil du 27 juin 1968 modifié est dû par tout producteur de lait sur les quantités de lait ou d’équivalent lait qu’il a vendues directement et qui, pendant la période de douze mois débutant le 1er avril, dépassent la quantité de référence qui lui a été attribuée ; qu’aux termes de l’article 9 du même décret : "Les producteurs de lait et de produits laitiers qui procèdent à la vente directe sont tenus de faire parvenir au siège de ONILAIT, la déclaration, visée par le préfet du siège de l’exploitation, des quantités de lait ou d’équivalent lait qu’ils ont vendues directement au cours de la période précédente de douze mois, débutant le 1er avril. (..) L’ONILAIT fait alors connaître dans un délai d’un mois à chaque producteur le montant du prélèvement éventuellement dû" ; que l’article 13 du même décret dispose que "si l’ONILAIT ne dispose pas d’éléments nécessaires au recouvrement du prélèvement, les sommes à recouvrer sont déterminées après contrôle de la comptabilité des acheteurs de lait ou des producteurs commercialisant eux-mêmes les produits laitiers" ;
Considérant que, lorsque des dispositions législatives ou réglementaires prévoient qu’un prélèvement est assis sur la base d’éléments qui doivent être déclarés par le redevable, l’administration ne peut établir ce prélèvement en retenant d’autres éléments que ceux ressortant d’une telle déclaration qu’après avoir, conformément au principe général des droits de la défense, mis l’intéressé à même de présenter ses observations ; que par suite, en jugeant, après avoir souverainement apprécié que l’ONILAIT avait établi l’état exécutoire litigieux sur la base d’éléments différents de ceux déclarés par la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT, que l’émission de cet état exécutoire n’avait pas à être précédée d’une procédure contradictoire, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que cet arrêt doit, pour ce motif, être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement attaqué :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT n’a pas été mise à même de produire ses observations préalablement à l’émission de l’état exécutoire contesté, lequel a été établi sur la base de renseignements extérieurs à sa déclaration et recueillis chez une entreprise tierce ; que cet état exécutoire a, dès lors, été émis à la suite d’une procédure irrégulière ; que la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a refusé de l’annuler ;
Considérant que si la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT demande que l’ONILAIT soit condamné à réparer le préjudice qu’aurait entraîné pour elle l’émission de l’état exécutoire annulé par la présente décision, elle ne donne aucune précision sur la nature et l’ampleur des difficultés constitutives du préjudice allégué ; qu’ainsi et en tout état de cause, elle n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, que ces dispositions font obstacle à ce que la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à l’ONILAIT la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’ONILAIT à payer à la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT la somme de 10 000 F qu’elle a demandée devant la cour administrative d’appel ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 28 janvier 1999 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : Le jugement du 12 avril 1994 du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu’il rejette les conclusions de la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT dirigées contre l’état exécutoire émis le 5 septembre 1990 par le directeur de l’ONILAIT.
Article 3 : L’état exécutoire émis le 5 septembre 1990 par le directeur de l’ONILAIT à l’encontre de la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT est annulé.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT devant la cour administrative d’appel de Nancy est rejeté.
Article 5 : L’ONILAIT est condamné à payer 10 000 F à la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de l’ONILAIT tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ANONYME FERME DE RUMONT, à l’office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) et au ministre de l’agriculture et de la pêche.