format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Conseil d’Etat, Assemblée, 17 Février 1995, Hardouin
Conseil d’Etat, 12 juin 2002, n° 241851, M. C.
Conseil d’Etat, 13 février 2008, n° 292293, Léonard Y.
Conseil d’Etat, 7 août 2008, n° 288309, Garde des sceaux, Ministre de la justice c/ Jean-Christophe S.
Conseil d’Etat, 7 mars 2008, n° 299240, Pierre G.
Conseil d’Etat, 28 septembre 2001, n° 210546, M. Delbarre
Conseil d’Etat, 7 mars 2008, n° 298138, Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT)
Conseil d’Etat, 22 octobre 2003, n° 249295, Union fédérale équipement CFDT
Conseil d’Etat, Assemblée, 5 mars 2003, n° 238039, Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris
Conseil d’Etat, 12 décembre 2003, n° 243430, Syndicat des commissaires et hauts-fonctionnaires de la police nationale et autres

THEMES ABORDES :
Les immanquables du droit administratif
Conseil d’Etat, Section, 7 décembre 2001, n° 206145, Société anonyme la Ferme de Rumont
Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Ba.
Conseil d’Etat, Assemblée, 5 mars 1999, M. Rouquette et autres.
Conseil d’Etat, Assemblée, 30 Octobre 1998, M. Sarran, Levacher et autres
Conseil d’État, 29 septembre 1995, ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE
Conseil d’État, 9 avril 1993, M. BIANCHI
Conseil d’Etat, 11 mars 1994, M. Soulat
Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 1959, n° 36385, Société « Les Films Lutetia » et Syndicat Français des Producteurs et Exportateurs de Films
Conseil d’État, 24 Octobre 1997, Mme de LAUBIER
Conseil d’État, 28 février 1992, SOCIÉTÉ ANONYME ROTHMANS INTERNATIONAL FRANCE et SOCIÉTÉ ANONYME PHILIP MORRIS FRANCE




Conseil d’Etat, Section, 18 décembre 2002, n° 233618, Mme Joëlle D.

L’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en oeuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief. En revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger. Le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs. Il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 233618

Mme D.

Mlle Landais
Rapporteur

Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement

Séance du 13 décembre 2002
Lecture du 18 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 27 avril 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Joëlle D. ; Mme D. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 23 février 2001 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de faire droit à sa demande tendant à l’abrogation, d’une part, du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique en tant que ce décret n’exclut pas l’aide personnalisée au logement des ressources à prendre en compte pour l’appréciation du droit au bénéfice de l’aide juridictionnelle et, d’autre part, dans la même mesure, de la circulaire du 26 mars 1997 ;

2°) de condamner l’Etat à lui rembourser le droit de timbre, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la construction et de l’habitation ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

Vu le décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988 relatif à la détermination du revenu minimum d’insertion ;

Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la demande de Mme D., à laquelle la lettre du 23 février 2001 du garde des sceaux, ministre de la justice, dont l’annulation est demandée, a opposé un refus, doit être regardée, contrairement à ce qui est soutenu en défense, comme tendant à l’abrogation, d’une part, du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et, d’autre part, de la circulaire du 26 mars 1997 relative à la procédure d’aide juridictionnelle en tant que ces deux textes n’excluent pas l’aide personnalisée au logement des ressources à prendre en compte pour l’appréciation du droit des intéressés au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu’elle porte refus d’abroger partiellement le décret du 19 décembre 1991 :

Considérant que la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique prévoit que cette dernière est accordée sous condition de ressources ; que son article 5 dispose que " sont exclues de l’appréciation des ressources les prestations familiales ainsi que certaines prestations à objet spécialisé selon des modalités prévues par décret en Conseil d’Etat " ; que l’article 2 du décret du 19 décembre 1991, pris sur le fondement de ces dispositions, indique que sont exclues des ressources à prendre en compte pour apprécier le droit au bénéfice de l’aide juridictionnelle " les prestations familiales énumérées à l’article L. 511-1 du code de la sécurité sociale ainsi que les prestations sociales à objet spécialisé énumérées à l’article 8 du décret du 12 décembre 1988 (à) " ; que le premier de ces textes mentionne l’allocation de logement familiale mais non l’aide personnalisée au logement instituée par l’article L. 351-1 du code de la construction et de l’habitation ; que cette dernière prestation n’est pas non plus au nombre de celles que retient l’article 8 du décret du 12 décembre 1988 relatif à la détermination du revenu minimum d’insertion ; qu’il résulte ainsi de l’article 2 du décret du 19 décembre 1991 que l’aide personnalisée au logement doit, à la différence de l’allocation de logement familiale, être prise en compte parmi les ressources permettant d’apprécier le droit au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l’un comme l’autre cas, en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de la loi du 10 juillet 1991 que le législateur a entendu, d’une part, exclure l’allocation de logement familiale des ressources à prendre en compte pour apprécier le droit au bénéfice de l’aide juridictionnelle, d’autre part, laisser au pouvoir réglementaire le soin de définir les modalités suivant lesquelles certaines " prestations sociales à objet spécialisé " doivent être retenues au même titre ; qu’ainsi, la possibilité de traiter de manière différente les personnes demandant le bénéfice de l’aide juridictionnelle, suivant qu’elles perçoivent l’aide personnalisée au logement ou l’allocation de logement familiale, résulte, dans son principe, de la loi ;

Considérant, toutefois, que l’aide personnalisée au logement et l’allocation de logement familiale, qui sont exclusives l’une de l’autre, poursuivent des finalités sociales similaires ; qu’en outre, l’attribution à une famille de la première ou de la seconde dépend essentiellement du régime de propriété du logement occupé et de l’existence ou non d’une convention entre le bailleur et l’Etat ; que, par suite, le décret contesté ne pouvait, sans créer une différence de traitement manifestement disproportionnée par rapport aux différences de situation séparant les demandeurs d’aide juridictionnelle suivant qu’ils sont titulaires de l’une ou de l’autre de ces prestations, inclure l’intégralité de l’aide personnalisée au logement dans les ressources à prendre en compte pour apprécier leur droit à l’aide juridictionnelle ; qu’ainsi, le décret du 19 décembre 1991 méconnaît, sur ce point, le principe d’égalité ; que, dès lors, Mme D. est fondée à demander l’annulation de la décision contenue dans la lettre du 23 février 2001 par laquelle le garde des sceaux a refusé de proposer l’abrogation partielle de ce décret ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu’elle porte refus d’abroger partiellement la circulaire du 26 mars 1997 :

Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en oeuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;

Considérant que si la circulaire contestée du 26 mars 1997 se borne à tirer les conséquences de l’article 2 du décret du 19 décembre 1991, elle réitère néanmoins, au moyen de dispositions impératives à caractère général, la règle qu’a illégalement fixée cette disposition ; que, par suite, Mme D. est recevable et fondée à demander l’annulation de la lettre du 23 février 2001, en tant qu’elle porte refus d’abroger dans cette mesure la circulaire contestée ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions précitées et de condamner l’Etat à verser à Mme D. la somme de 15 euros qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 23 février 2001 rejetant la demande d’abrogation partielle du décret du 19 décembre 1991 et de la circulaire du 26 mars 1997 est annulée.

Article 2 : L’Etat versera à Mme D. la somme de 15 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Joëlle D. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site