CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 255956
SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE
M. Sauron
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 7 janvier 2004
Lecture du 4 février 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 avril et 20 juin 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE, dont le siège est Zone industrielle 13, l’Ardoise à Laudin (30290), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE demande au Conseil d’Etat ;
1°) d’annuler l’arrêt du 26 novembre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, faisant droit à l’appel formé par M. Christian V. à l’encontre du jugement du 9 décembre 1998 du tribunal administratif de Montpellier le déboutant de sa demande tendant à l’annulation de la décision du 25 juillet 1997 du ministre de l’emploi et de la solidarité confirmant la décision de l’inspecteur du travail du Gard en date du 6 mars 1997 autorisant la société requérante à le licencier pour motif économique, a annulé ledit jugement ensemble la décision litigieuse ;
2°) statuant au fond, par application des dispositions de l’article L. 821-1 du code de justice administrative, de rejeter l’appel de M. V. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Sauron, Maître des Requêtes,
les observations de Me Blondel, avocat de la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. V.,
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE se pourvoit contre l’arrêt du 26 novembre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, faisant droit à l’appel formé par M. V. à l’encontre du jugement du tribunal administratif de Montpellier le déboutant de sa demande tendant à l’annulation de la décision du 25 juillet 1997 du ministre de l’emploi et de la solidarité, statuant sur le recours hiérarchique de la société contre la décision de l’inspecteur du travail du Gard en date du 6 mars 1997 et autorisant la société requérante à licencier M. V. pour motif économique, a annulé ledit jugement, ainsi que la décision du ministre ;
Considérant qu’en vertu des dispositions des articles L. 514-2 et L. 412-18 du code du travail le licenciement des salariés légalement investis des fonctions de conseiller prud’homal, qui bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail ; que lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ;
Considérant que pour apprécier les possibilités de reclassement, l’autorité administrative, saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif économique par une société appartenant à un groupe, ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de la société où se trouve l’emploi du salarié protégé concerné par le licenciement ; qu’elle est tenue, dans le cas où cette dernière relève d’un groupe, et pour ceux des salariés qui ont manifesté à sa demande leur intérêt de principe pour un reclassement à l’étranger, de faire porter son examen sur les possibilités de reclassement pouvant exister dans les sociétés du groupe, y compris celles ayant leur siège à l’étranger, dont les activités ou l’organisation offrent à l’intéressé, compte tenu de ses compétences et de la législation du pays d’accueil, la possibilité d’exercer des fonctions comparables ; que, dès lors, en jugeant que l’autorité administrative ne devait pas borner son examen, pour apprécier la réalité des efforts de reclassement allégués à l’appui d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, aux sociétés du groupe ayant leur siège en France ni aux établissements de ce groupe situés en France, sans toutefois apporter les restrictions ci-dessus énoncées au champ et aux conditions de ce reclassement, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que la société requérante est fondée à en demander l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, que n’ont été examinées par le ministre, pour juger du caractère sérieux des offres de reclassement proposées à M. V., que les seules possibilités de reclassement dans l’établissement de l’Ardoise en France où ce dernier travaillait ; que, par suite, la décision du ministre de l’emploi et de la solidarité en date du 25 juillet 1997, confirmant l’autorisation de licenciement de M. V. est intervenue en méconnaissance des principes mentionnés ci-dessus ; que M. V. est par suite fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de condamner la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE à verser à M. V. la somme de 3 000 euros qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 26 novembre 2002, le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 9 décembre 1998 et la décision du ministre de l’emploi et de la solidarité en date du 25 juillet 1997 sont annulés.
Article 2 : La SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE versera à M. V. la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE OWENS CORNING FIBERGLASS FRANCE, à M. Christian V. et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.