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Conseil d’Etat, 14 novembre 2008, n° 307544, Henriette E.

En déduisant de la seule circonstance que ce changement d’horaires n’entraînait aucune modification de la rémunération, de la durée du travail ou de la qualification, qu’il constituait seulement un changement dans les conditions de travail pouvant être décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction, et non une modification du contrat de travail, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 307544

Mme E.

M. Jean Musitelli
Rapporteur

M. Rémi Keller
Commissaire du gouvernement

Séance du 13 octobre 2008
Lecture du 14 novembre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juillet et 12 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Henriette E. ; Mme E. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 16 mai 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, faisant droit à la requête de la société Michel Thierry SA, d’une part, a annulé le jugement du 24 février 2004 du tribunal administratif de Toulouse annulant la décision du 30 novembre 2000 du ministre de l’emploi et de la solidarité confirmant la décision du 26 juin 2000 de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement de Mme E. et, d’autre part, a rejeté la demande présentée par cette dernière devant le tribunal administratif ;

2°) de mettre à la charge de la société Michel Thierry SA la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Musitelli, Conseiller d’Etat,

- les observations de Me Hemery, avocat de Mme E. et de Me Copper-Royer, avocat de la société Michel Thierry SA, les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme E. a été recrutée en 1985 au sein de la société Michel Thierry SA en qualité de fileteuse à domicile et y est devenue membre titulaire du comité d’entreprise et déléguée du personnel titulaire ; qu’à partir de 1993, elle a exercé sa profession dans un atelier situé au lieu dit "Le stade" selon un rythme de travail en deux fois huit heures, travaillant, une semaine sur deux, de 4 heures à 12 heures et, l’autre semaine, de 12 heures à 20 heures ; qu’en raison d’un projet de restructuration ayant conduit à l’arrêt de la production de l’établissement situé au "Stade", la société Michel Thierry SA a proposé, le 14 janvier 2000, à Mme E. un nouveau poste sur un autre site et un horaire de travail unique, de 8 heures à 16 heures ; qu’après avoir sollicité auprès de la direction un retour à ses anciens horaires, Mme E. a, par courrier du 27 mars 2000, informé son employeur qu’elle reprendrait ses anciens horaires à partir du 3 avril 2000 ; qu’à partir de cette date, et contrairement aux consignes de son employeur, Mme E. a travaillé selon un rythme de deux fois huit heures ; que le 26 juin 2000, l’employeur ayant sollicité l’autorisation requise pour les salariés protégés par les articles L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail, l’inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme E. en raison de la gravité suffisante de la faute commise en refusant les nouveaux horaires auxquels elle était soumise, ce qui avait désorganisé l’atelier de production ; que le 30 novembre 2000, le ministre de l’emploi et de la solidarité a confirmé la décision de l’inspecteur du travail ; que, par un jugement du 24 février 2004, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 30 novembre 2000 ; que, par un arrêt du 16 mai 2007, la cour administrative d’appel de Bordeaux, a annulé ce jugement et rejeté la demande de Mme E. présentée devant le tribunal administratif ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le changement d’horaires imposé à Mme E. impliquait une modification importante du rythme de travail qu’elle avait depuis plus de sept ans, la faisant passer d’un horaire mixte à un travail exclusivement diurne ; qu’en déduisant de la seule circonstance que ce changement d’horaires n’entraînait aucune modification de la rémunération, de la durée du travail ou de la qualification, qu’il constituait seulement un changement dans les conditions de travail pouvant être décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction, et non une modification du contrat de travail, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que Mme E. est dès lors fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Sur les conclusions de Mme E. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E., qui n’est pas la partie perdante dans la présente affaire, la somme que demande la société Michel Thierry SA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Michel Thierry SA la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par Mme E. et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 16 mai 2007 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Article 3 : Les conclusions de la société Michel Thierry SA relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La société Michel Thierry SA versera à Mme E. la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Henriette E., à la société Michel Thierry SA et au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

Copie en sera adressée pour information au président de la cour administrative d’appel de Bordeaux.

 


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