COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE DOUAI
N° 01DA00001
Commune de Bondues
Mme Brin
Rapporteur
M. Paganel
Commissaire du gouvernement
Audience du 4 mai 2004
Lecture du 18 mai 2004
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE DOUAI
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 4 janvier 2001 au greffe de la cour administrative d’appel de Douai, présentés pour la commune de Bondues (59), représentée par son maire en exercice, par Me José Savoye, avocat, membre de la société d’avocats Savoye et associés ; la commune de Bondues demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 9801910 du 24 octobre 2000 du tribunal administratif de Lille en tant qu’il l’a condamnée solidairement avec le département du Nord à verser, à M. et Mme Denis D., la somme de 144 682,10 francs et, à Mlle Christelle D., la somme de 28 000 francs, lesdites sommes étant assorties des intérêts à compter du 3 mars 1998, en réparation des préjudices qu’ils ont subis du fait du décès lors d’un accident de la circulation de leur fils et frère respectif, ainsi qu’une somme de 5 000 francs au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. ;
3°) de condamner M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. à lui verser une somme de 5 000 francs sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience,
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 mai 2003
le rapport de Mme Brin, président-assesseur,
les observations de Me Fabrice Savoye, avocat, membre de la société d’avocats Savoye et associés, pour la commune de Bondues, de Me Dominique Delerue, avocat, pour M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. et de Me Maurice-Alain Caffier, avocat, pour Lille métropole-communauté urbaine,
et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, dans la nuit du 11 au 12 février 1995 vers 00 heures 30, M. Damien D., âgé de 18 ans, a perdu le contrôle du véhicule qu’il conduisait, alors qu’il abordait un virage situé sur la chemin départemental 64, dans l’agglomération de la commune de Bondues ; que la voiture a traversé latéralement la chaussée, est montée sur la bordure du trottoir, puis a poursuivi sa course dans l’herbe avant de venir heurter un pylône d’éclairage en béton qu’elle a brisé ; que la commune de Bondues fait appel du jugement en date du 24 octobre 2000 du tribunal administratif de Lille en tant qu’il l’a condamnée solidairement avec le département du Nord à indemniser M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. à concurrence de 70 % des préjudices qu’ils ont subis à la suite du décès lors dudit accident de la circulation de leur fils et frère respectif, ainsi qu’à leur verser une somme de 5 000 francs au titre des frais exposés ; que le département du Nord demande, par la voie de l’appel provoqué, à être déchargé de l’obligation ainsi mise à sa charge ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par les Consorts D. :
Considérant que si M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. soutiennent en défense que le maire de la commune de Bondues n’aurait pas été régulièrement habilité par le conseil municipal pour ester en justice au nom de la commune, il ressort de l’examen des pièces du dossier que le moyen manque en fait ; que, par suite, la fin de non-recevoir dont s’agit ne peut qu’être rejetée ;
Sur la responsabilité de la commune de Bondues :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend...l’éclairage... ; " ; qu’aux termes de l’article L. 2213-1 du même code : "Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l’intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’Etat dans le département sur les routes à grande circulation. " ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que le maire doit veiller au bon éclairage des voies publiques situées dans l’agglomération communale, y compris de celles dont la commune n’est pas le maître d’ouvrage ; qu’il résulte de l’instruction que deux des quatre lampadaires éclairant les lieux de l’accident étaient hors service au moment où celui-ci s’est produit ; qu’il est constant que l’un de ces deux équipements défectueux était inutilisable depuis trois mois ; que cette déficience a été de nature à accentuer le danger présenté par ailleurs par cette portion de route, sur laquelle la victime s’est engagée de nuit ; qu’en s’abstenant de prendre les mesures propres à appeler l’attention des automobilistes sur les risques résultant de cette situation, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Bondues ; que cette dernière ne saurait utilement invoquer, pour échapper à sa responsabilité, alors qu’elle est condamnée solidairement à indemniser les ayants droit de la victime d’un dommage de travaux publics, la défaillance ni de la société chargée par elle, aux termes d’un contrat d’entretien, de veiller au bon fonctionnement du réseau d’éclairage, ni d’Electricité de France, qui n’aurait pas été en mesure de rétablir la ligne électrique alimentant le lampadaire défectueux ;
Sur la faute de la victime :
Considérant qu’il résulte, toutefois, de l’instruction que la victime, qui n’était titulaire du permis de conduire que depuis moins d’un mois, n’a manifestement pas adapté sa vitesse à la situation présentée, de nuit et par temps humide, par une route dont, familière des lieux, elle connaissait pourtant l’étroitesse et le tracé sinueux ; qu’eu égard à sa gravité, révélée, d’une part, par les circonstances de l’accident, l’enquête ayant démontré que le véhicule s’est dérobé sans avoir pu négocier le virage, d’autre part, par la violence du choc contre le pylône électrique en béton qu’il a brisé, enfin, par l’état du véhicule accidenté et alors que la portion de route en cause est située en agglomération, ce comportement fautif, qui constitue la cause déterminante de l’accident, est de nature à exonérer la commune de Bondues des deux tiers de sa responsabilité ; que, par suite, c’est à tort que les premiers juges ont condamné la commune de Bondues à indemniser M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. à concurrence de 70 % des préjudices qu’ils ont subis à la suite dudit accident ;
Sur les conclusions d’appel provoqué du département du Nord :
Considérant que l’admission de l’appel principal de la commune de Bondues aggrave la situation du département du Nord, qui se trouve exposé, à raison de la solidarité, à devoir payer à M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. la totalité des indemnités allouées à ceux-ci par le tribunal administratif ; que le département du Nord est, dès lors, recevable à demander, par la voie de l’appel provoqué, sa mise hors de cause ;
Considérant qu’il est constant que l’accident litigieux s’est produit sur le chemin départemental n° 64 dont la gestion incombe au département du Nord ; qu’il résulte de l’instruction qu’au moment de l’accident, l’enrobé recouvrant ladite route présentait, dans la courbe où le véhicule conduit par la victime a dérapé, un affaissement ayant vraisemblablement pour causes une mauvaise évacuation des eaux de pluie et une déstabilisation de l’accotement ; qu’aucune signalisation n’avait été mise en place pour avertir les automobilistes de ce danger, ni de l’étroitesse de la route à cet endroit, ni même du caractère prononcé du virage ; que, dans ces conditions, le département ne peut être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l’entretien normal de l’ouvrage public en cause ; que, nonobstant la circonstance que le lieu de l’accident se situe dans l’agglomération de la commune de Bondues, la responsabilité du département du Nord se trouve, par suite, engagée ;
Considérant, toutefois, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus en ce qui concerne la responsabilité de la commune de Bondues, la faute commise par la victime est, de par sa gravité, de nature à exonérer le département du Nord des deux tiers de sa responsabilité ;
Sur le préjudice :
Considérant que les premiers juges ont estimé le préjudice matériel subi par M. et Mme Denis D. à la somme non contestée de 1 019,69 euros (6 688,71 francs) ; qu’ils ont, en outre estimé le préjudice moral subi par M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. aux sommes respectives de 30 489,80 euros (200 000 francs) et 6 097,96 euros
(40 000 francs), lesquelles ne sont pas davantage contestées ;
Considérant que, compte tenu du partage de responsabilité défini ci-avant, il y a lieu de ramener les sommes de 22 056,64 euros (144 682,10 francs) et 4 268,57 euros (28 000 francs) que le département du Nord et la commune de Bondues ont été solidairement condamnés à verser respectivement à M. et Mme Denis D. et à Mlle Christelle D. aux sommes de 10 503,16 euros et 2 032,65 euros et de réformer, dans cette mesure, le jugement attaqué ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bondues et le département du Nord sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille les a condamnés conjointement et solidairement à indemniser
M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. à concurrence de 70 % des préjudices subis par eux à raison de l’accident dont a été victime M. Damien D. et à demander la réformation dudit jugement ; que la communauté urbaine de Lille est, quant à elle, fondée à demander la confirmation de ce même jugement en tant qu’il l’a mise hors de cause ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l’article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation " ;
Considérant que ces dispositions s’opposent à ce que la commune de Bondues, qui n’est pas, en la présente instance, partie perdante, soit condamnée à verser aux Consorts D. la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement tant par la commune de Bondues que par le département du Nord ;
DECIDE :
Article 1er : Les sommes de 22 056,64 euros et 4 268,57 euros que le département du Nord et la commune de Bondues ont été solidairement condamnés, par le jugement
n° 9801910 du tribunal administratif de Lille en date du 24 octobre 2000, à verser respectivement à M. et Mme Denis D. et à Mlle Christelle D. sont ramenées aux sommes de 10 503,16 euros et 2 032,65 euros.
Article 2 : Les articles 1 et 2 dudit jugement sont réformés en ce qu’ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme Denis D. et Mlle Christelle D. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Bondues et des conclusions d’appel provoqué du département du Nord est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bondues, à M. et Mme Denis D., à Mlle Christelle D., au département du Nord, à Lille métropole-communauté urbaine, ainsi qu’au ministre de l’équipement, des transports, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.