CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 280931
SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE
M. Stéphane Hoynck
Rapporteur
M. Yann Aguila
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 janvier 2008
Lecture du 22 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 27 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour le SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE, dont le siège est 57 boulevard Sébastopol à Pais (75001) ; le SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE (SYCTOM) demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 23 mars 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, d’une part, a annulé l’article 1er du jugement du 23 mai 2001 du tribunal administratif de Melun et le jugement du 12 février 2004 du tribunal administratif de Melun, d’autre part, a rejeté sa demande présentée devant ce tribunal tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en conséquence de l’abandon du projet de construction d’une usine d’incinération d’ordures ménagères à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), et enfin, l’a condamné à supporter les frais d’expertise et à payer 4 000 euros au titre des frais irrépétibles,
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d’appel et de rejeter les conclusions d’appel du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 modifiée ;
Vu le décret n° 93-139 du 3 février 1993 ;
Vu le décret n° 96-1008 du 18 novembre 1996 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Stéphane Hoynck, Auditeur,
les observations de Me Foussard, avocat du SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables,
les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que par un jugement du 23 mai 2001, le tribunal administratif de Melun a déclaré l’Etat responsable, sur le fondement de la rupture du principe d’égalité devant les charges publiques, de l’abandon du projet de construction du centre de tri de déchets que le SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE (SYCTOM) souhaitait construire à Vitry-sur-Seine et a ordonné une expertise afin de déterminer le montant du préjudice indemnisable ; que le ministre et le SYCTOM ont chacun fait appel de ce jugement ; que par un second jugement du 12 février 2004 rendu après expertise, le tribunal administratif a condamné l’Etat à verser au SYCTOM la somme de 17 969 597, 37 euros assortie des intérêts ainsi que les frais d’expertise ; que le ministre a fait appel de ce jugement et le SYCTOM a formé appel incident ; que, joignant les trois instances, la cour administrative d’appel de Paris a, par un arrêt du 23 mars 2005, annulé le jugement du 23 mai 2001 en tant qu’il a déclaré l’Etat responsable du préjudice allégué et le jugement en date du 12 février 2004, mis les frais d’expertise à la charge du SYCTOM et rejeté l’ensemble des conclusions présentées par ce syndicat ; que ce dernier se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
Considérant que si le SYCTOM soutient que la cour administrative d’appel a omis de se prononcer sur la responsabilité de l’Etat du fait des lois, il ressort des mémoires échangés, et notamment du mémoire du 9 octobre 2003 présenté par le SYCTOM dans l’instance n°01PA02674 que le syndicat requérant n’entendait pas invoquer les principes de la responsabilité du fait des lois ; qu’il suit de là que le moyen tiré du défaut de motivation de l’arrêt sur ce point ne peut qu’être écarté ; que le moyen tiré de ce que la cour a omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que l’Etat engageait sa responsabilité à raison de retards fautifs dans l’instruction de la demande d’autorisation au titre des installations classées manque en fait ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de l’Etat résultant de l’abandon du projet :
Considérant la loi du 13 juillet 1992 a introduit un article 10-2 à la loi du 15 juillet 1975, relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux, instituant dans chaque département l’élaboration d’un plan d’élimination des déchets ménagers qui : " dresse l’inventaire des types, des quantités et des origines des déchets à éliminer, y compris par valorisation, et des installations existantes appropriées ; / recense les documents d’orientation et les programmes des personnes morales de droit public et de leurs concessionnaires dans le domaine des déchets ; / énonce les priorités à retenir compte tenu notamment des évolutions démographiques et économiques prévisibles : /- pour la création d’installations nouvelles et peut indiquer les secteurs géographiques qui paraissent les mieux adaptés à cet effet, /- pour la collecte, le tri et le traitement des déchets afin de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement compte tenu des moyens économiques et financiers nécessaires à leur mise en oeuvre. " ; que le régime de ces plans a été modifié par la loi du 2 février 1995 qui a précisé en particulier, par une disposition aujourd’hui codifiée à l’article L. 541-15 du code de l’environnement, que les décisions prises en matière d’installations classées doivent être compatibles avec ces plans ;
Considérant qu’en raison de la nature des plans d’élimination des déchets ménagers, qui se bornent notamment à réaliser le recensement des documents d’orientation et des programmes des personnes morales de droit public et de leurs concessionnaires dans le domaine des déchets et ont pour but de programmer et coordonner toutes les initiatives en la matière, de leur mode d’élaboration et de la circonstance que, selon les dispositions alors en vigueur, ils font l’objet d’une approbation par le représentant de l’Etat, la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée du seul fait de l’abandon dans un tel plan d’une opération qui y était précédemment inscrite ;
Considérant que pour écarter la responsabilité de l’Etat à raison de l’abandon du projet, la cour a relevé que la construction du centre de tri avait été décidée le 10 décembre 1992 par le SYCTOM, qui a choisi le site de Vitry-sur-Seine le 19 octobre 1993 puis, au terme d’une procédure d’appel d’offres engagée en décembre 1993, en a ensuite confié la création et l’exploitation à la société Protiru par une convention en date du 19 avril 1994 et que la circonstance que le projet litigieux figurait dans le plan départemental d’élimination des déchets ménagers du Val de Marne approuvé par arrêté du préfet en date du 22 août 1997 en application de la loi du 13 juillet 1992 au titre du recensement des documents d’orientation et des programmes des personnes morales de droit public et de leurs concessionnaires dans le domaine des déchets mentionné à l’article 10-2 de la loi du 15 juillet 1975, ne suffisait pas à faire de ce projet un projet de l’Etat, susceptible d’engager la responsabilité de ce dernier en cas d’abandon ; qu’en statuant ainsi, la cour n’a ni dénaturé les pièces qui lui étaient soumises, ni commis d’erreur de droit sur la portée juridique du plan départemental d’élimination des déchets ménagers ;
En ce qui concerne la responsabilité de l’Etat à raison de promesses non tenues :
Considérant que la cour s’est fondée sur la circonstance que le représentant de l’Etat n’avait jamais donné d’assurances au SYCTOM et avait toujours attiré l’attention de ce dernier sur les aléas entourant la réalisation de l’usine, précisant notamment dans son intervention du 29 janvier 1996 devant le conseil général du Val-de-Marne que le projet d’usine à Vitry " n’est pour l’instant qu’un projet qui doit franchir tous les obstacles de la procédure, c’est-à-dire les procédures installations classées, enquête d’utilité publique, permis de construire . " pour juger que l’Etat n’avait pris aucun engagement formel et précis tendant à la réalisation du projet et écarter ainsi la responsabilité de l’Etat pour faute à raison de promesses non tenues ; que cette appréciation souveraine quant à l’existence et à la consistance de promesses ou engagements est exempte de dénaturation des pièces du dossier ;
En ce qui concerne la responsabilité en raison de retards illégaux dans l’instruction de la demande d’autorisation au titre des installations classées :
Considérant que c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a estimé que les illégalités invoquées par le SYCTOM dont seraient entachées plusieurs décisions prises par l’Etat en ce qui concerne le permis de construire, l’autorisation d’exploiter et la révision du plan départemental, à les supposer établies, sont sans lien avec l’abandon du projet de construction de l’usine de Vitry-sur-Seine ;
En ce qui concerne le non respect des principes généraux du droit communautaire :
Considérant que pour écarter la responsabilité de l’Etat qui résulterait d’un changement brutal de sa politique de gestion des déchets en méconnaissance des principes communautaires de confiance légitime et de sécurité juridique, la cour a relevé que si ces principes trouvaient à s’appliquer dès lors que le décret du 3 février 1993 relatif aux plans d’élimination des déchets ménagers et assimilés a été pris pour la mise en oeuvre du droit communautaire, le syndicat requérant ne pouvait se prévaloir d’une telle méconnaissance en l’espèce, dès lors que le changement de politique allégué n’était pas à l’origine de son préjudice ; qu’en jugeant ainsi qu’il n’y avait pas de lien entre le préjudice et l’attitude de l’administration, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ; que ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ; qu’il y a lieu en revanche de faire application de ces dispositions en mettant à la charge du syndicat requérant une somme de 4 000 euros à verser à l’Etat au titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE est rejetée.
Article 2 : Le SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE versera à l’Etat une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT MIXTE CENTRAL DE TRAITEMENT DES ORDURES MENAGERES DE L’AGGLOMERATION PARISIENNE et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.