CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 243335
Mme D. S.
Mlle Courrèges
Rapporteur
M. Stahl
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 mai 2003
Lecture du 11 juin 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 18 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Christine D. S., agissant pour son compte et au nom de la SARL Charentes Ambulances dont elle est la gérante et venue aux droits de son époux, M. José D. S., décédé ; Mme D. S. demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 20 décembre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement du 16 décembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de son époux tendant à l’annulation de la décision du 13 novembre 1996 du préfet de la Charente refusant le transfert à son profit de l’autorisation de mise en service des deux véhicules de transport sanitaire qu’il avait acquis ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 95-1093 du 5 octobre 1995 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
les observations de la SCP Thouin-Palat, Urtin-Petit, avocat de Mme D. S.,
les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 51-6 du code de la santé publique, alors applicable : " Dans chaque département, la mise en service par les personnes visées à l’article L. 51-2 ci-dessus de véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres est soumise à l’autorisation du représentant de l’Etat. Aucune autorisation n’est délivrée si le nombre de véhicules déjà en service égale ou excède un nombre fixé en fonction des besoins sanitaires de la population. Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles le nombre théorique de véhicules mentionné à l’alinéa précédent est fixé, ainsi que les conditions de délivrance, de transfert et de retrait des autorisations de mise en service, notamment au regard de l’agrément (...) " ; qu’aux termes de l’article 3 du décret d’application du 5 octobre 1995 : " Dans chaque département, le préfet, après avis du sous-comité des transports sanitaires, arrête le nombre théorique de véhicules prévu à l’article L. 51-6 du code de la santé publique (...) " ; qu’aux termes de l’article 11 deuxième alinéa du même décret : " En cas de cession du véhicule autorisé, ou du droit d’usage de ce véhicule, le cessionnaire peut demander au préfet le transfert à son profit de l’autorisation initiale au titre du même département. Ce transfert ne peut être refusé que pour des motifs tirés de la satisfaction des besoins sanitaires de la population ou de la situation locale de la concurrence, appréciés à la date de la décision " ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsqu’à la date à laquelle il statue, le préfet constate que le nombre de véhicules de transport sanitaire en service dans le département égale ou excède le nombre théorique qu’il a fixé par arrêté, il est tenu de rejeter les demandes d’autorisation de mise en service de tels véhicules ; qu’en revanche, lorsqu’il est saisi par les cessionnaires d’un véhicule de transport sanitaire d’une demande du transfert à leur profit de l’autorisation initiale de mise en service de ce véhicule, il lui appartient de prendre sa décision en appréciant la situation locale au regard des besoins sanitaires de la population et en tenant compte du nombre théorique de véhicules de transport sanitaire autorisés dans le département ; que, par suite, en estimant que le préfet de la Charente se trouvait en situation de compétence liée pour refuser à M. D. S. le transfert des autorisations de mise en service des deux véhicules de transport sanitaire dont il avait fait l’acquisition, en raison du dépassement du nombre théorique de véhicules dans le département, et en s’abstenant, en conséquence, d’examiner les autres moyens soulevés par l’intéressé à l’encontre de la décision préfectorale de refus litigieuse du 13 novembre 1996, la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que Mme D. S. est, dès lors, fondée à en demander l’annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, le préfet de la Charente ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour refuser à M. D. S. le transfert des autorisations de mise en service des véhicules qu’il avait acquis ; que, par suite, c’est à tort que, pour rejeter la demande de l’intéressé tendant à l’annulation de la décision préfectorale du 13 novembre 1996, le tribunal administratif de Poitiers s’est fondé sur ce motif et a écarté, en conséquence, comme inopérants les moyens soulevés par celui-ci ;
Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner ces moyens ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la demande :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 1986, " les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet doivent être motivées les décisions qui (...) refusent une autorisation (...) " ; que la décision par laquelle le préfet rejette la demande du cessionnaire d’un véhicule de transport sanitaire tendant au transfert à son profit de l’autorisation de mise en service de ce véhicule présente le caractère d’un refus d’autorisation et doit, par conséquent, être motivée en application de la loi du 11 juillet 1979 ;
Considérant que le préfet de la Charente, dans sa lettre du 13 novembre 1996, s’est borné, pour fonder son refus d’autoriser le transfert à M. D. S. des autorisations de mise en service des deux véhicules que ce dernier avait acquis, à se référer à l’alinéa 2 de l’article 11 du décret du 5 octobre 1995 et à l’arrêté préfectoral du 8 mars 1996 fixant le nombre théorique de véhicules sanitaires dans le département de la Charente ; que cette motivation, qui ne précise aucun des éléments d’appréciation qui ont servi de base à sa décision, ne satisfait pas aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. D. S. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision en date du 13 novembre 1996 du préfet de la Charente rejetant sa demande de transfert à son profit des autorisations de mise en service des véhicules de transport sanitaire qu’il avait acquis ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à verser à Mme D. S. la somme de 1 500 euros qu’elle a demandé devant la cour administrative d’appel au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 20 décembre 2001 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 16 décembre 1997 sont annulés.
Article 2 : La décision du préfet de la Charente du 13 novembre 1996 refusant à M. D. S. le transfert d’autorisations de mise en service de véhicules de transfert sanitaire est annulée.
Article 3 : L’Etat versera à Mme D. S. une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Christine D. S. et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.