CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 230631
M. et Mme DUFFAUT
M. Derepas, Rapporteur
M. Séners, Commissaire du gouvernement
Séance du 11 mai 2001
Lecture du 16 mai 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux,
Vu la requête, enregistrée le 23 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. et Mme Roland DUFFAUT, demeurant Cap Del Bosc à Mirambeau (31230) ; M. et Mme DUFFAUT demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance en date du 1er février 2001 par laquelle le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur requête tendant à la suspension de la décision d’abattage de leur troupeau bovin prise par le préfet de la Haute-Garonne le 20 décembre 2000 ;
2°) de suspendre cette décision ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 15 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le décret n° 63-301 du 19 mars 1963 ;
Vu l’arrêté du 16 mars 1990 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Derepas, Maître des requêtes,
les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. DUFFAUT,
les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, le 15 novembre 2000, le préfet de la Haute-Garonne a placé sous surveillance le troupeau de vaches laitières appartenant aux époux DUFFAUT, et a fait abattre cinq de ces vaches qui avaient réagi positivement au test de dépistage de la tuberculose ; que le préfet a prescrit le 20 décembre 2000 l’abattage des 248 autres vaches, après que les analyses pratiquées sur les vaches déjà abattues eurent confirmé que celles-ci étaient porteuses du bacille de la tuberculose bovine ; que les époux DUFFAUT se pourvoient en cassation contre l’ordonnance du 1er février 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a refusé de suspendre cette décision ;
Considérant qu’en vertu de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision administrative, peut l’ordonner à la double condition que l’urgence le justifie et qu’il soit fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que la décision contestée du préfet a été prise en application de l’article 28 de l’arrêté du 16 mars 1990 du ministre de l’agriculture qui, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 4 mai 1999, rend obligatoire l’abattage total de tout le cheptel auquel appartient un bovin ayant donné des signes cliniques de tuberculose associés à des tests à la tuberculine, ou dont la contamination est confirmée par un laboratoire agréé après constat de lésions suspectes ;
Considérant qu’en vertu des articles 1 et 4 du décret du 19 mars 1963 relatif à la prophylaxie de la tuberculose bovine, pris sur le fondement de l’ancien article 228 (devenu L. 223-8) du code rural, le ministre de l’agriculture est habilité à fixer les conditions de l’abattage des bovins reconnus infectés, mais non celles de l’abattage des autres éléments du troupeau auquel appartiennent les bovins infectés ; que si les dispositions de l’ancien article 214 (devenu L. 221-1) du même code autorisent le ministre de l’agriculture à prendre « toutes mesures destinées à prévenir l’apparition, à enrayer le développement et à poursuivre l’extinction des maladies des animaux réputées contagieuses », c’est seulement à la condition de suivre les modalités prévues par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’agriculture et du ministre chargé des finances ; qu’un tel arrêté conjoint n’est pas intervenu pour prévoir les conditions de l’abattage de bêtes qui n’ont pas été reconnues elles mêmes infectées ; qu’ainsi, le ministre de l’agriculture n’avait pas compétence pour instaurer l’obligation d’abattage susmentionnée ; que, faute pour le juge des référés d’avoir relevé d’office ce vice, qui, d’une part, ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis sans qu’il eût à porter d’appréciation sur les faits de l’espèce et, d’autre part, entachait la base légale de la décision dont la suspension était demandée, l’ordonnance attaquée doit être annulée ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant qu’eu égard aux conséquences qu’aurait l’exécution de la décision attaquée sur l’exploitation des époux DUFFAUT, et alors que la suspension de cette décision n’est pas inconciliable avec l’objectif d’éradication de la tuberculose bovine, la condition d’urgence posée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée et que l’urgence justifie de procéder à la suspension de son exécution ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à payer aux époux DUFFAUT la somme de 15 000 F ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du 1er février 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.
Article 2 : La décision du 20 décembre 2000 du préfet de la Haute-Garonne ordonnant l’abattage du cheptel des époux DUFFAUT est suspendue.
Article 3 : L’Etat est condamné à payer 15 000 F aux époux DUFFAUT.
Article 4 : La présente décision sera notifiée aux époux DUFFAUT, au préfet de la Haute-Garonne et au ministre de l’agriculture et de la pêche.