CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 359030
FEDERATION NATIONALE DES PRODUCTEURS ET ELABORATEURS DE CREMANT
M. Alain Méar
Rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Rapporteur public
Séance du 12 novembre 2014
Lecture du 3 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 avril 2012 et 24 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant dont le siège est 12, avenue de la Foire aux vins à Colmar (68000) ; la fédération demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 28 octobre 2011 relatif à l’indication géographique protégée " Var " ainsi que la décision implicite de rejet du recours administratif dirigé contre ledit arrêté ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques pour certains produits de ce secteur (règlement "OCM unique") ;
Vu le règlement (CE) n°607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d’application du règlement (CE) n°479/2008 en ce qui concerne les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Alain Méar, conseiller d’Etat,
les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant et à la SCP Didier, Pinet, avocat du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement ;
Considérant qu’en vertu du second alinéa de l’article R. 641-17 du code rural et de la pêche maritime : " L’arrêté homologuant le cahier des charges d’une indication géographique protégée relevant du règlement (CE) n° 1234/ 2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement " OCM unique ") est pris par les ministres chargés, respectivement, de l’agriculture, de la consommation et du budget. Il est fait mention de ces arrêtés au Journal officiel de la République française " ;
Considérant que, par l’arrêté attaqué du 28 octobre 2011, les ministres compétents ont homologué le cahier des charges de l’indication géographique protégée " Var ", proposé par l’Institut national de l’origine et de la qualité ; que si la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté, il ressort des termes de sa requête et notamment des moyens développés qu’elle entend attaquer cet arrêté en tant seulement qu’il étend aux " vins mousseux de qualité rouges, rosés et blancs " la possibilité de se prévaloir de l’indication géographique protégée " Var ", auparavant réservée aux seuls vins tranquilles ;
Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué :
Considérant qu’il résulte des dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que les trois signataires de l’arrêté attaqué, régulièrement nommés par des textes publiés au Journal officiel de la République française, avaient de ce fait qualité pour signer, au nom des ministres respectifs, l’arrêté litigieux ; qu’ainsi, le moyen tiré de l’incompétence de ses signataires doit être écarté ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 641-11 du code rural et de la pêche maritime : " Doivent solliciter le bénéfice d’une indication géographique protégée les produits agricoles ou alimentaires qui satisfont aux conditions posées par le règlement ( CE) n° 510/2006 (.) ou, pour les produits vitivinicoles, aux conditions posées par le règlement (CE) n° 1234/2007 ( .) et qui font l’objet, pour l’application de ces règlements d’un cahier des charges proposé par l’INAO, homologué par arrêté du ou des ministres intéressés " ; qu’aux termes du I de l’article R. 641-20-1 du même code : " I.- La demande de modification d’un cahier des charges (.) d’une indication géographique protégée (.) est soumise pour approbation au comité national compétent de l’Institut national de l’origine et de la qualité. Lorsque ce dernier estime qu’elle comporte des modifications majeures, la demande est soumise à une procédure nationale d’opposition dans les conditions prévues à l’article R. 641-13. " ; que le premier alinéa de l’article R. 641-13 du même code dispose que : " La demande de reconnaissance (.) d’une indication géographique protégée (.) est soumise à une procédure nationale d’opposition d’une durée de deux mois organisée par le directeur de l’Institut national de l’origine et de la qualité après avis du comité national compétent " ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la commission permanente du comité national des indications géographiques protégées relatives aux vins et aux cidres de l’INAO, saisie de la demande de modification du cahier des charges de l’IGP " Var ", a estimé que cette demande comportait des modifications majeures et demandé, en conséquence, l’ouverture d’une procédure nationale d’opposition ; qu’à l’issue de cette procédure, la commission permanente, à nouveau saisie de la demande de modification, a proposé aux ministres compétents d’homologuer le cahier des charges ; que cette proposition doit être regardée comme une approbation des modifications apportées à ce cahier des charges ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce qu’il ne serait pas établi que la commission permanente du comité national compétent ait approuvé la modification du cahier des charges doit être écarté ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 642-7 du code rural et de la pêche maritime : " Exception faite du comité national de l’agriculture biologique, chaque comité national, pour les produits et signes d’identification de la qualité et de l’origine qui relèvent de sa compétence : / 1° Propose la reconnaissance des signes d’identification de la qualité et de l’origine pour les produits au bénéfice desquels ils sont sollicités ; (.). " ; qu’aux termes de l’article R. 642-8 du même code : " Une commission permanente, (.), composée de vingt membres au plus, est constituée par chaque comité national lors de sa première réunion. Sa présidence est assurée par le président du comité national. / La commission permanente a compétence pour traiter des affaires courantes du comité national et exercer les attributions qui lui sont, le cas échéant, déléguées par le comité. " ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’en application de ces dispositions, le comité national compétent a délégué à sa commission permanente, par une délibération du 2 février 2010, le soin d’approuver les cahiers des charges devant être transmis à la Commission européenne avant le 31 décembre 2011 ; que dès lors, la fédération requérante n’est pas fondée à soutenir que la commission permanente n’était pas compétente pour approuver la modification du cahier des charges litigieux ;
Considérant que si le deuxième alinéa de l’article L. 642-9 du code rural et de la pêche maritime dispose que la composition des comités nationaux de l’Institut national de l’origine et de la qualité " assure une représentation équilibrée des différents secteurs et signes en cause ", aucune disposition législative ou réglementaire n’impose une telle obligation s’agissant des commissions permanentes qui émanent des comités nationaux ; que dès lors, le moyen tiré de ce que la commission permanente compétente n’aurait pas siégé dans une composition régulière lorsqu’elle a proposé l’homologation du cahier des charges litigieux doit être écarté ;
Considérant qu’aucune disposition n’impose la constitution d’une commission d’enquête préalablement à la reconnaissance d’une appellation ; que le " guide du demandeur d’une indication géographique protégée " publié sur le site internet de l’INAO se borne à prévoir que son comité national " nomme, s’il l’estime justifié, une commission d’enquête " ; que dès lors, la fédération requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l’arrêté qu’elle attaque aurait dû être pris après la nomination d’une commission d’enquête sur l’extension du bénéfice de l’indication géographique protégée " Var " aux vins mousseux de qualité ;
Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :
Considérant que, pour le secteur vitivinicole, le b) du paragraphe 1 de l’article 118 ter du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement " OCM unique) définit l’indication géographique protégée comme : " une indication renvoyant à une région, à un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, à un pays, qui sert à désigner un produit (.) : / i) possédant une qualité, une réputation ou d’autres caractéristiques particulières attribuables à cette origine géographique (.) " ; que selon le 2 de l’article 118 quater du même règlement : " Le cahier des charges permet aux parties intéressées de vérifier le respect des conditions de production associées à l’appellation d’origine ou à l’indication géographique. / Il comporte au minimum les éléments suivants : / (.) g) les éléments qui corroborent le lien visé (.) à l’article 118 ter, paragraphe 1, point b) i) " ; qu’enfin, l’article 7 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d’applications du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole dispose que : " 1. Les éléments qui corroborent le lien géographique (.) expliquent dans quelle mesure les caractéristiques de la zone géographique délimitée influent sur le produit final (.) 3. Pour une indication géographique, le cahier des charges contient : a) des informations détaillées sur la zone géographique contribuant au lien ; / b) des informations détaillées sur la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques spécifiques du produit découlant de son origine géographique ; / c) une description de l’interaction causale entre les éléments visés au point a) et ceux visés au point b). / 4. Pour une indication géographique, le cahier des charges précise si l’indication se fonde sur une qualité ou une réputation spécifique ou sur d’autres caractéristiques liées à l’origine géographique. " ;
Considérant qu’il résulte clairement de ces dispositions que l’homologation d’un cahier des charges d’une indication géographique protégée, qui n’est pas une simple indication de provenance géographique, ne peut légalement intervenir que si ce cahier précise les éléments qui permettent d’attribuer à une origine géographique déterminée une qualité, une réputation ou d’autres caractéristiques particulières du produit qui fait l’objet de l’indication et met en lumière de manière circonstanciée le lien géographique et l’interaction causale entre la zone géographique et la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques du produit ; qu’il découle en outre nécessairement de ces mêmes dispositions qu’elles ne permettent de reconnaître un lien avec une origine géographique que pour une production existante, attestée dans la zone géographique à la date de l’homologation et depuis un temps suffisant pour établir ce lien ; qu’enfin, celui-ci doit être établi pour un produit déterminé et ne peut donc procéder d’une analogie avec un autre produit, même voisin ;
Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier qu’une production de vins mousseux dans l’aire de l’indication géographique protégée " Var " est attestée depuis le début du XXème siècle et que, depuis cette date, l’antériorité de cet usage viticole est continue ;
Considérant, en second lieu, qu’il ressort du cahier des charges de l’indication géographique protégée " Var " qu’il comporte notamment, dans ses points 7.2 et 7.3, des développements sur les caractéristiques organoleptiques des vins mousseux qui résultent des spécificités des cépages localement implantés, le savoir faire des producteurs, la notoriété et la réputation de ces vins mousseux, en particulier des vins rosés, mesurées par des études émanant de cabinets indépendants ; qu’ainsi, l’existence d’un lien avec l’origine géographique doit être regardée comme établie pour les "vins mousseux de qualité rouges, rosés et blancs" par ce cahier des charges ; que dans ces conditions, le moyen tiré de que l’homologation de l’arrêté attaqué procèderait d’une erreur manifeste d’appréciation en l’absence d’un tel lien doit être écarté ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant la somme de 1 000 euros à verser à l’ Etat et à l’Institut national de l’origine et de la qualité, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’en revanche, ses conclusions tendant à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ne peuvent qu’être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant est rejetée.
Article 2 : La Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant versera à l’Etat et à l’INAO la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant, au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, et à l’Institut national de l’origine et de la qualité.