LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre du 14 octobre 1986, par laquelle le ministre de l’économie,
des finances et de la privatisation a saisi la Commission de la concurrence
d’un dossier relatif à des pratiques anticoncurrentielles relevées
dans le secteur de l’optique dans le département de la Loire ;
Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées
relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 modifié
pris pour son application ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par les parties ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - CONSTATATIONS
Par une convention conclue en 1972 entre la Mutuelle chirurgicale et
médicale de la Loire (M.C.M.L.) et la Chambre syndicale des opticiens
de la région Rhône-Alpes (C.S.O.R.A.) les opticiens du département,
membres de la chambre syndicale, accordent aux adhérents de la M.C.M.L.
ayant opté pour la garantie Optique, sur présentation d’une
ordonnance médicale, une remise sur les fournitures de lunetterie,
verres, montures, étuis et verres de contact dont le prix est supérieur
au tarif interministériel. La remise est versée à
l’adhérent par la M.C.M.L. en complément de ses prestations
propres. En application de ce dispositif, là C.S.O.R.A. notifie
chaque année à la M.C.M.L. la liste des opticiens signataires
de la convention. La M.C.M.L. est ainsi en mesure de communiquer
à ses adhérents la liste des opticiens concernés,
lesquels reçoivent un panonceau, à apposer dans leur magasin,
signalant à la clientèle leur agrément à la
M.C.M.L.
L’application de la convention a été faite, jusqu’au terme
de l’année 1984, sans que des opticiens aient fait l’objet d’une
exclusive, soit en raison de leur appartenance syndicale, soit en raison
de leur politique commerciale. Elle est alors dénoncée
par des opticiens signataires, regroupés au sein d’une nouvelle
organisation, indépendante de la C.S.O.R.A., le Groupement des opticiens
de la Loire (G.O.L.). De nouvelles conventions ont alors été
successivement conclues en date des 14 décembre 1984, 19 décembre
1986 et 29 mars 1988, cette dernière n’étant pas encore entrée
en vigueur au jour de la présente décision.
a) La convention du 14 décembre 1984
La convention, en date du 14 décembre 1984, signée entre
la M.C.M,L. et le G.O.L., permet à ce dernier de contrôler
les demandes d’adhésion des opticiens à ladite convention.
En effet, en application de son article 7, « la M.C.M.L. s’engage
à ne pas signer d’autre convention avec d’autres points de vente
que ceux mentionnés sur la liste des membres du G.O.L. qui lui sera
communiquée par ce dernier ». Il résulte des pièces
n°15 versées au dossier que la remise offerte aux adhérents
se trouve par ailleurs limitée à 90 F, alors qu’elle était
précédemment fixée à 1 0 p. 1 00 sans limitation
et calculée « sur la totalité des frais réels
».
L’instruction a révélé que, dans son application,
la convention a interdit à un distributeur, ayant fait de la fourniture
de montures de lunettes « à prix coûtant » un
argument commercial, de participer au système de remise, sa demande
d’adhésion au G.O.L. ayant été rejetée.
A la suite d’une enquête administrative, par un avenant à
la convention en cause en date du 20 décembre 1985, le G.O.L. a
accepté le principe de la signature par la M.C.M.L. d’une convention
identique avec d’autres points de vente du département. La
M.C.M.L. n’a toutefois pas admis l’adhésion du distributeur susmentionné.
b) La convention du 19 décembre 1986
Une nouvelle convention, en date du 19 décembre 1986 (pièces
n°15), a été conclue entre le G.O.L. et la Mutualité
de la Loire laquelle se substitue à la M.C.M.L. La Mutualité
de la Loire regroupe 95 p. 100 des mutualistes du département ;
elle contrôle des centres optiques mutualistes concurrents des autres
opticiens.
La convention réaffirme, par inadvertance selon les déclarations
faites à l’instruction par les intéressés, le principe
de l’exclusivité antérieurement consentie au G.O.L. pour
l’agrément des opticiens pouvant participer au système des
remises. La disposition en cause est toutefois éphémère
puisqu’un avenant du 8 janvier 1987, modifiant J’article 7 de la convention,
lui substitue un accord tendant seulement à rendre obligatoire l’information
du G.O.L., par la Mutualité de la Loire, de tout projet d’adhésion
à la convention de points de vente non membres du G.O.L. L’article
2 de la convention reprend par ailleurs la disposition figurant au même
article de la convention précédente et prévoyant un
plafond de remise dont le montant, indexé, a été fixé
à 95 F.
Les demandes d’adhésion formulées auprès de la
Mutualité de la Loire par le distributeur vendant « à
prix coûtant » sont demeurées insatisfaites.
c) La convention du 29 mars 1988
En réponse au rapport qui lui a été notifié,
la Mutualité de la Loire a présenté le texte, signé
des deux parties, d’une nouvelle convention modifiant en particulier les
articles 2 et 7 de la convention antérieure. L’article 2 nouveau
stipule ainsi que le fournisseur de l’adhérent mutualiste, membre
du G.O.L. offre une remise qui « sera au minimum de 10 p. 100 sur
les 1 000 premiers francs de frais réellement payés au fournisseur.
Au-delà de ce plancher, cette remise est laissée à
la discrétion de chaque fournisseur opticien ». Par ailleurs,
l’article 7 prévoit que « la Mutualité de la Loire
garde la libre disposition de signer toute convention ayant le même
objet avec des opticiens autres que ceux mentionnés sur la liste
des membres du G.O.L. ».
II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE
LA CONCURRENCE
Sur les textes applicables :
Considérant que, dans le cas où les faits constatés
sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte
de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance
du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées
par celle-ci sont reprises par le nouveau texte , que l’ordonnance du 1er
décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques
anticoncurrentielles et de décision, antérieurement dévolus
au ministre chargé de l’économie, sont confiés au
Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa
de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation
et de procédure établis conformément aux dispositions
de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient
visées par les dispositions du premier alinéa de l’article
50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de
son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à
celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er
décembre 1986 ,
Considérant que les faits ci-dessus constatés sont successivement
antérieurs et postérieurs au 1er décembre 1986 ; qu’il
y a donc lieu de les qualifier sur les fondements respectifs de l’article
50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 et de l’article 7 de l’ordonnance
n°86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Sur la convention du 14 décembre 1984 conclue entre la M.CM.L.
et le G.O.L. et son avenant du 20 décembre 1985 :
Considérant que la convention du 14 décembre 1984 et son
avenant du 20 décembre 1985 sont antérieurs au 1er décembre
1986 : que dès lors les faits constatés relèvent de
l’application des articles 50 et 51 de l’ordonnance n°45-1483 du 30
juin 1945 ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte des stipulations
de l’article 7 de cette convention que la M.C.M.L. s’est engagée
à ne signer d’autres conventions qu’avec les entreprises figurant
sur une liste établie par le G.O.L. ; qu’ainsi a été
établi entre les signataires un dispositif permettant au G.O.L.
d’exclure unilatéralement des entreprises du bénéfice
du régime conventionnel admis par la mutuelle ;
Considérant, d’autre part, qu’en vertu de l’article 2 de la convention,
les opticiens membres du G.O.L. sont convenus de limiter le niveau de la
remise accordée aux mutualistes (pièces n°15) , que l’instruction
a mis en évidence l’existence d’un taux de remise unique, de 10
p. 100 sur la totalité des frais réels, « avec un plafond
limité pour chaque fourniture à 900 F, ce qui donne un plafond
de remise de 90 F » , que l’article 2 ne prévoit en aucune
façon la possibilité pour les opticiens d’octroyer à
la clientèle des remises complémentaires -,
Considérant qu’il résulte du rapprochement des articles
2 et 7 de la convention conclue entre la M.C.M.L. et le G.O.L. que celle-ci
a eu pour objet ou a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence
entre opticiens agréés et non agréés par le
G.O.L. et entre les membres de ce dernier groupement ; que ces stipulations,
de même que les conditions d’application de l’avenant du 20 décembre
1985, tombent sous le coup de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483
du 30 juin 1945 ; que les dispositions de son article 51, en l’absence
de toute justification tirée d’une contribution au progrès
économique, ne sont pas applicables ; que les faits constatés
sont également contraires aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance
n°86-1243 du 1er décembre 1986 , qu’il y a donc lieu d’infliger
de ce chef des sanctions pécuniaires ;
Sur la convention du 19 décembre 1986 conclue entre la Mutualité
de la Loire et le G.O.L. et son avenant du 8 janvier 1987 :
Considérant que la convention du 19 décembre 1986 et son
avenant du 8 janvier 1987 sont postérieurs à la date d’entrée
en vigueur de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ;
que, dès lors, la portée de ces clauses contractuelles doit
être appréciée par référence aux dispositions
des articles 7 et 10 de ladite ordonnance ;
Considérant, d’une part, que l’article 2 de la nouvelle convention
contient une stipulation identique à celle de la convention précédente
en ce qu’il limite le niveau de la remise accordée aux mutualistes
(pièces n°15), que, pas plus que la précédente,
la convention ne prévoit la possibilité pour les opticiens
d’octroyer des remises supplémentaires à la clientèle
;
Considérant, d’autre part, que si la nouvelle convention a mis
fin au système d’exclusivité dont le G.O.L. bénéficiait,
il y a été substitué, par l’article 7 nouveau, un
système d’échange d’informations entre les parties, préalable
à la signature de toute convention identique avec d’autres opticiens
; qu’ainsi le G.O.L. est à même d’exercer, au cours de cette
concertation préalable et obligatoire en matière d’adhésion
au régime conventionnel, une influence certaine sur la mutuelle
et, le cas’ échéant, sur l’entreprise intéressée
;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
qu’en dépit des aménagements apportés, les stipulations
des articles 2 et 7 de la nouvelle convention conclue entre la Mutualité
de la Loire et le G.O.L. sont de nature à empêcher, restreindre
ou fausser le jeu de la concurrence, et entrent ainsi dans le champ d’application
de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986
;
Considérant que les dispositions du 1 de l’article 10 de l’ordonnance
susvisée ne sont pas applicables aux stipulations précitées
de la convention ; que le fait que les parties proposent de renoncer à
ces stipulations indique que cellesci ne sont pas indispensables à
la bonne exécution de la convention , qu’ainsi, en l’absence de
toute justification tirée d’une contribution au progrès économique,
les dispositions du 2 de l’article 10 de l’ordonnance ne sont pas applicables
,
Sur la convention du 29 mars 1988 conclue entre la Mutualité
de la Loire et le G.O.L. :
Considérant que la convention du 29 mars 1988 conclue entre la
Mutualité de la Loire et le G.O.L. a notamment pour objet de remplacer
les articles 2 et 7 de la convention du 19 décembre 1986 et de son
avenant du 8 janvier 1987 par de nouvelles stipulations modifiant le système
de remise et éliminant la procédure d’échange d’informations
; que ces nouvelles stipulations, analysées au 1 c de la présente
décision, n’encourent pas les critiques formulées à
l’encontre des clauses antérieures ayant le même objet ; que,
dans ces conditions, et sous réserve de la mise en application effective
des articles 2 et 7 nouveaux, il n’y a pas lieu de prononcer de ce chef
une injonction à l’encontre des parties à la convention,