LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 12 août 1986 par laquelle le ministre
d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de la privatisation
a saisi la Commission de la concurrence de pratiques relevées sur
le marché du sel ;
Vu les ordonnances n°45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées,
respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son
application ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par les parties ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - CONSTATATIONS
Le sel, ou chlorure de sodium, a de nombreux usages. Utilisé
pour l’alimentation humaine, il est aussi employé dans l’agriculture,
dans de nombreuses industries et en voirie pour le déneigement des
routes. Il peut être produit soit dans des marais salants,
ou salins, soit par la méthode thermique mise en oeuvre dans les
salines, soit par extraction des gisements salifères ;’ les sels
produits selon ces diverses méthodes sont respectivement le sel
de mer, le sel ignigène et le sel gemme. Le sel cristallisé
peut aussi être coproduit ou sous-produit dans de nombreuses activités
industrielles, notamment la production de la potasse : ainsi le traitement
de la sylvinite en vue de la production du chlorure de potassium donne
du chlorure de sodium ; le sel ainsi obtenu est appelé « sel
thermique ».
Si l’on excepte le sel autoconsommé par certaines grandes entreprises
de l’industrie chimique, les principaux producteurs français de
sel sont la Compagnie des salins du Midi et des salines de l’Est (C.S.M.E.)
qui est la seule à produire du sel gemme et qui fournit 99 p. 100
du sel de mer français, la société Solvay et Cie qui
produit du sel ignigène, et la Société des mines de
potasse d’Alsace (M.D.P.A.), appartenant au groupe Entreprise minière
et chimique qui produit du sel thermique commercialisé exclusivement
par une filiale du même groupe, la Société commerciale
des potasses et de l’azote (S.C.P.A.). Si la C.S.M.E. intervient sur l’ensemble
des marchés du sel, la société Solvay est essentiellement
présente sur le marché des sels alimentaires tandis que 90
p. 100 du sel vendu par la S.C.P.A. est destiné au déneigement.
L’enquête administrative, qui a porté sur la totalité
des marchés du sel, a débuté par une saisie de documents
réalisée au siège du Comité des salines de
France, organisation professionnelle regroupant les producteurs français
de sel ; le procès-verbal de cette saisie, qui constitue lacs interruptif
du délai de prescription, a été dressé le 17
juillet 1984.
Seuls deux des marchés du sel sont concernés par les pratiques
à qualifier : celui du sel à usage de déneigement
d’une part, celui du sel de l’Ouest récolté par de petits
producteurs implantés dans la presqu’île de Guérande
et les îles de Ré et de Noirmoutier d’autre part.
A. - Le sel de déneigement
1°) Les caractéristiques du marché
Le sel a commencé d’être utilisé pour déneiger
le chaussées au début des années 1960 ; son usage
s’est depuis, largement répandu.
L’offre est très concentrée puisque deux fournisseurs
la C.S.M.E. et la S.C.P.A., satisfont à eux seuls entre 90 et 99
p. 100 des besoins nationaux, la société Solvay n’intervenant
que pour la part restante. Le sel thermique vendu par la S.C.P.A.,
produit près de Mulhouse, est commercialisé sous trois appellations
qui correspondent à autant de qualités : le « tout-venant
essoré », d’une teneur en chlorure de sodium comprise entre
84 et 88 p. 100, le « standard essoré » - qualité
la plus vendue - d’une teneur égale à 90-92 p. 100 et le
« standard séché ». Le sel gemme extrait par
la C.S.M.E. de sa mine située à Varangéville, près
de Nancy, est vendu, dans sa qualité courante, sous le nom de «
spécial déneigement » (dont la pureté est légèrement
supérieure à celle du « standard essoré »
de la S.C.P.A.) et dans sa qualité supérieure, sous l’appellation
de « n° 4 calibré ». La C.S.M.E. écoule également
sur le marché du déneigement une partie de sa production
de sel de mer récolté dans ses importants salins de Camargue.
Ce sel est d’une grande pureté.
L’Etat et les départements absorbent, pour l’entretien de leurs
réseaux routiers en hiver, les deux tiers des quantités de
sel de déneigement vendues en France. Le surplus de la demande provient
des sociétés concessionnaires d’autoroutes, des communes
et des entreprises. Ces utilisateurs ont des besoins saisonniers et répugnent
à constituer des stocks trop importants ; aussi, les livraisons
qui doivent parfois être effectuées d’urgence sont-elles réalisées
à raison de 80 p. 100 au cours des mois de novembre à mars.
Les besoins en sel de déneigement étant nécessairement
dépendants des conditions climatiques, la demande se caractérise
à la fois par une nette prépondérance des régions
du Nord et de l’Est de la France et par une grande instabilité qui
interdit toute prévision fiable d’une année sur l’autre quant
aux débouchés du marché : si les ventes ont atteint
1 million de tonnes en 1979 et 1 400 000 tonnes en 1985, elles n’ont porté
que sur 512 000 tonnes en 1983 et 590 000 tonnes en 1984.
Même si des acheteurs sont Fidèles à certaines qualités
de sel - le sel de mer bénéficiant à cet égard
d’un attachement particulier en raison de sa pureté -, les produits
proposés par les deux principaux fournisseurs sont assez largement
interchangeables, surtout en ce qui concerne les qualités les plus
vendues : le « spécial déneigement » de la C.S.M.E.
et le « standard essoré » de la S.C.P.A. Aussi les acheteurs
se déterminent-ils principalement en fonction du prix final proposé
ou prix « rendu » qui est égal au prix du produit au
départ du lieu de production (prix « départ »)
auquel s’ajoute le prix du transport. Ce dernier peut être
d’un montant égal ou supérieur au prix « départ
» lorsque le point de livraison est éloigné des lieux
de production. Ceux-ci étant peu nombreux - un pour la S.C.P.A.,
deux pour la C.S.M.E. -, le prix du transport représente, en tout
état de cause, une part importante du prix « rendu » consenti
dans la plupart des régions, compte tenu, en outre, du caractère
pondéreux et de la faible valeur du sel.
2°) Les comportements des entreprises
Peu après son entrée au Comité des salines de France,
organisation professionnelle qui regroupe les producteurs français
de sel, la S.C.P.A., qui pratiquait alors des prix très inférieurs
à ceux de la C.S.M.E., a été l’objet, en août
1974, de la part de cette dernière, de sollicitations tendant à
ce qu’elle agisse pour « limiter sa concurrence » (pièce
n°254, feuillets 54 à 58) ; la C.S.M.E. proposait, notamment,
une « clause de tonnage : 50-50 p. 100 », la S.P.C.A. considérant,
quant à elle, que cette proposition « pourrait être
à 60 p. 100 S.C.P.A., 40 p. 100 C.S.M.E. ». Au début
de l’année 1976, les responsables des ventes du sel de déneigement
de ces deux sociétés ont mis au point, ensemble, une étude
qui divisait le territoire national en cinq zones et qui fixait les parts
de marché devant être réalisées par les deux
fournisseurs dans chaque département, à l’exception de ceux
compris dans une zone dite « de tonnages marginaux » où
les livraisons pourraient être « réalisées librement
par l’un et l’autre producteur » (pièce n°254, feuillets
131, 132, 134 à 151). Le cumul des parts de marché
départementales attribuées à chaque fournisseur devait
aboutir à conférer à la S.C.P.A. 59,7 p. 100 des tonnages
livrés et 40,3 p. 100 à la C.S.M.E.
a) L’accord de répartition du marché
Dans une note datée du 4 novembre 1982 (pièce n°256,
feuillet 2), le responsable de la division « Produits industriels
» de la S.C.P.A. faisait part à sa direction générale
des contacts établis avec le directeur commercial de la C.S.M.E.
à propos d’éventuelles livraisons de sel de déneigement
en provenance d’Allemagne de l’Est et indiquait que ce sel pourrait être
acheté par la C.S.M.E., auquel cas les responsables de cette société
demandaient de « pouvoir vendre ce tonnage hors quota ». Une
autre note du même représentant de la S.C.P.A. en date du
6 juin 1984 (pièce n°256, feuillet 1), sur laquelle a été
portée la mention : « Confidentiel », et qui est intitulée
« Quotas sur le marché français du sel » précise
: Actuellement, le marché français du sel de déneigement
est livré par trois producteurs : la C.S.M.E., nous-mêmes
et Solvay. Le tonnage de Solvay est d’approximativement 15 000 tonnes
par an, ce qui, pour un marché - qui, en moyenne entre les bonnes
et les mauvaises années, atteint 750000 tonnes - représente
2 p. 100. La totalité du marché, hormis Solvay, se
partage entre les Salins et nous-mêmes suivant un accord tacite sur
la base de 60 p. 100 S.C.P.A. et 40 p. 100 C.S.M.E. Actuellement un rapprochement
a eu lieu entre C.S.M.E. et Solvay, dont le but serait d’obtenir que Solvay
renonce totalement à livrer le marché du sel de déneigement.
Cela arrangerait la C.S.M.E. Cela pourrait également nous convenir...
la C.S.M.E. souhaiterait que les 15 000 tonnes en question (dont 5 000
tonnes achetées par nous) lui soient entièrement attribuées
dans le cadre de nos quotas, c’est-à-dire que sa part théorique
s’élève entre 41 p. 100 et 42 p. 100. »
Plusieurs documents internes de la S.C.P.A. font cependant état
d’un objectif de contrôle de part de marché par cette société
supérieur à 60 p. 100 l’un d’eux, datant du 21 mai 1984,
indiquant notamment « notre implantation doit impérativement
atteindre 60 p. 100 et même 65 p. 100, en raison du retard des deux
dernières campagnes » (annexe n°256, feuillet 200) ;
Au cours des années 1981 à 1985, la part de la S.C.P.A.
dans les tonnages livrés par cette société et la C.S.M.E.
s’est élevée en 1981 à 61 p. 100, en 1982 à
59 p. 100, en 1983 à 56 p. 100, en 1984 à 61 p. 100, et en
1985 à 54,2 p. 100.
b) Les échanges d’informations sur les ventes
Des documents saisis dans les locaux de la S.C.P.A. montrent que cette
société échangeait avec la C.S.M.E. des tableaux statistiques
détaillés retraçant les tonnages livrés au
cours de l’année écoulée dans chaque département,
selon les catégories de clientèle (pièce ne 256, feuillets
45 à 48, 56 à 62, 174 à 177, 203 à 226).
Sur la page de présentation des tableaux statistiques de l’année
1983 figure la mention « A détruire après consultation
» (même pièce, feuillet 203). A partir des informations
obtenues, la S.C.P.A. calculait chaque année la part de marché
réalisée par elle dans tous les départements.
Si les pièces saisies ne révèlent l’existence de ces
échanges d’informations que pour les années 1980 à
1983, le responsable des ventes de sel de déneigement de la S.C.P.A.
a affirmé que leur mise en oeuvre avait débuté en
1976, lors de l’élaboration de l’étude mise au point avec
la C.S.M.E., et qu’ils s’étaient poursuivis ensuite jusqu’en 1984.
B. - Le sel de l’Ouest
1°) Les caractéristiques du marché
La production du sel de l’Ouest, appelé aussi « sel gris
», est le fait de petits exploitants ou « paludiers »
dont la plupart sont regroupés dans des organisations correspondant
aux trois principales zones de production. Le Groupement des producteurs
de sel de la presqu’île de Guérande, la Coopérative
des producteurs de l’île de Noirmoutier et la Coopérative
agricole des producteurs de sel de l’Ouest de la Charente-Maritime sont,
en outre, réunis dans la Fédération des producteurs
de sel de l’Atlantique qui a son siège au Comité des Salines
de France.
Les quantités récoltées annuellement varient dans
d’importantes proportions en fonction des conditions climatiques : si plus
de 10 000 tonnes ont pu être produites en 1979, l’année 1983
n’a connu qu’une récolte de 1 800 tonnes. En tout état
de cause, la part des sels de l’Ouest dans le total de la production française
de sel de mer est extrêmement réduite ; ainsi, en 1982, année
où la production locale atteignit 9 840 tonnes, cette part était
seulement de 0,64 p. 100.
Les débouchés du sel de l’Ouest sont principalement régionaux.
La clientèle est composée de particuliers attachés
aux qualités diététiques de ce sel et qui l’achètent
dans le commerce de détail en paquets de 1 kg, ainsi que de fabricants
locaux de produits alimentaires et de laboratoires.
2°) Les comportements des fournisseurs
a) La commercialisation du sel de Guérande
Principal fournisseur de sel de l’Ouest, le Groupement des producteurs
de sel de la presqu’île de Guérande a été constitué
en 1972 sous forme de syndicat professionnel à la suite de graves
problèmes de mévente et à l’instigation des pouvoirs
publics. Cette organisation, qui regroupe 180 exploitants, a pour
objet, notamment, de régulariser les cours et d’organiser la production,
le stockage et la commercialisation du sel de la presqu’île de Guérande.
Son règlement intérieur prévoit que chaque adhérent
doit livrer au groupement la totalité de sa récolte ; il
est toutefois admis que les adhérents puissent eux-mêmes vendre
sur le bord des routes, en été, une fraction de leur sel
qui ne doit cependant pas dépasser 10 p. 100 de la récolte
de l’année. Le stockage du sel, organisé par le groupement,
est effectué soit dans les « salorges » appartenant
à ce dernier, soit chez l’exploitant, soit dans les magasins des
négociants agréés.
Propriétaire du sel livré par ses adhérents, le
Groupement des producteurs de la presqu’île de Guérande en
assure la vente auprès de négociants à un prix appelé
« prix à la production » à, déterminé
chaque année au cours d’assemblées des exploitants.
En vertu de l’article 9 du règlement intérieur du groupement,
ce dernier établit des « contrats de vente prioritaires »
avec les négociants qui « s’engageront formellement à
promouvoir le sel de l’Ouest et à en développer la vente
au maximum ». Ces négociants, doivent également s’engager,
en vertu de l’article Il du même règlement, à «
n’acheter du sel de l’Ouest en dehors du groupement que lorsque celui-ci
ne pourra pas leur en fournir ». Enfin, l’article 13 du règlement
intérieur prévoit que « le groupement établira
les marges bénéficiaires des négociants et en vérifiera
les factures ».
La vente du sel du Groupement des producteurs de Guérande est
exclusivement réservée à trois négociants agréés
par ce dernier ; il s’agit de la Compagnie des Salins du Midi et des Salines
de l’Est (C.S.M.E.) qui dispose sur place, à Batz-sur-Mer, d’un
établissement dénommé Codisel, de la Société
des établissements Clément, filiale à 100 p. 100 de
la société Soivay et de la société La Salorge
de Guérande, filiale de la société Tipiak, qui a succédé
en 1983 aux établissements Le Callo. Ces trois sociétés
assurent non seulement la vente du sel de la presqu’île de Guérande
auprès, notamment, du commerce de détail, mais aussi le conditionnement
de ce sel.
Les prix mentionnés dans les barèmes de ces trois négociants
agréés sont fixés au cours de réunions auxquelles
participent les producteurs et ces négociants ; les hausses des
tarifs pratiquées par ces derniers reflètent généralement
les augmentations des prix à la production.
De 1978 à 1984, des quotas ont été attribués
aux trois négociants agréés : chacun d’eux ne pouvait
acheter du sel au groupement qu’à proportion de sa part dans le
total des achats faits auprès de ce dernier au cours de l’année
précédente. Cette part était de 66,5 p. 100
pour la C.S.M.E., 20,5 p. 100 pour les établissements Le Callo puis
pour la société La Salorgue de Guérande, et 13 p.
100 pour la Société des établissements Clément.
Bien que ces quotas aient été supprimés, la répartition
des achats de sel du groupement entre les négociants agréés
est restée sensiblement la même.
b) La concertation sur les prix entre les régions de production
Les producteurs de la presqu’île de Guérande, ceux de l’île
de Ré et ceux de l’île de Noirmoutier ont échangé,
notamment au cours des derniers mois de l’année 1981 et de l’année
1982, des informations sur les prix de leurs sels (pièce n°323,
feuillets 61 et 62 ; pièce n°368, feuillets 30 et 31 ; pièce
n°325). La coopérative de Noirmoutier qui n’a commercialisé
en 1982 que des sacs de 50 kilos a adopté le prix de vente figurant
dans le tarif du groupement des producteurs de Guérande. Les
hauss es de prix pratiquées par ces derniers et par les producteurs
de l’île de Ré ont été identiques en 1981, 1983
et 1984.
II. - A LA LUMIèRE DES CONSTATATIONS QUI PRéCèDENT,
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Sur la prescription :
Considérant que le procès-verbal de saisie susmentionné
du 17 juillet 1984 a interrompu le cours de la prescription ; que les faits
antérieurs au 17, juillet 1981 ne peuvent, par conséquent,
être qualifiés par le Conseil de la concurrence ; qu’ils peuvent
cependant être relatés à seule fin de permettre la
compréhension des griefs retenus et relatifs à des faits
encore susceptibles d’être sanctionnés.
Sur les textes applicables :
Considérant que, dans le cas où les faits constatés
sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte
de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance
du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées
par celle-ci sont reprises par le nouveau texte ; que l’ordonnance du 1er
décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques
anticoncurrentielles et de décision, antérieurement dévolus
au ministre chargé de l’économie, sont confiés au
Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa
de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation
et de procédure établis conformément aux dispositions
de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient
visées par les dispositions du premier alinéa de l’article
50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de
son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à
celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er
décembre 1986,
Sur l’application de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du
30 juin 1945 :
En ce qui concerne le sel de déneigement
Considérant que les deux notes susanalysées du 4 novembre
1982 et du 6 juin 1984, qui émanent d’un haut responsable de la
S.C.P.A., doivent, contrairement à ce que prétendent les
parties, être interprétées comme signifiant que les
deux principaux fournisseurs de sel de déneigement s’étaient
entendus pour stabiliser leurs parts respectives de marché ; que
les deux sociétés concernées ne sont pas fondées
à soutenir que lesdites notes se référaient à
un équilibre naturel du marché ou à un simple objectif
d’implantation que se serait fixée à elle-même la S.C.P.A.
, qu’en effet, ces notes font expressément état de demandes
de la C.S.M.E. tendant à déterminer, en concertation avec
la S.C.P.A., par rapport à des « quotas » et à
un « accord tacite » de partage du marché, l’attitude
à adopter face à d’éventuelles importations de sel
de déneigement en provenance d’Allemagne de l’Est ou à une
interruption possible des ventes de sel de déneigement assurées
par la société Soivay ; qu’ainsi lesdites notes constituent
des preuves de l’existence d’un accord entre la S.C.P.A. et la C.S.M.E.
visant à se répartir le marché , que ces preuves ne
sont pas infirmées par les notes émanant de la S.C.P.A. et
témoignant de la volonté de celle-ci d’accroître légèrement
sa part de marché ; qu’un tel accord a nécessairement pour
objet de restreindre la concurrence ; que s’il est vrai qu’une concurrence
par les rabais s’est manifestée dans certains cas et que les positions
respectives des deux sociétés ont évolué, parfois
substantiellement, dans plusieurs départements, un tel accord a
pu néanmoins affecter le comportement global des entreprises dans
le sens d’une atténuation de la concurrence ; que si les parts nationales
de marché des deux entreprises n’ont pas été, chaque
année, conformes à celles prévues dans l’accord, elles
n’en ont. pas moins été très proches en 1981, 1982
et 1984, c’est-à-dire chaque fois que les conditions climatiques
n’ont pas revêtu un caractère exceptionnel soit en raison
de l’intensité des chutes de neige, comme en 1985, soit en raison
de la répartition géographique de celles-ci, comme en 1983
;
Considérant qu’en raison de la situation quasiment duopolistique
qui le caractérise et de l’influence importante des coûts
de transport sur les prix - qui rigidifie, dans une certaine mesure, les
parts de marché - le marché du sel de déneigement
ne se prête pas à l’exercice d’une vive concurrence , que,
toutefois, ces caractéristiques du marché, dont les sociétés
en cause se prévalent, n’en rendent que plus contestable un accord
ayant pour objet de réduire davantage encore le jeu de la concurrence
;
Considérant que, particulièrement dans le contexte évoqué
ci-dessus, les échanges d’informations sur les ventes par département
et par catégorie de clientèle auxquels ont procédé
entre elles la S.C.P.A. et la C.S.M.E. ont pu avoir pour effet de fausser
le jeu de la concurrence sur le marché en permettant à chacun
des fournisseurs de surveiller l’activité de son principal concurrent
et d’ajuster son comportement en conséquence afin de la rendre,
dans la mesure du possible, compatible avec la répartition convenue
du marché ; que si les sociétés concernées
ont pu être conduites à fournir à l’administration,
dans le cadre d’enquêtes occasionnellement menées par celle-ci,
des renseignements statistiques sur leur activité, cette circonstance
ne justifie pas l’échange systématique entre ces sociétés
d’informations sur les tonnages vendus par département ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
que tant l’accord de répartition du marché que les échanges
d’informations sur les ventes constituent des pratiques relevant du champ
d’application de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin
1945 ;
En ce qui concerne le sel de l’Ouest
Considérant que les règles qui président à
la commercialisation du sel récolté par les adhérents
du Groupement des producteurs de la presqu’île de Guérande
faussent les conditions de la concurrence sur le marché ; que l’article
13 du règlement intérieur de ce groupement, qui confère
à ce dernier le soin d’établir les marges bénéficiaires
des négociants et de vérifier les factures établies
par ceux-ci, fait obstacle à la détermination autonome de
leurs prix par les
négociants et restreint ainsi nécessairement la concurrence
entre eux ; que la fixation jusqu’en 1984 de quotas garantissant à
chaque négociant une part constante du marché a accru les
effets anticoncurrentiels des pratiques d’entente sur les prix ; que ces
règles et ces pratiques tombent sous le coup de l’article 50 de
l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ;
Considérant que les échanges d’informations sur les prix
entre les trois zones de production de sel de l’Ouest (Guérande,
Ré, Noirmoutier) ont favorisé l’adoption de prix communs
et porte ainsi atteinte au jeu de la concurrence ; qu’ils entrent dès
lors dans le champ d’application de l’article 50 ;
Sur l’application de l’article 51 (2°) de l’ordonnance n°45-1483
du 30 juin 1945 :
Considérant qu’en ce qui concerne le marché du sel de
déneigement, la S.C.P.A. et la C.S.M.E., qui nient l’existence de
toute entente, ne se prévalent pas des dispositions de l’article
51 (2°) susmentionné ; qu’en revanche, les parties impliquées
dans les pratiques relevées sur le marché du sel de l’Ouest
invoquent le bénéfice dudit article ;
Considérant que les dispositions du deuxième alinéa
de l’article 51 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ne peuvent être appliquées
à des pratiques prohibées par son article 50 que si le progrès
économique allégué est la conséquence de ces
pratiques et si un tel progrès n’aurait pu être obtenu en
l’absence de ces pratiques ;
Considérant, en premier lieu, qu’il n’est pas contesté
que, depuis 1972, date à laquelle a été constitué
le Groupement des producteurs de sel de la presqu’île de Guérande,
la saliculture locale, qui était auparavant menacée, a vu
sa situation s’améliorer, contribuant ainsi au maintien de l’activité
économique locale, à la préservation de l’environnement
et à la satisfaction des besoins des consommateurs , que la nécessité
d’assurer la survie d’exploitations soumises à d’importantes et
imprévisibles variations de production justifie le, regroupement
des producteurs dans un même organisme chargé de l’organisation
du stockage, de la vente du sel de ses adhérents et de la constitution
d’un réseau de distribution tenant compte des spécificités
du marché ; que la détermination d’un prix commun à
la production s’inscrit dans la mission d’un tel organisme, sans préjudice
de la licéité de la forme juridique adoptée en l’espèce
par le groupement des producteurs sur laquelle il n’appartient pas au conseil
de se prononcer ; qu’en revanche, il n’est pas établi que les contributions
au progrès économique susmentionnées n’auraient pas
pu être observées en l’absence de détermination concertée
des prix de vente pratiqués par les négociants agréés
et de l’attribution à ces derniers de quotas ; que l’article 51
(2°) précité n’est donc pas applicable à ces dernières
pratiques ;
Considérant, en second lieu, qu’il n’est pas davantage établi,
en ce qui concerne les échanges d’informations sur les prix entre
le Groupement des producteurs de Guérande, la Coopérative
des producteurs de l’île de Noirmoutier et la Coopérative
des producteurs de sel de la Charente-Maritime, que ces pratiques aient
contribué au développement du progrès économique
; qu’elles ne sauraient ainsi relever du champ d’application de l’article
51 (2°)
Sur les suites à donner :
En ce qui concerne le sel de déneigement
Considérant que les pratiques constatées, qui tombent
sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance de 1945 susvisée
sans pouvoir bénéficier de celles de l’article 51 (2°),
sont également visées par les dispositions de l’article 7
de l’ordonnance susvisée du 1er décembre 1986 , qu’il y a
lieu, par application de l’article 13 de ladite ordonnance, de prononcer
une sanction pécuniaire En ce qui concerne le sel de l’Ouest :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il
n’y a pas lieu d’infliger des sanctions pécuniaires aux auteurs
des pratiques relevées ; qu’en revanche, il doit leur être
enjoint de mettre fin à ces pratiques,