LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu les lettres des 26 juin et 28 août 1984 par lesquelles l’Association
F.O. Consommateurs (A.F.O.C.) a saisi la Commission de la concurrence de
pratiques anticoncurrentielles imputables à la Fédération
française de ski (F.F.S.) en matière de commercialisation
d’assurances sportives ;
Vu les ordonnances n°45-1483 et n°45-1484 du 30 juin 1945 modifiées,
respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son
application ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par les parties ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Les constatations
Sur la fédération et les clubs affiliés
La Fédération française de ski est une association
fondée en 1924 et reconnue d’utilité publique par décret
du 29 octobre 1970. Aux termes de ses statuts, elle a pour objet
de développer la pratique du ski sous toutes ses formes, de faciliter
la création de groupements sportifs pratiquant le ski ainsi que
le contrôle et la coordination desdits groupements.
Elle est composée d’associations dont les membres pratiquent
le ski et qui adhèrent à ses statuts et à ses règlements.
Les clubs sportifs sont affiliés à la fédération
par décision du comité directeur de cette dernière
et groupés par elle au sein de comités régionaux.
En principe, il n’y a qu’un club par station.
En application de la loi n°75-988 du 29 octobre 1975, puis de la
loi n°84-610 du 16 juillet 1984, la Fédération française
de ski a reçu délégation exclusive du ministre chargé
des sports pour organiser les compétitions sportives et délivrer
les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux.
Il en résulte que tout club sportif qui souhaite organiser des
compétitions est tenu de s’affilier à la fédération
qui régit toutes les activités des clubs.
Deux dispositions essentielles des règlements et des cahiers
des charges doivent être relevées (pièces 102/3, 102/4
et 108).
En premier lieu, les différents règlements précisent
soit que « chaque personne, membre d’un groupement, doit être
titulaire d’un titre d’adhérent de l’année en cours (licence
ou « carte neige ») », soit que le club s’engage «
à prendre autant de licences fédérales que le club
ou la section Ski du club (s’il s’agit d’un club omnisports) compte de
membres ».
En second lieu, le club affilié s’interdit « d’engager
ou de favoriser directement ou par groupement interposé toute action
tendant à la vente, à la distribution ou à la mise
en circulation d’un titre susceptible de concurrencer en tout ou partie
la licence « compétition-dirigeant » ou la licence «
pratiquant ».
Par ailleurs des sanctions sont prévues en cas de non respect
des dispositions précitées : il s’agit de l’exclusion ou
de la radiation.
Au total, il ressort que seuls deux titres, la licence « compétition-dirigeant
» et la licence « pratiquant » ou « carte neige
», peuvent être et ont été diffusés par
les clubs sportifs sous l’égide de la fédération.
Sur la licence « compétition-dirigeant »
Il s’agit d’une licence-assurance, destinée aux skieurs participant
aux compétitions de haut niveau, dont les garanties comprennent
notamment la responsabilité civile, les frais de secours et de transport,
les frais médicaux, le versement d’un capital en cas de décès,
une indemnisation journalière en cas d’hospitalisation, enfin des
remboursements de forfaits intéressant les remontées mécaniques
et les écoles de ski français (pièce 34).
A l’issue de la saison 1984-1985, il y avait 39 972 titulaires de la
licence « compétition-dirigeant ».
Sur la licence « pratiquant » ou « carte neige
»
Bien que le dépôt de la marque « carte neige »
ait été effectué le 12 novembre 1974, la création
effective de la « carte neige » date de la fin de l’année
1980. Ce titre, également appelé licence « pratiquant
», est destiné aux skieurs ne participant pas à des
compétitions de haut niveau. Il fait l’objet d’une charte
qui a été établie dans le but « de fixer d’une
manière plus précise un certain nombre de points relatifs
à la pratique de la "carte neige" » (pièce 104/3) ,
la « carte neige » se présente sous quatre formules
: la « carte neige normale », valable jusqu’au 15 novembre
suivant la date d’achat, la « carte neige familiale », avec
une même période de validité, valable pour tous les
membres de la famille, la « carte neige huit jours », la «
carte neige fond ».
Ces titres sont vendus principalement par les 2 500 clubs affiliés
à la fédération, également par les écoles
de ski français à la suite d’un accord dit « protocole
de Val d’Isère » (pièce 104/2).
L’acquisition de la « carte neige » entraîne l’adhésion
à un club et à la Fédération française
de ski, donc le paiement de cotisations, ce qui n’était pas précisé
dans les dépliants publicitaires jusqu’à la saison 1984-1985.
Le titulaire de la « carte neige » bénéficie
d’avantages locaux divers : navettes gratuites, ristournes dans certains
magasins, sur parkings, piscines et remontées mécaniques,
voire autres commerces (pièces 16/4, 16/6 et 16/8). Sous réserve
de l’acquisition d’une vignette supplémentaire, également
dénommée « vente de titres locaux », ces avantages
sont étendus aux titulaires de la « carte neige » acquise
dans un autre club.
La carte neige comporte également une assurance assistance.
Au titre de l’assurance, les garanties comprennent la responsabilité
civile (qui ne s’applique qu’en cas d’absence de toute couverture personnelle
du titulaire de la carte) ainsi que la couverture des accidents survenus
en relation avec la pratique du ski, des frais de secours et de «
recherche des skieurs blessés, morts ou égarés »,
des frais de transport correspondant au premier transport du sinistré
depuis le lieu de l’accident jusqu’au centre médical le plus proche,
des frais médicaux en complément des remboursements faits
par la sécurité sociale et les mutuelles, la défense
et le recours, enfin, le remboursement de divers forfaits (remontées
mécaniques et Ecole de ski français) (pièce 28).
Aucune prestation n’est servie en cas de décès ou d’incapacité.
Au titre de l’assistance, s’agissant exclusivement des accidents, les
garanties portent sur le transport du centre médical local à
l’hôpital, le rapatriement au domicile, l’accompagnement des enfants
de moins de quinze ans, le rapatriement du corps en cas de décès,
enfin l’assistance aux véhicules (pièces 29 et 125).
Sur les assureurs retenus par la Fédération française
de ski et sur les prix de la « carte neige » :
En ce qui concerne le choix des assureurs, la Fédération
française de ski, par l’intermédiaire du cabinet de courtage
Patriarche, a procédé le 30 avril 1980 à un large
appel d’offres (pièce 23/1). En vertu de contrats annuels
renouvelables par tacite reconduction ont été retenues, pour
l’assurance de la « licence compétition », la compagnie
New Hampshire Insurance Company, pour l’assurance de la « carte neige
», les compagnies New Hampshire Insurance Company et Helvetia co-assureurs
à 50 p. 100. La compagnie Helvetia ayant résilié
le contrat la liant à la fédération à compter
du 31 octobre 1983, elle a été remplacée par l’Union
des assurances de Paris (U.A.P.). Pour la partie assistance, a été
retenue la Compagnie générale de secours, filiale à
51 p. 100 de la New Hampshire Manchester.
Les assureurs prennent en charge l’édition du dépliant
publicitaire « carte neige » ainsi que la gestion du fichier
des adhérents. Ils ont participé, en 1984, à
l’effort de promotion de la Fédération française de
ski à raison de 1 franc par titre (pièce 104/1).
Le prix de la « carte neige » varie d’une station à
une autre. En effet, chaque année la fédération
détermine la fraction du prix lui revenant et celle attribuée
aux comités régionaux, ainsi que la fourchette de prix de
vente au consommateur.
Les prix de l’assurance et de l’assistance résultent de négociations
entre les assureurs et la fédération. Les différentes
cotisations (à la fédération, au comité régional
et au club) représentent la plus grande part du prix, alors que
la part réservée à l’assurance assistance est relativement
réduite. Par exemple, pour la saison 1982-1983, le montant
global de la prime d’assurance pour la « carte neige normale »
s’élevait à 14 F (dont 0,50 F pour la responsabilité
civile) et la prime d’assistance à 8 F alors que les parts réservées
à la fédération et au comité régional
totalisaient 32 F et que la fourchette du prix de vente était de
66 à 140 F (pièce 16/7).
La « carte neige » constitue une part importante des ressources
de la fédération, des comités régionaux et
des clubs. Ainsi, en 1983, ce titre a représenté 37,76
p. 100 des ressources de la fédération et 38,60 p. 100 en
1984.
Ces ressources sont d’autant plus considérables que, la pratique
des sports d’hiver se développant, le nombre des titres placés
est en constante augmentation. Il était de 664/721 pour la
saison 1981-1982 et de 797 102 pour la saison 1984-1985, ce qui correspond
pour cette saison à 15 p. 100 du nombre des skieurs.
Sur les autres formes d’assurance de la pratique du ski de loisirs
:
Les compagnies d’assurance proposent la souscription de contrats responsabilité
civile chef de famille ou d’assurance individuelle accident couvrant la
pratique du ski. D’autres titres plus spécifiques prennent
en charge, outre la responsabilité civile, le transport médical,
les frais de recherche et de secours ainsi que les frais médicaux.
Peuvent être nommés : la carte blanche (U.A.P.), le ticket-neige
(Orion-S.N.T.F.), H 24 Neige (G.M.F.), Vignette jour (G.E.S.A.), Mutuelle
sports (M.N.S.)... Une charte de partenariat a été signée
le 18 octobre 1986 entre la fédération et la Garantie mutuelle
des fonctionnaires qui est à l’origine d’un titre concurrent H 24
Neige (pièce 101).
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence
Considérant, d’une part, que la loi n°84-610 du 16 juillet
1984 donne à la Fédération française de ski
et aux clubs un pouvoir d’organisation des compétitions sportives
et les habilite à développer la pratique du ski ; que, toutefois,
en matière d’assurance, la loi, qui ne fait aucune distinction entre
la compétition et le sport loisir, n’impose ni l’obligation d’assurance
personnelle ni l’obligation d’assistance ; que son article 38 se borne
à obliger les groupements sportifs à informer leurs adhérents
de l’intérêt qu’il y aurait pour eux de souscrire un contrat
d’assurance de personne et à tenir à la disposition de ceux-ci
des formules de garantie susceptible de réparer les atteintes à
l’intégrité physique du pratiquant
Considérant, d’autre part, que les règlements et les cahiers
des charges autorisent, sous la sanction de l’exclusion ou de la radiation,
la seule diffusion par les clubs des deux titres admis par la fédération,
la licence « compétition-dirigeant » et la « licence
pratiquant » ou « carte neige » ; que ces règlements,
élaborés par la fédération en liaison avec
les clubs, rendent obligatoire pour l’accès aux compétitions
sportives la détention d’une licence « compétition-dirigeant
» et imposent l’inclusion d’une assurance assistance dans la «
licence pratiquant », laquelle n’est pas obligatoire ; que ces règlements
prohibent toute action tendant de la part des clubs à vendre tout
autre titre susceptible de concurrencer totalement ou partiellement lesdites
licences ; que ces dispositions relèvent d’une concertation entre
la fédération et les clubs qui revêt le caractère
d’une entente au sens de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du
30 juin 1945 et de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1283 du 1er décembre
1986 ; qu’il y a donc lieu de rechercher si cette entente a pour objet,
ou peut avoir pour effet, d’entraver le jeu de la concurrence en matière
de commercialisation des assurances sportives, soit directement, soit du
fait du lien établi entre la prestation d’assurance et les autres
prestations fournies par les clubs
Sur la licence « carte neige » :
Considérant que la Fédération française
de ski a procédé à un large appel d’offres avant de
retenir les compagnies proposant des garanties adaptées à
la pratique du ski ; que les contrats conclus sont annuellement renouvelables
;
Considérant que le skieur adepte du sport loisir n’est pas tenu
d’acquérir la « carte neige » et qu’il a la possibilité
de contracter une assurance auprès d’autres compagnies ; que d’ailleurs
la proportion des détenteurs de la « carte neige » est
d’environ 15 p. 100 ;
Considérant qu’il n’est pas établi, ni même allégué,
que la Fédération française de ski et les clubs qui
lui sont affiliés aient utilisé le titre « carte neige
» dans le but de faire obstacle à la présence sur le
marché d’offres d’assurances sportives concurrentes de celles formulées
par les sociétés avec lesquelles la fédération
a conclu ,
Considérant que la liberté de choix des skieurs membres
d’un club serait mieux assurée si les propositions incluses dans
la « carte neige » mentionnaient la ventilation de la cotisation
globale demandée et si les prestations d’assurances offertes par
la fédération étaient diversifiées en fonction
des risques encourus par les diverses catégories de demandeurs ,
que, toutefois, ces lacunes ne sont pas d’une nature telle que le régime
de la « carte neige » puisse être regardé comme
apportant au jeu de la concurrence une entrave contraire aux dispositions
de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 et de l’article
7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ,
Sur la licence « compétition-dirigeant »
Considérant qu’en vertu des dispositions de la loi n°84-610
du 16 juillet 1984 la fédération dispose, par délégation
du ministre chargé des sports, du monopole de l’organisation des
compétitions sportives et de la délivrance des titres internationaux,
nationaux, régionaux ou locaux correspondants ,
Considérant que, pour l’exécution de la mission qui leur
est ainsi dévolue, la fédération et les clubs affiliés
subordonnent l’accès aux compétitions de ski à la
présentation de la licence « compétition-dirigeant
» ;
Considérant que, si la condition mise par la fédération
à la délivrance de ladite licence se limitait, en matière
de couverture des risques, à l’exigence de la détention par
le skieur d’une assurance personnelle, elle ne porterait pas en elle-même
atteinte à la concurrence, dès lors que la liberté
pour le compétiteur de choisir le prestataire d’assurance demeurerait
entière ;
Considérant que la fédération et les clubs ne se
bornent pas à proposer aux demandeurs de la licence « compétition-dirigeant
» une assurance, comme l’y invitent les dispositions de l’article
38 de la loi du 16 juillet 1984 susvisée ; qu’au contraire, en vertu
des règlements susanalysés, l’adhésion au régime
d’assurance par elle négocié est obligatoire sous peine pour
le candidat, même convenablement assuré, d’être exclu
des compétitions ; que cette mesure, contenue dans les règlements,
constitue une atteinte au libre jeu de la concurrence, contraire aux dispositions
de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 et de l’article
7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ; que les arguments
avancés par la fédération ne permettent pas de fonder
une application des dispositions de l’article 51 de l’ordonnance de 1945
susvisée ;