LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 17 mars 1987 par laquelle le ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de la privatisation a saisi
le Conseil de la concurrence d’un dossier relatif à la situation
de la concurrence dans le secteur des enveloppes de postes de transformation
du courant électrique de moyenne tension ;
Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945
modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation,
la poursuite et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative
à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée,
ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris
pour son application ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par les parties ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Constatations
A. - Les caractéristiques du secteur
1. La diversité et les caractéristiques des produits
Le transport à longue distance du courant électrique se
fait à haute tension (40 000 volts et plus) et son utilisation s’opère
fréquemment à basse tension (220 ou 380 volts). Pour
passer de l’une à l’autre, il est techniquement nécessaire
d’utiliser le relais de la « moyenne tension » et, normalement,
l’on recourt à cette fin à des équipements dénommés
« cellules » ; celles-ci devant être protégées
sont logées dans des enveloppes qui, depuis une quinzaine d’années,
sont pour l’essentiel « préfabriquées » et non
réalisées sur place. Il existe trois catégories
différentes d’enveloppes destinées à la protection
du matériel électrique moyenne tension.
Les postes « bas de poteau simplifié » (P.B.S.) sont
les plus simples et les plus petits -, limités à une puissance
maximale de 250 kVA, ils ne sont pas équipés de cellules.
Principalement destinés à une utilisation en milieu rural,
ces postes sont entièrement préfabriqués en usine
et livrés prêts à être raccordés.
Les postes « urbains compacts » (P.U.C.), destinés
à abriter de l’appareillage moyenne tension et basse tension, sont
de dimension plus grande et leur installation est plus complexe car ils
sont enterrés sur 60 centimètres de leur hauteur. Il
sont également préfabriqués.
Les postes « à couloir de manoeuvre » (P.A.C.) sont
encore plus grands. Ils sont équipés de transformateurs
et de cellules. Si ces équipements peuvent être entièrement
préfabriqués, ils peuvent également être réalisés
sur place par des petites entreprises ou des artisans.
Ainsi, en raison de leurs caractéristiques et de leurs utilisations
spécifiques, ces différents produits ne sont pas en concurrence
entre eux et forment trois marchés distincts.
L’une des caractéristiques essentielles de ces différents
produits est que ce sont des produits banals. Les normes imposées
par E.D.F. sont aisément maîtrisables et la production d’enveloppes
n’exige pas des investissements industriels particuliers. L’accès
au marché de ces produits est donc aisé. Par ailleurs,
les enveloppes préfabriquées étant le plus souvent
réalisées en béton et étant volumineuses, leur
transport est difficile et onéreux. La localisation géographique
des constructeurs est essentielle et les importations et exportations s’en
trouvent marginalisées.
2. Les caractéristiques de la demande :
Les enveloppes, objet de la présente décision, peuvent
être vendues vides ou vendues équipées en totalité
ou en partie. Si l’enveloppe vide (dénomination qui recouvre
l’enveloppe stricto sensu, mais également les accessoires de base,
circuit de terre, liaison basse tension ... ) constitue en elle-même
un marché, il est fréquent que son achat s’accompagne de
la fourniture de l’équipement destiné à y être
intégré. Cette distinction est essentielle car, selon
les cas, la concurrence va porter sur le prix de l’enveloppe vide ou sur
le prix d’un ensemble total ou partiel d’équipements (enveloppe
plus transformateur, plus cellule, etc.).
Globalement, en valeur, l’administration évalue le marché
des enveloppes aux alentours de 300 millions de francs (année 1984).
La même année, en volume, la part revenant aux postes «
bas de poteau simplifié » était évaluée
à 46 p. 100 de la demande totale (3 710 postes sur 8 085 postes)
; les parts revenant aux « postes urbains compacts » et aux
« postes à couloir de manoeuvre » se montaient respectivement
à 13 et 41 p. 100.
L’acheteur principal sur le marché des enveloppes est E.D.F.
; sa demande correspond à 65 p. 100 de la demande totale.
E.D.F. n’est cependant pas en mesure d’exercer sa puissance d’achat car,
pour une large part, les acquisitions sont réalisées de manière
décentralisée par ses services régionaux d’approvisionnement
des marchés.
Les achats des services E.D.F. portent sur des enveloppes vides ; les
cellules et les transformateurs qui les équipent font l’objet de
marchés spécifiques. Les achats d’E.D.F. relatifs aux
enveloppes résultent d’appels d’offres. Il s’agit là
de marchés de fournitures, sans engagement de commandes. Après
dépouillement des offres, E.D.F. négocie systématiquement
avec les soumissionnaires. Il est de coutume que les marchés
des postes PAC soient conclus sur une base régionale et à
périodicité variable tandis que les marchés propres
aux postes PBS et PUC sont plus volontiers conclus sur une base nationale
et pour une durée d’un an.
3. Les caractéristiques de l’offre
Une quinzaine d’entreprises de dimension modeste employant de 10 à
100 salariés interviennent sur les marchés des postes préfabriqués.
Le nombre des fournisseurs en postes PBS et PUC se situe pour chacun
de ces marchés aux alentours de huit. Deux d’entre eux, les
sociétés Transpost et Serem, filiale d’Alsthom, offrent au
total 30 et 25 p. 100 des productions de postes PBS et PUC. Pour
leur part, les sociétés affiliées à Merlin
Gerin (Saem, Sbruzzi, Sapem et Rochier) contribuent à hauteur de
20 et 29 p. 100 à l’offre respective de ces deux catégories
de postes. Pour les postes PBS, l’offre
est par ailleurs assurée par les sociétés Simplex
(29 p. 100 du marché), Erie (10p. 100 du marché), Beaufils
(6 p. 100) et Jedelec (5 p. 100). Pour les postes PUC, les parts
revenant aux sociétés Jedelec, Erie et Beaufils sont évaluées
respectivement à 17, 14 et 13 p. 100. Toutes ces données
se réfèrent à l’année 1984.
Les fournisseurs de postes préfabriqués PAC sont plus
nombreux. Il reste cependant que les sociétés respectivement
affiliées à Alsthom et Merlin Gerin satisfont l’offre de
manière prééminente en détenant 37 et 26 p.
100 du marché. L’offre est par ailleurs assurée par
les société Erie, Beaufils, Monolit, Normatransfo, Geliot,
etc. Il reste que ces différents producteurs sont concurrencés
par des fournisseurs artisanaux réalisant in situ des travaux de
maçonnerie, mais la part occupée par ces derniers dans la
demande globale n’a pu être évaluée.
La structure de l’offre concernant les marchés des enveloppes
(pour postes PBS, PUC et PAC, préfabriqués ou non) fait ainsi
apparaître deux catégories d’intervenants. Tandis que
certains d’entre eux sont intégrés à des fournisseurs
de cellules et de transformateurs, d’autres, appelés « incorporateurs
indépendants », sont tenus de s’approvisionner auprès
des fournisseurs de ces matériels lorsque le client commande des
enveloppes équipées.
B. - Les pratiques relevées
Les éléments de fait soumis à l’appréciation
du Conseil et qui se rapportent au marché des enveloppes remontent
aux années 1983-1984.
Si certaines des pièces versées au dossier (pièces
nos 54, 55, 57, 59, 60 et 61) témoignent d’un état de réelle
concurrence entre les producteurs intégrés d’enveloppes que
sont les sociétés Alsthom, Merlin Gerin et leur filiales
respectives, d’autres pièces font état de tentatives de concertation
entre ces sociétés. Des documents, émanant de
la seule société Merlin Gerin, évoquent le besoin
de « remise en ordre professionnelle » et la nécessité
de « bâtir à terme assez court une politique professionnelle
commune à A.A. (Alsthom) et M.G. (Merlin Gerin) » (pièce
n° 8), de « maîtriser la concurrence des incorporateurs
indépendants » (pièce n° 9), de « limiter
les indépendants à leur volume actuel ou même de les
affaiblir », de « contrôler la concurrence » (pièce
n° 11), de « revenir à la vérité pour le
prix des enveloppes » (pièce n° 15). Toutefois un
autre document, émis par la société Alsthom (pièce
n° 19), révèle des divergences entre les sociétés
Alsthom et Merlin Gerin à propos de leur attitude à l’égard
de ce marché. Tandis que la société Merlin Gerin
souhaiterait qu’on « laisse survivre » quelques incorporateurs
indépendants et qu’« on les amène à table »,
la société Alsthom « souhaite au contraire aller rapidement
jusqu’au bout, afin qu’il n’y ait plus que les groupes A.A. et M.G. ».
Les pièces nos 13, 18, 19, 22 et 23 rendent compte du fait que
des représentants des sociétés Alsthom et Merlin Gerin
ont envisagé des concertations destinées à provoquer
le relèvement du prix des cellules et à s’interdire «
de mettre des stocks de cellules en consignation chez les indépendants
» (pièce n° 18). Les pièces nos 18 et 19
évoquent par ailleurs l’idée qu’une « intervention
» a été envisagée par les fournisseurs de cellules
vis-à-vis du dirigeant de la société Le Béton
visant à cantonner l’activité de cette dernière société
dans la production de poteaux. Enfin, selon la pièce n°
25, non visée dans la notification de griefs mais citée dans
le rapport, des représentants des sociétés Alsthom
et Merlin Gerin ont, à l’occasion d’une réunion commune tenue
le 17 avril 1984, envisagé la mise en place d’« un barème
professionnel » concernant les enveloppes.
Par ailleurs, en décembre 1983, le service régional d’approvisionnement
des marchés (S.R.A.M.) de Clermont-Ferrand a lancé une consultation
concernant des postes PAC, la remise des plis étant fixée
le 5 janvier 1984. Les pièces 45 à 48 démontrent
que ce marché a donné lieu à des concertations.
Ainsi, la pièce n° 47 (document Merlin Gerin établi postérieurement
à la remise des plis) précise qu’« à l’issue
d’une consultation assez généralisée du S.R.A.M. de
Clermont-Ferrand, nous avons répondu avec la stratégie suivante...
discussion avec Alsthom pour une harmonisation des prix des deux groupes
pour les enveloppes béton... Avant la remise des plis, des contacts
ont eu lieu entre Merlin Gerin et Serem plus Transpost ».
Les pièces 45, 46 et 48 démontrent que la concertation
s’est poursuivie lorsqu’E.D.F. a entamé des négociations
avec les entreprises soumissionnaires présélectionnées
et que la société Monolit y a participé. Tel
est le sens des mentions portées sur la pièce n° 45 émanant
de Merlin Gerin datée du 24 janvier 1984 « marché régional
E.D.F. pour enveloppes... J’ai eu une concertation avec A.A. : Serem se
fait couvrir par Transpost ; voici les prix Serem. J’ai fait mettre
Monolit dans les mêmes eaux ».
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence,
Considérant que, dans le cas où les faits constatés
sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte
de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance
du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées
par celle-ci sont reprises par le nouveau texte ; que l’ordonnance du 1er
décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques
anticoncurrentielles et de décision antérieurement dévolus
au ministre chargé de l’économie, sont confiés au
Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa
de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation
et de procédure établis conformément aux dispositions
de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient
visées par les dispositions du premier alinéa de l’article
50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de
son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à
celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er
décembre 1986 ;
Considérant que la politique de hausses coordonnées des
prix des cellules de nature à porter préjudice au développement
des incorporateurs indépendants a déjà fait l’objet
d’une qualification antérieure et donné lieu à la
décision n° 88-D-10 du Conseil de la concurrence en date du
1er mars 1988 ;
Considérant que, d’une part, le Conseil de la concurrence ne
peut valablement statuer sur un grief que si celui-ci a fait l’objet d’une
notification effectuée dans les conditions fixées par l’article
21 de l’ordonnance n° ’ 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu’en
l’espèce le grief relatif à l’existence d’un barème
professionnel concernant les enveloppes n’ayant pas donné lieu à
une telle notification à l’encontre des sociétés Alsthom
et Merlin Gerin, ce grief ne peut être retenu en l’état du
dossier ; que, d’autre part, il n’y a pas lieu, à défaut
d’élément de preuve suffisant sur ce point, de procéder
à une notification de griefs complémentaire ;
Considérant que si le rapprochement des mentions contenues dans
les pièces nos 18 et 19 montre que les sociétés Alsthom
et Merlin Gerin ont étudié la possibilité d’une action
concertée destinée à contrarier le développement
de la société Le Béton, ces mentions ne sont pas,
faute d’autres éléments, suffisantes pour établir
l’existence d’un accord sur ce point ; qu’au surplus le dirigeant de la
société Le Béton, qui commençait à aborder
le marché des postes préfabriqués, a déclaré
n’avoir jamais été l’objet de « pressions » de
la part des fournisseurs de cellules ;
Considérant qu’il n’est pas établi qu’en envisageant de
s’interdire de « faire des stocks de cellules chez les incorporateurs
quels qu’ils soient », les sociétés Alsthom et Merlin
Gerin aient entendu, par là même, éliminer lesdits
incorporateurs du marché ; qu’aussi bien il ne résulte pas
du dossier que des incorporateurs aient éprouvé des difficultés
dans l’exécution des commandes qu’ils passaient ;
Considérant que le marché lancé à la fin
de l’année 1983 par le service régional d’approvisionnement
des marchés d’EDF à Clermont-Ferrand a donné lieu
à une concertation visant à « l’harmonisation des prix
» entre les sociétés Serem, Transpost et Merlin Gerin
avant la remise des plis ; que ces entreprises se sont une nouvelle fois
concertées, après la remise des plis, en vue de faire obstacle
aux prétentions de baisse de prix émanant du service acheteur
que la société Monolit a alors participé à
ces nouvelles concertations ; que les sociétés Serem, Transpost,
Merlin Gerin et Monolit ont entendu faire obstacle à l’abaissement
des prix ; qu’elles ont ainsi contrevenu aux dispositions de l’article
50 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; que les dispositions
de son article 51 ne sont pas applicables ; que les faits constatés
sont également contraires aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance
n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu’il y a donc lieu d’infliger
des sanctions pécuniaires ;
Considérant, en ce qui concerne le montant des sanctions pécuniaires,
que la société Transpost a absorbé la société
Serem le 1er janvier 1986 ; que la société Monolit, après
avoir adhéré à l’entente au lendemain de la remise
des plis, s’en est finalement retirée,