LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 7 mai 1986 par laquelle le ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, a saisi
la commission de la concurrence d’un dossier relatif à des pratiques
relevées dans le secteur des feuilles d’aluminium transformé
pour l’emballage et le conditionnement des produits laitiers frais ;
Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées,
relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative
à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée,
ensemble je décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris
pour son application ;
Vu les pièces du dossier
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (11) ci-après
exposées.
I. - Constatations
A. - Les caractéristiques du secteur
Les feuilles d’aluminium transformé sont utilisées par
l’industrie laitière pour l’operculage des pots de yaourt, fromages
frais et desserts. Elles sont utilisées sous forme d’opercules
(forme de couvercle la plus répandue), d’opercules prédécoupées
ou de capsules ou collerettes (ces dernières étant désormais
peu utilisées).
Les opérations de transformation réalisées par
les fournisseurs de feuilles d’aluminium pour l’emballage et le conditionnement
des produits laitiers frais consistent à imprimer ou colorier sur
une face de la feuille d’aluminium la marque et la présentation
demandée par le client et à enduire une laque sur l’autre
face destinée au thermoscellage du produit devant être conditionné.
Le travail de transformation engendre ainsi des produits diversifiés
répondant aux demandes de la clientèle. L’activité
exige des investissements lourds ; le seul coût d’une imprimeuse
est évalué à 10 millions de francs.
La demande de feuilles d’aluminium transformé pour l’emballage
et le conditionnement de produits laitiers frais est concentrée
entre un petit nombre d’acheteurs. Ainsi, les cinq principaux groupes
laitiers (Gervais-Danone, SodimaYoplait, La Roche aux Fées, Gama-Nova
et Chambourcy) représentent en moyenne plus de 80 p. 100 de la demande
en volume adressée aux différents producteurs nationaux d’opercules
et capsules. Bien que le coût des opercules et capsules ne
représente qu’une faible part du prix de revient total sortie usine
d’un pot de yaourt (de l’ordre de 3 à 5 p. 100), les producteurs
de produits laitiers frais exercent une influence certaine sur la formation
des prix des produits en cause ; à cette fin, ils procèdent
par appels d’offres. En définissant des procédures
particulières, ils autorisent la modification en cours de marché
des niveaux de prix des produits commandés pour tenir compte de
l’évolution du prix de la feuille d’aluminium, car ce prix constitue
un élément important du prix de revient des produits.
L’offre émane principalement de six entreprises : les sociétés
Cebal (ex-société Scal, filiale de Pechiney), Simalu (ex-société
R. Simonin, filiale de Cebal), Société alsacienne d’aluminium
(filiale de Vereinigte Aluminium Werke), société Raymond
Morin, Papeterie des Charentes-Venthenat et Trentesaux-Toulemonde (T.T.T.).
Les trois premières sociétés citées sont
ainsi, directement ou indirectement, intégrées à des
producteurs d’aluminium (Pechiney et Vereinigte Aluminium Werke).
Hors importation, le marché de la transformation des feuilles
d’aluminium pour l’emballage et le conditionnement des produits laitiers
frais est dominé par les sociétés Cebal et Alsacienne
d’aluminium ; en 1984, à elles d’eux, elles ont réalisé
près de 70 p. 100 du volume des ventes réalisées par
les producteurs nationaux sur le marché français.
Le marché français est de surcroît approvisionné
par le canal de l’importation. Réalisant des ventes en direct,
ces opérateurs contrôleraient selon les sources entre 8 et
20 p. 100 de la consommation nationale.
Le marché de la transformation des feuilles d’aluminium pour
l’emballage et le conditionnement des produits laitiers frais a connu,
dans la période récente, une modification importante liée
à l’apparition d’un matériau de substitution mis au point
par la société Trentesaux-Toulemonde et dénommé
« complexe papier-polyester métallisé ». Ce produit
permettrait une économie de 15 à 20 p. 100 par rapport au
prix d’achat d’un opercule en aluminium. En 1984, en volume, les
ventes en France propres à ce matériau se seraient élevées
à 2,4 millions de mètres carrés à comparer
aux 37,66 millions de mètres carrés d’opercules et capsules
vendues sur ce même marché par les six fournisseurs précédemment
cités.
Le succès rencontré par la société Trentesaux-Toulemonde
pour ce nouveau produit est de nature à expliquer le déclin
1984-1983 des ventes en volume d’opercules et capsules réalisées
en France par les producteurs nationaux (- 2,02 p. 100). Il explique
également les tentatives par lesquelles les fournisseurs, en recourant
à des feuilles d’aluminium de 30 microns contre 40 microns auparavant,
ont cherché à concurrencer le nouveau produit en question.
En raison de la concentration de la demande observée et de la
concentration de l’offre relevée, eu égard également
au mode de passation des marchés par voie d’appels d’offres adopté
par les principaux fournisseurs et à la méthode de révision
de prix employée, le fonctionnement du marché de l’opercule
et de la capsule d’aluminium se caractérise par sa transparence.
Cette situation de fait peut expliquer les similitudes dans les hausses
de prix constatées d’autant que, parallèlement, les transformateurs
en cause ont subi des hausses au titre des feuilles d’aluminium utilisées.
B. - Les pratiques relevées
Antérieurement à 1984, un centre de documentation sans
structure juridique puis, postérieurement à cette date, le
syndicat des transformateurs de feuilles et bandes minces
d’aluminium qui a succédé à ce centre ont organisé,
de février 1983 à février 1985 (pièce 152),
des réunions au cours desquelles des fabricants de feuilles d’aluminium
transformé ont évoqué l’incidence des hausses de prix
des matières premières sur les prix des produits transformés.
Différentes pièces révèlent que, s’agissant
de produits particuliers, le centre de documentation a établi, du
moins jusqu’en novembre 1984, des états statistiques mensuels et
donnant des moyennes des prix les plus bas et des prix les plus élevés
constatés sur le marché français. Selon le représentant
du syndicat des transformateurs de feuilles et bandes minces d’aluminium,
« les statistiques de prix moyens constatés sur le marché
ne sont plus établies par le syndicat, car elles étaient
de nature à susciter une transparence excessive » (pièces
154, 155, 1 0, 170 bis et 185).
Il a enfin été constaté que le centre de documentation,
puis le syndicat, ont communiqué aux adhérents qui en formulaient
la demande, les prix pratiqués chez les différents clients
étant précisé que les adhérents envoyaient
systématiquement leurs factures au centre, puis au syndicat et que
le système d’information ainsi mis en place assurait l’anonymat
des fournisseurs (pièces 154 et 155).
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence
Considérant que, dans le cas où les faits constatés
sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte
de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance
du 30 juin 1945, dans la mesure où les qualifications énoncées
par celle-ci sont reprises par le nouveau texte ; que l’ordonnance du 1er
décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques
anticoncurrentielles et de décision, antérieurement dévolus
au ministre chargé de l’économie, sont confiés au
Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa
de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation
et de procédure établis conformément aux dispositions
de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient
visées par les dispositions du premier alinéa de l’article
50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de
son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à
celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er
décembre 1986 Sur les réunions professionnelles :
Considérant que les éléments du dossier ne permettent
pas d’établir que des consignes, directives ou recommandations en
matière de prix auraient été élaborées
ou diffusées lors des réunions organisées par le syndicat
des transformateurs de feuilles et bandes minces d’aluminium et au cours
desquelles des fabricants de feuilles d’aluminium transformé ont
évoqué l’incidence des hausses de prix des matières
premières sur les prix des produits transformés
Sur les échanges d’informations :
Considérant que les échanges d’informations sur les prix
se traduisant par la diffusion, sous forme de mercuriales, de prix pratiqués
ou de remises consenties ne sont pas contraires aux dispositions de l’article
50 lorsque ces données, constatées a posteriori, traduisant
les résultats observés sur un marché concurrentiel
ne sont pas individualisées et ne permettent pas à chaque
participant de modifier sa politique tarifaire en fonction de celle constatée
chez ses concurrents ;
Considérant, au cas d’espèce et en premier lieu, que les
sociétés Cebal, Alsacienne d’aluminium, Raymond Morin, Papeterie
des Charentes-Venthenat et Simatu ne contestent pas la diffusion, jusqu’en
novembre 1984, par le centre de documentation puis par le syndicat des
transformateurs de feuilles et bandes minces d’aluminium, d’états
statistiques mensuels donnant des moyennes des prix les plus bas et des
prix les plus élevés constatés sur le marché
français ; qu’il n’est pas établi par l’instruction que la
diffusion de ces résultats globaux ait eu pour objet ou pu avoir
pour effet de restreindre le jeu de la concurrence par les prix ,
Considérant, en second lieu, que les sociétés Cebal,
Alsacienne d’aluminium, Raymond Morin, Papeterie des Charentes-Venthenat
et le syndicat des transformateurs de feuilles et bandes minces d’aluminium
ne contestent pas l’existence d’un système d’échange d’informations
sur les prix par lequel les offreurs ont pu obtenir communication des niveaux
de prix pratiqués chez différents clients ; que cet échange
d’informations, s’il préservait l’anonymat des fournisseurs, permettait
cependant aux participants de connaître les prix qui avaient été
pratiqués vis-à-vis de clients nommément désignés
; qu’il était ainsi susceptible de permettre à chacun des
fournisseurs intéressés de prendre en compte les offres qui
avaient été antérieurement faites par ses concurrents
aux clients considérés comme référence pour
établir ses propres propositions ; qu’ainsi cet échange d’informations
pouvait avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence par les
prix sur le marché ;
Considérant que les fournisseurs d’opercules et capsules justifient
cet échange d’informations par le fait que le marché se caractérise
par la présence d’acheteurs puissants ; que cependant un système
d’informations sur les prix susceptible de restreindre le jeu de la concurrence
ne saurait être justifié par le besoin de vérifier
les dires des clients sur les conditions qu’ils auraient obtenues dans
le passé, même si les fournisseurs s’estiment en état
d’infériorité face à ces clients ;
Considérant, dès lors, qu’en mettant en oeuvre l’accord
d’informations sur les prix pratiqués vis-à-vis de clients
nommément désignés, les entreprises susmentionnées
et le syndicat des transformateurs de feuilles et bandes minces d’aluminium
ont contrevenu aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n°
45-1483 du 30 juin 1945 ; que les dispositions de son article 51 ne sont
pas applicables , que les faits constatés sont également
contraires aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n° 86-1243
du 1er décembre 1986 ;
Considérant toutefois que les parties en cause ont renoncé
à poursuivre l’échange d’informations portant sur les prix
les plus élevés et les plus bas observés sur le marché
; que les informations communiquées à l’occasion du second
échange d’informations ne permettaient pas d’identifier les fournisseurs
des clients considérés et que les prix transmis correspondaient
à des transactions qui avaient pu s’effectuer plusieurs mois auparavant,
alors même que le prix de l’aluminium avait pu évoluer de
façon notable ; qu’enfin les parts de marché des différents
producteurs ont évolué ;
Considérant, dans ces conditions, qu’il n’y a pas lieu d’infliger
de sanctions pécuniaires aux parties en cause mais qu’il y a lieu
de leur enjoindre de mettre un terme à leur pratique,