LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 15 mai 1986 par laquelle le ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, a saisi
la commission de la concurrence d’un dossier relatif à des pratiques
relevées dans le secteur de l’appareillage électrique de
moyenne tension ;
Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées
relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
Je décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son
application ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les observations présentées par les parties ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Constatations
a) Les caractéristiques du secteur
1. La diversité des produits :
La mise à disposition de l’énergie électrique au
consommateur final exige que cette énergie soit produite, transportée
et distribuée.
La production de l’énergie électrique est essentiellement
assurée par E.D.F. au moyen de centrales hydrauliques, thermiques
et nucléaires.
Le transport de l’électricité est également effectué
par E.D.F. et, marginalement, par différentes régies d’électricité.
Afin de limiter les pertes d’énergie électrique, il est nécessaire
de porter l’énergie à de très hautes tensions (245
kV ou 420 kV, voire plus) : ces tensions sont celles du réseau national,
dit de grand transport et d’interconnexion.
La répartition de l’énergie sur le plan régional
s’effectue en haute tension (72,5 ou 100 kV) ; elle est atteinte en abaissant
dans des postes de transformation la tension de la très haute tension
à la haute tension. L’énergie est ensuite transformée
en moyenne tension pour être distribuée localement : à
cette fin, on recourt à des postes haute tension - moyenne tension
encore dénommés « postes-source » qui occupent
une place centrale dans la distribution de l’électricité
; ils constituent en effet le lieu de « dispatching » de l’énergie
vers l’utilisateur final. De ces postes-source haute tension - moyenne
tension, l’énergie est soit distribuée en moyenne tension
(le plus souvent 24 kV), voire en haute tension, vers des usagers industriels
disposant de leurs propres postes de transformation, soit dérivée
vers des postes E.D.F. moyenne tension - basse tension, dits de distribution
publique, qui transforment la moyenne tension en basse tension (380 à
220 V).
Les différents postes de transformation très haute tension
haute tension, haute tension - moyenne tension, moyenne tension - basse
tension, qu’ils soient publics ou privés, se composent tous, sauf
exception pour certains postes moyenne tension -basse tension du réseau
rural de distribution publique, de trois parties
- un transformateur ,
- un appareillage d’arrivée
-un appareillage de départ adapté à la tension
de sortie.
Le transformateur assure la fonction principale des postes qui consiste
à transformer la tension de l’énergie électrique.
De leur côté, les appareillages de départ et d’arrivée
répondent à la nécessité de protection et de
sécurité des lignes amont et aval du transformateur lui-même
et de l’approvisionnement, en permettant la déconnexion partielle
du réseau pour intervention ou incident. Ces fonctions particulières
sont remplies par quatre catégories de produits et systèmes
; il s’agit des sectionneurs, des interrupteurs, des disjoncteurs et des
contacteurs ayant pour dénomination générale l’appareillage
de moyenne tension.
Ainsi l’appareillage moyenne tension équipe les postes-source
(Haute tension-Moyenne tension), les postes Moyenne tension-Basse tension,
ainsi que les postes Moyenne tension des clients privés. Selon
les cas, la distribution de l’énergie électrique est opérée
à des tensions variant de 1 à 36 kV, mais on a coutume de
distinguer quatre niveaux normalisés 7, 17,5, 24 et 36 kV.
La mise en oeuvre des appareillages s’opère selon deux techniques.
Le système « ouvert », qui met en oeuvre des appareils
nus, correspond à des travaux de rénovation propres à
des installations anciennes ; il tend progressivement à disparaître.
Avec les systèmes « préfabriqués »,
les différents appareillages sont enfermés dans des compartiments
clos -, ils constituent ce qu’il est convenu d’appeler une cellule et l’on
distingue habituellement différents types de cellules selon les
fonctions qu’elles assurent. A cet égard, on opère
volontiers une distinction entre les cellules simples et les cellules complexes
remplissant un plus grand nombre de fonctions.
Toujours au titre des systèmes préfabriqués, une
autre différenciation est également opérée
entre les systèmes « préfabriqués fixes »
et les systèmes « préfabriqués débrochables
».
La première catégorie comprend les cellules dans lesquelles
les appareillages et les raccordements sont fixés dans des compartiments
: ces cellules sont usuellement installées dans les postes moyenne
tension - basse tension et distribution publique.
La seconde catégorie correspond aux cellules dont les appareillages
et raccordements peuvent être extraits de la cellule, le plus souvent
grâce à un chariot extractible. Ce procédé
permet, notamment en cas de panne, le changement immédiat de la
partie qui en est à l’origine ; il répond à la nécessité
de continuité d’approvisionnement en énergie. Cet appareillage
équipe ainsi les postes-source Haute tension-Moyenne tension d’E.D.F.
et les postes Moyenne tension de certains gros utilisateurs.
D’une manière générale, les produits en cause sont
des produits de haute technicité donnant lieu à la définition
de normes techniques de la part du principal acheteur qu’est E.D.F.
2. Les caractéristiques de la demande
Les éléments constituant un poste de transformation (transformateur,
appareillages de moyenne tension et éventuellement de basse tension)
sont vendus sous trois formes :
-soit séparément : les ventes concernent alors aussi bien
les appareillages nus que les cellules rixes ou débrochables ;
-soit ensemble : les ventes se composent alors le plus souvent du transformateur
et de l’appareillage Moyenne tension, voire, pour les postes de distribution
publique, de l’appareillage Basse tension ;
-soit en ensemble intégré : les éléments
sont alors vendus dans un bloc préfabriqué en métal
ou en béton qui prend la dénomination d’enveloppe.
En 1984 la demande d’E.D.F. a correspondu à 47 p. 100 des ventes
totales opérées sur le marché français (40
p. 100 se rapportant au matériel fixe et 65 p. 100 se rapportant
au matériel débrochable). Les achats sont réalisés
à la suite de consultations concernant des marchés annuels
ou pluriannuels.
Tous les autres clients constituent ce qu’il est convenu d’appeler le
« marché privé ». Il se caractérise par
des achats répétitifs qui, selon les cas, se réfèrent
aux normes techniques définies par E.D.F. ou s’en exonèrent.
Il regroupe différentes catégories de clientèle :
-les régies et les syndicats intercommunaux d’approvisionnement
en électricité (S.I.C.A.E.) : des commandes ponctuelles et
non programmées sont alors passées ;
-les incorporateurs, qui ont pour activité la production et la
vente d’ensembles intégrés ;
-les utilisateurs, principalement de grosses entreprises industrielles.
Les parties - et notamment la société Merlin Gerin font
remarquer que les produits en cause sont destinés à des utilisateurs
industriels dont les acheteurs sont des professionnels très avertis
et que la durée de vie des équipements et leur parfaite compatibilité
entre les seuls matériels en provenance du même fabricant
créent une rigidité naturelle du marché.
3. La structure de l’offre
A l’époque des faits retenus dans la présente décision
qui se situent au cours des années 1982 à 1984 - le marché
des matériels électriques de moyenne tension comportait essentiellement
quatre entreprises, à savoir : la société Alsthom,
filiale de la Compagnie générale d’électricité,
la société Merlin Gerin, filiale de Schneider, la Compagnie
électromécanique (C.E.M.) et la société Distrilec.
La société Merlin Gerin a pris le contrôle de Distrilec
en 1981, celle-ci conservant cependant sa personnalité juridique
et commerciale, et C.E.M., contrôlée à partir de 1983
par Alsthom, a été absorbée par cette dernière
en juin 1985.
Les parties - et notamment les sociétés Alsthom et C.E.M.
indiquent cependant que les acheteurs ont toujours eu la latitude de
s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs : soit auprès
des sociétés Pommier et Guérin qui sont agréées
par E.D.F. ; soit auprès d’autres sociétés françaises
ou étrangères (C.G.E.E. Alsthom, Trindel, Clémessy,
Sitel et A.S.E.A., Siemens, B.B.C., S.A.C.E., Felten und Guillaume, Driescher)
qui, sans être agréées par E.D.F., sont aptes à
satisfaire les besoins des régies et des utilisateurs industriels.
Sur un marché annuel d’environ 40 000 cellules fixes M.T., la
société Alsthom estime à 25 000 le nombre des cellules
vendues à E.D.F. et à 15 000 le nombre des cellules vendues
à la clientèle privée, 1 500 cellules étant
vendues par Pommier et Guérin.
La société Alsthom avance également qu’il est toujours
possible à un concurrent étranger d’offrir un matériel
techniquement compatible avec les normes françaises. Mais
cette société soutient que : « Si les constructeurs
étrangers de cellules M.T. ne l’ont pas fait, c’est que les prix
E.D.F. n’étaient pas intéressants pour eux. »
4. La dimension du marché et les caractéristiques de
son fonctionnement :
En termes de chiffre d’affaires, la dimension du marché français
de l’appareillage électrique de moyenne tension est, à l’époque
des faits soumis à l’appréciation du Conseil, évaluée
aux alentours de 850 millions de francs.
S’agissant des caractéristiques du fonctionnement de ce marché,
les parties font remarquer, outre la rigidité naturelle de la demande
liée à l’influence des spécifications techniques déjà
notée, qu’E.D.F. joue sur ce marché un rôle prééminent.
A cet égard, elles font valoir, en premier lieu, que cet acheteur
impose aux fournisseurs des spécifications techniques qui lui sont
propres et que les abonnés et les régies ont toujours préféré
s’aligner sur ces normes afin de profiter des facilités de dépannage
que confèrent des matériels très répandus.
En deuxième lieu, les parties avancent qu’E.D.F., en imposant des
changements techniques successifs en matière de normes, aurait entraîné
des augmentations très sensibles des dépenses de recherche
et de mise au point et que cet acheteur n’aurait pas tenu compte de ces
changements dans les « prix objectifs » qu’il définit
au moment où il lance des consultations. En troisième
lieu, elles soutiennent que l’établissement fixe les prix auxquels
il entend acheter et que les fournisseurs n’ont jamais pu imposer les prix
auxquels ils désiraient vendre.
Selon les parties, la stratégie d’achat d’E.D.F. aurait entraîné
la chute catastrophique des prix, particulièrement dans les années
1980-1982. Les ventes de cellules ne se faisant plus qu’à
perte, les fournisseurs auraient éprouvé de grandes difficultés.
C’est la raison pour laquelle en 1981 Merlin Gerin aurait pris le contrôle
de Distrilec.
b) Les comportements des entreprises
Les constatations opérées révèlent qu’au
cours de la période 1982-1984 des fournisseurs nationaux de matériels
moyenne tension ont procédé à des concertations lors
des consultations lancées par E.D.F., que, vis-à-vis de la
clientèle privée, ils ont conclu des accords de prix, que,
plus généralement, les opérateurs ont entendu se partager
le marché.
1. Les concertations à l’occasion des consultations d’E.D.F.
:
En décembre 1982, E.D.F. a consulté les sociétés
Alsthom, C.E.M., Merlin Gerin et Distrilec pour assurer son approvisionnement
en matériels préfabriqués fixes sur une période
de dix-huit mois juillet 1983 à décembre 1984). Les
entreprises ont alors été invitées à formuler
des propositions de prix par tranches quantitatives, aux conditions économiques
de mars 1982 révisables trimestriellement. La date ultime
de remise des offres a été fixée au 14 janvier 1983.
Différents documents, et notamment les pièces nos 87,
88 et 91 à 93, rendent compte du fait que les sociétés
Merlin Gerin, Alsthom et Distrilec se sont alors engagées dans des
concertations sur les niveaux de prix à remettre. Ces trois
entreprises ayant établi des propositions de prix supérieures
à celles de la société C.E.M., E.D.F. a repoussé
les propositions des offreurs et a engagé des négociations
directes avec eux. Selon les pièces nos 94 et 95, ces négociations
ont donné lieu à de nouvelles concertations. Faute
d’obtenir satisfaction, E.D.F. a lancé une nouvelle consultation
le 30 juin 1983, la date de remise des prix étant fixée au
13 juillet 1983.
Les pièces nos 99 à 102 démontrent que cette nouvelle
consultation a donné lieu à de nouvelles concertations de
prix. A la suite, notamment, d’une réunion tenue le 4 juillet
1983, des prix communs ont été définis et les prix
de soumission effectivement proposés par Alsthom, Merlin Gerin et
Distrilec les 7 et 8 juillet 1983 ont correspondu aux indications reportées
sur la pièce n°99 relatant la réunion du 4 juillet 1983.
2. Les accords de prix se rapportant à la clientèle
privée :
En décembre 1982, les sociétés Alsthom, Merlin
Gerin et Distrilec se sont concertées dans le but de définir
un barème de prix commun concernant les appareillages préfabriqués
fixes et permettant d’atteindre « un niveau de prix convenable ».
Deux « crans » de hausse de prix ont alors été
établis et des taux de remise maxima par types de clientèle
ont été élaborés (pièces nos 17, 18,
20, 22 et 23). S’agissant des marchés importants, les parties
sont convenues que les prix seraient définis par les sièges
centraux des sociétés. La société C.E.M.
qui, à l’origine, avait manifesté une certaine réticence
pour se joindre à la concertation s’est en définitive conformée
à la discipline commune. Dans le second semestre de l’année
1983, de nouvelles concertations se sont déroulées entre
Alsthom, Merlin Gerin, Distrilec et C.E.M. dans le but, en particulier,
de modifier les coefficients de remises applicables aux différentes
catégories de clientèle (pièces nos 59, 61 et 63).
L’examen des pièces nos 29, 34, 37, 38, 50 à 53 et 63
à 67 démontre que les intentions formulées lors des
réunions de 1982 et 1983 ont été suivies d’exécution.
De même, au titre des appareillages moyenne tension vendus nus,
les sociétés Merlin Gerin, Alsthom et C.E.M. ont défini
des barèmes de prix analogues, des conditions de vente et de remises
quantitatives identiques en janvier 1984 (pièces nos 63 et 78 à
80).
3. La politique de partage du marché de l’appareillage électrique
de moyenne tension :
Différentes pièces (nos 17, 19, 24, 109, 111, 112 et 113)
rendent compte du fait que, dès la fin de 1982, les sociétés
Alsthom, Merlin Gerin et Distrilec ont cherché à établir
entre elles une répartition de marché. Courant 1983,
la société C.E.M. a rejoint cette concertation. Selon
la pièce n°24, la (t répartition équilibrée
du volume 50150 » s’inscrit dans les objectifs fondamentaux de la
profession que sont « la reconstitution des marges (et les) hausses
de prix ». Selon la pièce n°113 : « le partage (de
50/50 du marché) est très global... Il est toutefois souhaitable
dans la mesure du possible d’atteindre ce partage au niveau de chaque famille
de produits et dans chaque région, mais ce souhait doit rester compatible
avec la réalité et nous en sommes loin ».
Au-delà des concertations engagées lors des consultations
E.D.F. en 1982 et 1983 et des accords de prix conclus, notamment au titre
de la clientèle privée, l’objectif de partage équilibré
de l’ensemble du marché a reposé au sein des différentes
entreprises sur la mise au point d’un système de « pilotage
centralisé » des consultations des clients privés dépassant
un certain volume pour toutes catégories de matériels.
La façon dont certaines fournitures ont donné lieu à
répartition après échanges préalables d’informations
sur les prix est mise en lumière par les pièces nos 126,
134, 140, 146, 151, 152, 167, 180 et 184. L’on constate également
que les entreprises étaient parvenues à leurs fins en ce
sens qu’à la fin de l’année 1984, l’équilibre 50/50
entre Alsthom C.E.M., d’une part, et Merlin Gérin-Distrilec, d’autre
part, était assuré.
II. - A la lumière des constatations qui précèdent
le Conseil de la concurrence
Sur les textes applicables :
Considérant que, dans le cas où les faits constatés
sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte
de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance
du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées
par celle-ci sont reprises par le nouveau texte , que l’ordonnance du 1er
décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques
anticoncurrentielles et de décision, antérieurement dévolus
au ministre chargé de l’économie, sont confiés au
Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa
de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation
et de procédure établis conformément aux dispositions
de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient
visées par les dispositions du premier alinéa de l’article
50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de
son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à
celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er
décembre 1986
Sur la pièce n°204 :
Considérant que les sociétés Alsthom et Merlin
Gerin contestent l’authenticité de la pièce n°204 intitulée
Accord concernant les matériels moyenne tension ; qu’en tout état
de cause, cette pièce n’est pas nécessaire à l’appréciation
des circonstances de l’affaire, compte tenu des autres pièces du
dossier ; qu’en conséquence il y a lieu de l’écarter du débat
;
Sur l’application de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du
30 juin 1945 :
Considérant que les faits soumis à l’appréciation
du Conseil se rapportent exclusivement à la période 1982-1984
pour laquelle on dénombre quatre fournisseurs ; que les faits en
cause doivent s’analyser dans le contexte de lutte de prix qui a été
observé au cours de la période antérieure aux concertations
examinées ; que ces luttes de prix ont notamment résulté
du comportement de la société Alsthom qui, comme elle le
reconnaît, n’était pas en 1980 satisfaite de sa part de marché
(25 p. 100) et a alors « baissé ses prix pour se rapprocher
du prix « objectif » E.D.F., ce que refusaient les autres constructeurs,
et a obtenu 50 p. 100 environ d’un marché annuel, étendu
pour la circonstance à trois ans » ; que, pour sa part, la
société Merlin Gerin avance avoir « tenté de
s’imposer sur le marché privé en pratiquant des baisses de
prix », pour compenser ses pertes sur le marché public ; qu’il
résulte de ces constatations que, contrairement à ce qui
a été allégué, une concurrence effective pouvait
s’exercer sur l’ensemble du marché considéré ,
Considérant que les sociétés Alsthom et Merlin
Gerin reconnaissent avoir conclu un « armistice » en 1983 «
afin de faire cesser une guerre commerciale impitoyable due aux graves
perturbations du marché » ; qu’elles soutiennent que l’entente
de prix conclue entre elles et les sociétés C.E.M. et Distrilec
a été circonscrite aux marchés privés à
l’exclusion des matériels débrochables ;
Considérant que les pièces versées au dossier démontrent
que les sociétés Alsthom, Merlin Gerin et Distrilec se sont
concertées sur les prix lors des consultations E.D.F. de 1982 et
1983 ; qu’il résulte également de l’instruction que les sociétés
Alsthom, C.E.M., Merlin Gerin et Distrilec ont, à partir de 1983,
établi des concertations en matière de prix sur le marché
privé ; qu’en outre, ces quatre entreprises se sont concertées
pour aboutir à une répartition de l’ensemble du marché
à 50/50 entre, d’une part, les sociétés Alsthom et
C.E.M., et d’autre part, les sociétés Merlin Gerin et Distrilec
; que dans ces conditions l’argument selon lequel cet équilibre
résulterait du jeu naturel du marché ne saurait être
retenu ;
Considérant qu’ainsi les sociétés Alsthom, C.E.M.,
Merlin Gerin et Distrilec ont contrevenu aux dispositions de l’article
50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ;
Sur l’application de l’article 51 (20) de l’ordonnance n°45-1483
du 30 juin 1945 :
Considérant que les dispositions du deuxième alinéa
de l’article 51 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ne peuvent être appliquées
à des pratiques prohibées par son article 50 que si le progrès
économique allégué est la conséquence de ces
pratiques et si un tel progrès n’aurait pu être obtenu en
l’absence de ces pratiques ;
Considérant, au cas d’espèce, qu’il n’est pas contesté
que les sociétés en cause, qui produisent, outre des postes
moyenne tension, de nombreux matériels d’équipement électrique,
ont traditionnellement mis en oeuvre d’importants programmes de recherche
et exportent une partie substantielle de leurs matériels -, que
cependant il n’est pas établi que ces contributions au progrès
économique n’auraient pas pu être observées en dehors
de la mise en oeuvre des pratiques relevées sur le marché
des appareils moyenne tension ; que d’ailleurs les performances en matière
d’innovation et d’exportation des entreprises en cause étaient observables
avant la période durant laquelle elles se sont concertées
;
Considérant que les parties font, en outre, valoir que le marché
était caractérisé par une situation de crise structurelle
qui justifierait leur concertation ; qu’en tout état de cause la
seule baisse de prix ne suffit pas à révéler l’existence
d’une telle situation, alors que, notamment, la demande est restée
stable 1
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède
que les dispositions de l’article 51 (2o) susvisé ne sont pas applicables
;
Sur la sanction pécuniaire :
Considérant que les pratiques constatées, qui tombent
sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance de 1945 susvisée
sans pouvoir bénéficier de celles de l’article 51 (2°),
sont également visées par les dispositions de l’article 7
de l’ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; qu’il y a
lieu, par application de l’article 13 de ladite ordonnance, de prononcer
une sanction pécuniaire ;
Considérant toutefois qu’il y a lieu de tenir compte en l’espèce,
dans la détermination du montant de la sanction pécuniaire,
des conditions du marché durant la période examinée
et du fait que l’entente à l’égard des contrats E.D.F. a
été circonscrite dans le temps,