LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre de saisine du ministre d’Etat, ministre de l’économie,
des finances et de la privatisation, en date du 8 avril 1987 ;
Vu les ordonnances n°s 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945, modifiées,
respectivement relatives aux prix et à la constatation, à
la poursuite et à la répression des infractions à
la législation économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble
le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son
application ;
Vu les observations présentées par les parties
Le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement,
M. Casasola pour Le Bec fin et Me Delestrade pour le Resto-Grill entendus
;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées.
I. - Constatations. - Décision
Les prix pratiqués dans le secteur de la restauration publique
ont été placés sous le régime des accords de
régulation du 17 avril au 2 décembre 1986, date à
laquelle ils ont été libérés.
Au début de l’année 1986, un accord de régulation
a été entériné par l’arrêté ministériel
n°86-9 A du 28 février 1986 qui a autorisé, à
compter du 22 avril 1986, la majoration dans une limite de 1,5 p. 100 des
prix antérieurement pratiqués, sauf dérogation accordée
par l’autorité départementale compétente.
Par un arrêté pris également le 28 février
1986, diverses majorations du prix des boissons servies en dehors des repas
étaient autorisées à compter du 1er mars ou du 15
mai 1986 selon les boissons concernées.
En mai 1986, la Direction régionale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes de Marseille a été
avertie de l’existence d’un « tarif routier » mis au point
par plusieurs restaurateurs établis sur la portion de la route nationale
7 comprise entre Sénas et Orgon, et ayant pour clientèle
principale celle des chauffeurs routiers. Ce tarif, communiqué
à l’administration, répertorie 73 prix de denrées
et boissons, dont 29 placés sous la rubrique « Routiers uniquement
».
Il est ressorti des déclarations recueillies par les enquêteurs
que le « tarif routier » avait été élaboré
le 4 avril 1986, au restaurant L’Etape, lors d’une réunion dont
l’un des objets avait été de conclure un accord sur les prix
des repas et boissons à l’occasion de la prochaine entrée
en vigueur de la réglementation arrêtée le 28 février.
La date d’effet de l’accord avait été fixée au 1er
mai 1986.
Les représentants des établissements L’Etape, Le Colombier,
Le Resto-Grill, Le Bellevue et Lou Castella ont reconnu avoir participé
à cette réunion. Ceux des établissements Le
Bec fin et Le Relais des Fumades, cités au nombre des participants
par l’un d’entre eux, ont assuré qu’ils n’y étaient pas présents.
Ce tarif a été communiqué à la gérante
du Relais provençal et au propriétaire du Relais de la Bassaque
respectivement, selon ces deux personnes, par le responsable du Colombier
et par celui du Relais des Fumades.
L’administration a procédé, en juillet 1986, au relevé
des prix pratiqués dans les établissements cités.
Nombre de ces prix correspondent à ceux du « tarif routier
».
C’est ainsi que Le Relais provençal, Le Relais des Fumades et
Le Colombier présentaient ledit tarif à leur clientèle,
sans aucune modification pour le premier de ces établissements,
avec quatre prix différents pour le deuxième et cinq pour
le troisième.
L’Etape offrait un tarif ne comportant que 45 prix, dont 22 étaient
ceux du « tarif routier » ; en particulier, la rubrique consacrée
à la restauration rapide comportait les mêmes produits que
celui-ci, cités dans le même ordre, avec des prix identiques
pour 14 des 15 produits de la liste.
Au Bellevue, 42 prix sur les 61 que comportait la carte étaient
identiques à ceux du « tarif routier », dont les 15
prix de la rubrique « petits déjeuners ».
Au Bec Fin, sur 31 boissons offertes à la consommation, 22 avaient
un prix identique à celui du « tarif routier ».
En revanche, aucune similitude significative n’était relevée
sur les cartes du Resto-Grill, de Lou Castella et du Relais de la Bassaque.
L’enquête administrative et l’instruction ont permis de mettre
hors de cause les entreprises Lou Castella et Le Relais de la Bassaque
comme n’ayant participé ni à l’élaboration ni à
la mise en oeuvre de l’accord du 4 avril 1986.
Des griefs ont été notifiés aux sept autres entreprises
citées, qui ont fait valoir les moyens exposés ci-après.
La direction du Bec Fin a nié toute participation à la
confection et à l’application d’un tarif commun ; elle a démontré
avoir augmenté ses prix à partir du 26 avril 1986, soit avant
la date de mise en application de l’accord.
Le responsable du Relais des Fumades a également nié avoir
participé à l’élaboration d’un tarif commun, ainsi
qu’à sa diffusion ; il a déclaré s’être procuré
ledit tarif pour aligner à la baisse ses prix sur ceux des restaurateurs
voisins, afin de soutenir une concurrence avivée par la mobilité
d’une clientèle à revenus modestes.
L’exploitante du Relais Provençal a admis avoir reçu et
appliqué le tarif commun ; restauratrice occasionnelle, elle a excipé
dé son ignorance des contraintes légales.
Le gérant du Resto-Grill, qui avait reconnu s’être joint
le 4 avril 1986 à différents confrères pour discuter
des prix à pratiquer et ainsi « éviter une concurrence
par les prix » a expliqué que, ayant bénéficié
d’une dérogation administrative, il n’avait pas tenu compte des
décisions prises au cours de la réunion.
Les responsables du Colombier et du Bellevue, qui ont participé
à la conclusion de l’accord, ont fait valoir que les similitudes
observées entre leurs tarifs et le « tarif routier »
provenaient de la conjonction de plusieurs facteurs, en l’occurrence de
l’effet de nivellement des prix que provoquerait le régime de l’encadrement,
de l’incitation à une harmonisation des prix qui serait le fait
d’organisations professionnelles et de l’adoption de comportements parallèles
à laquelle les restaurateurs seraient contraints face à une
clientèle aux ressources limitées.
Les mêmes explications ont été présentées
par l’exploitant de L’Etape, chez qui la réunion du 4 avril 1986
avait été tenue, et qui, bien qu’ayant admis qu’à
cette occasion
des confrères récemment installés avaient demandé
aux plus anciens « les modalités d’application des nouvelles
hausses », a cependant nié toute concertation sur les prix.
Les entreprises citées sont exploitées soit par des sociétés
(Relais des Fumades société anonyme ; Resto-Grill : S.A.R.L.
; Le Bec Fin Société en nom collectif), soit par des personnes
physiques ayant la qualité de commerçant (L’Etape ; Le Bellevue
; Le Colombier, Le Relais Provençal, géré en 1986
par Mme Galleic).
II. - A la lumière de ces constatations, le Conseil de la
concurrence
Considérant que les faits constatés sont antérieurs
à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°86-1243
du 1er décembre 1986 et que les articles 50 et 51 de l’ordonnance
n°45-1483 du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce
;
Considérant que le fait, pour des restaurateurs établis
dans une zone déterminée, de conclure ou de mettre en oeuvre
un accord sur les prix qu’ils pratiquent dans leurs établissements
constitue une action concertée qui a pour objet et peut avoir pour
effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence
; que le fait qu’une telle concertation intervienne dans une période
où l’administration a fixé un maximum à la hausse
des tarifs qu’elle autorise n’entrave pas moins le jeu de la concurrence
dès lors qu’il appartenait à chaque entreprise de déterminer
individuellement, dans la limite du plafond fixé par l’administration,
les hausses de prix qu’elle entendait pratiquer ;
Considérant que constitue une participation à une telle
action concertée l’adhésion aux termes de l’accord sous la
forme d’une application des décisions arrêtées ou de
leur diffusion auprès d’autres professionnels ,
Considérant qu’à l’occasion d’une réunion tenue
le 4 avril 1986 au siège de l’établissement L’Etape, des
restaurateurs établis de Sénas à Orgon sur la Route
Nationale 7 ont élaboré un tarif indiquant le prix de 73
denrées et boissons ;
Considérant que les responsables des établissements Le
Bellevue, Le Colombier et Le Resto-Grill ont reconnu leur participation
à la confection de ce tarif ; que celle de l’exploitant de L’Etape
est établie par les déclarations recueillies au cours de
l’enquête ;
Considérant que, seul de ces établissements, Le Resto-Grill,
qui avait demandé et a obtenu une dérogation individuelle
au plafonnement, n’a pas appliqué les prix du tarif concerté
Considérant que Le Bellevue, Le Colombier et L’Etape ont fait
valoir, d’une part, qu’un système de blocage suivi d’encadrement
des prix conduit à terme à d’inévitables similitudes
dans les prix appliqués, et d’autre part, qu’une demande exigeante
émanant de consommateurs à faibles ressources contraint les
restaurateurs à s’aligner sur les prix les plus bas et à
adopter des comportements similaires ;
Mais considérant que ces arguments ne peuvent, en l’espèce,
être admis comme opérants, puisque les identités de
prix constatées résultent non d’une évolution naturelle
ou d’initiatives individuelles, mais d’une concertation qui a pour objet
de faire obstacle à l’abaissement des prix ; qu’en particulier,
la circonstance que les prix des restaurateurs avaient été,
à l’époque des faits, soumis à un accord de régulation
qui limitait l’augmentation des tarifs n’impliquait nullement que certains
restaurateurs potentiellement concurrents décident d’un commun accord
d’augmenter simultanément leurs prix pour adopter les plafonds autorisés
;
Considérant que doit être également écarté
l’argument selon lequel des organisations professionnelles auraient incité
les restaurateurs à harmoniser leurs prix ; que cet argument, non
seulement n’est étayé par aucun élément probant,
mais n’est en tout état de cause pas de nature à justifier
une restriction concertée de concurrence ;
Considérant que Le Relais Provençal a adhéré
à l’action concertée en appliquant intégralement le
tarif commun ;
Considérant que Le Relais des Fumades, en admettant même
que sa présence à la réunion du 4 avril 1986 ne soit
une application quasi intégral du tarif établie sa participation
à la pratique été ci-dessus examiné et rejeté
comme tendant à justifier les pratiques d’entente par la nécessité
de s’aligner sur les prix les plus bas ;
Considérant enfin que l’établissement Le Bec Fin, en admettant
même que sa présence à la réunion du 4 avril
1986 ne soit pas démontrée, a pratiqué 22 prix identiques
à ceux du tarif commun sur les 31 prix portés sur sa carte
; que cette proportion de 71 p. 100 qui ne peut être le produit du
hasard et qui n’a pas été justifiée par les responsables
de l’établissement, ne peut s’expliquer que par une adhésion
à l’action concertée ; qu’il est sans effet à cet
égard de constater que les augmentations, pratiquées postérieurement
à la réunion du 4 avril 1986, ont été antérieures
à la date prévue pour l’application de l’accord, une telle
anticipation individuelle ne dérogeant à l’accord que sur
l’accessoire et non sur l’essentiel ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
que les pratiques examinées tombent sous le coup des dispositions
de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’il n’y
a pas lieu en l’espèce à l’application des dispositions de
l’article 51 de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; que ces pratiques sont également
visées par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance susvisée
du 1er décembre 1986 ;
Considérant que les faits ci-dessus mentionnés justifient
l’application d’une sanction pécuniaire de 3 000 F aux entreprises
L’Etape, Le Colombier et Le Bellevue qui ont participé à
l’élaboration du « tarif routier » et qui l’ont appliqué
pour une large part ; qu’une sanction d’un même montant doit être
prononcée à l’encontre de l’entreprise Le Relais des Fumades
qui, bien qu’ayant contesté sa participation à la réunion
du 4 avril 1986, a fait une application quasi intégrale du tarif
; qu’une sanction pécuniaire de 1 500 F doit être appliquée
à l’entreprise Le Bec Fin compte tenu de l’application moins importante
du « tarif routier » constatée ; qu’il n’y a pas lieu
d’infliger une sanction pécuniaire à l’entreprise Le Resto-Grill
qui n’a pas appliqué le tarif concerté, ni, à Mme
Galleic, gérante du Relais Provençal à l’époque
des faits, compte tenu des circonstances de la cause et de la situation
de l’intéressée qui n’est pas une professionnelle du commerce,