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Conseil d’Etat, Section, 6 juin 2008, n° 299203, Société Tradition Securities and Futures

En raison des responsabilités qui incombent aux prestataires de services d’investissement pour assurer, notamment au travers de l’organisation et du contrôle des interventions de leurs préposés, le bon fonctionnement des marchés financiers, dont ils sont les acteurs principaux, les manquements commis non seulement par les dirigeants et représentants de ces sociétés mais aussi par leurs préposés sont de nature à leur être directement imputés en leur qualité de personnes morales, sans que soit méconnu le principe constitutionnel de responsabilité personnelle, dès lors que ces préposés ont agi dans le cadre de leurs fonctions.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 299203

SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES

M. Rémi Decout-Paolini
Rapporteur

M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 23 mai 2008
Lecture du 6 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 30 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES, dont le siège est 253, boulevard Pereire à Paris Cedex 17 (75852) ; la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision en date du 19 octobre 2006 de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers en tant qu’elle lui a infligé une sanction pécuniaire d’un montant de 300 000 euros à raison des faits commis par la société MIA qu’elle a absorbée le 31 décembre 2004 et en tant qu’elle a ordonné la publication de cette décision au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l’Autorité des marchés financiers ;

2°) de mettre à la charge de l’Autorité des marchés financiers le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 mai 2008, présentée pour la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le code de commerce ;

Vu le règlement général du Conseil des marchés financiers ;

Vu le règlement n° 90-04 de la Commission des opérations de bourse ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l’Autorité des marchés financiers,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a prononcé une sanction pécuniaire de 300 000 euros à l’encontre de la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES, venant aux droits et obligations de la société MIA, en raison des manipulations de cours auxquelles celle-ci a procédé sur le marché, entre le 15 avril et le 31 mai 2002, pour le compte de la société Sedia ; que la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES demande l’annulation de cette sanction ainsi que de la décision par laquelle la commission des sanctions en a ordonné la publication ;

Considérant que sur le fondement des dispositions des articles L. 621-15 et L. 622-16 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable au présent litige, et aujourd’hui reprises, s’agissant de l’Autorité des marchés financiers, au nouvel article L. 621-15 du même code, les sociétés prestataires de services d’investissement étaient au nombre des personnes auxquelles le Conseil des marchés financiers et la Commission des opérations de bourse pouvaient, en cas de manquement à leurs obligations professionnelles, infliger une sanction ; que, pour l’application de ces dispositions et en raison des responsabilités qui incombent aux prestataires de services d’investissement pour assurer, notamment au travers de l’organisation et du contrôle des interventions de leurs préposés, le bon fonctionnement des marchés financiers, dont ils sont les acteurs principaux, les manquements commis non seulement par les dirigeants et représentants de ces sociétés mais aussi par leurs préposés sont de nature à leur être directement imputés en leur qualité de personnes morales, sans que soit méconnu le principe constitutionnel de responsabilité personnelle, dès lors que ces préposés ont agi dans le cadre de leurs fonctions ; qu’en l’absence, toutefois, au regard de ce principe, de toute présomption de caractère irréfragable, les prestataires ont, au cours de la procédure engagée à leur encontre, la faculté de faire valoir en défense, pour s’exonérer de leur responsabilité, qu’ils ont adopté et effectivement mis en œuvre des modes de fonctionnement et d’organisation de nature à prévenir et à détecter les manquements professionnels de leurs préposés, sauf pour ces derniers précisément à s’affranchir du cadre de leurs fonctions, notamment en agissant à des fins étrangères à l’intérêt de leurs commettants ; qu’en revanche, la commission des sanctions n’a pas à établir elle-même que des mesures préventives ou correctrices appropriées n’ont pas été mises en œuvre par les prestataires poursuivis ; que, dans ces conditions, elle n’a pas commis d’erreur de droit en faisant valoir que " les faits commis par les préposés d’un prestataire de services d’investissement, dans le cadre de leurs fonctions et constitutifs de manipulations de cours ou de manquements à leurs obligations professionnelles, sont susceptibles d’être retenus à l’encontre de ce prestataire, sans qu’il doive être établi ni que les organes dirigeants aient eu connaissance de ces manquements, ni qu’ils n’aient pas pris au préalable les dispositions appropriées pour en prévenir la survenance " ;

Sur les conclusions dirigées contre la sanction pécuniaire de 300 000 euros :

Considérant, en premier lieu, que si la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES fait valoir que la notification des griefs adressée le 13 juillet 2005 ne lui fait pas reproche d’avoir manqué à ses obligations en matière de contrôle et d’organisation internes, cette circonstance, pour exacte qu’elle soit, est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors, d’une part, que les faits sanctionnés n’avaient pas trait à de tels manquements et, d’autre part, que l’absence, dans la notification, de mention correspondante ne faisait pas obstacle à ce que la société fasse valoir toute considération relative au respect de ces obligations ; qu’il résulte de l’instruction que les manipulations de cours reprochées à la société MIA ont été effectuées par l’une de ses salariés, dans le cadre d’une convention conclue entre la société MIA et une société qui l’avait chargée d’intervenir pour son compte ; que si la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES invoque l’existence d’une structure de contrôle et d’organisation internes, cette circonstance n’est pas, en l’espèce, de nature à décharger de sa responsabilité la société MIA, dès lors que les interventions litigieuses de sa préposée ont été effectuées en pleine connaissance de son supérieur hiérarchique, responsable des activités concernées de la société sur les marchés financiers ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’eu égard à la mission de régulation dont est investie l’Autorité des marchés financiers, et alors qu’il n’est pas contesté qu’à la suite de l’opération de fusion absorption intervenue le 31 décembre 2004, la société MIA a, conformément aux dispositions de l’article L. 236-3 du code de commerce, été absorbée intégralement par la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES sans être liquidée ni scindée, celle-ci pouvait faire l’objet d’une sanction pécuniaire sans que soit méconnu le caractère personnel qui s’attache, y compris pour les personnes morales, aux responsabilités susceptibles d’être mises en cause par la commission des sanctions ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance alléguée que la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES n’aurait tiré aucun avantage des manquements constatés est sans incidence sur le bien-fondé de la sanction contestée dès lors qu’elle est inférieure aux plafonds qui étaient applicables en l’absence de profits au moment de la commission des faits ; que, par ailleurs, cette sanction n’est pas disproportionnée au regard de la gravité et du caractère répété des manquements reprochés ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES n’est pas fondée à demander l’annulation de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision de publication :

Considérant que si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d’une sanction complémentaire, elle n’a pas à faire l’objet d’une motivation spécifique, distincte de la motivation d’ensemble de la sanction principale ; que cette motivation d’ensemble ne saurait être regardée, en l’espèce, comme insuffisante ;

Considérant que la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée se trouve nécessairement soumise, en tant que sanction complémentaire, au respect du principe de proportionnalité ; qu’il résulte des termes mêmes de sa décision que, contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions ne s’est pas abstenue de mettre en balance les intérêts en présence ;

Considérant, enfin, que si la société requérante fait valoir que les irrégularités reprochées à la société MIA sont anciennes, qu’elle-même y a mis fin après avoir procédé à son absorption et que la publication de la sanction, en portant atteinte à sa propre réputation, lui cause un préjudice excessif, la décision attaquée fait apparaître que la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES n’est sanctionnée qu’en tant qu’elle vient aux droits et obligations de la société MIA ; que, dans ces conditions, alors que la décision de publication a notamment pour objet de porter à la connaissance de toutes les personnes intéressées tant les irrégularités qui ont été commises que les sanctions prononcées, afin de satisfaire aux exigences d’intérêt général relatives au bon fonctionnement du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants, cette décision n’a pas causé à la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES un préjudice disproportionné ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES n’est pas fondée à demander l’annulation de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ainsi que l’annulation de la décision de publication de cette sanction ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l’Autorité des marchés financiers et de mettre à la charge de la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES le versement à celle-ci de la somme de 3 000 euros qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES versera à l’Autorité des marchés financiers une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE TRADITION SECURITIES AND FUTURES et à l’Autorité des marchés financiers.

Une copie pour information sera adressée à la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

 


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