CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 245750
BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ
M. Keller
Rapporteur
M. Lamy
Commissaire du gouvernement
Séance du 10 décembre 2003
Lecture du 12 janvier 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 avril et 28 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ, dont le siège est 20, rue de la Baume à Paris (75008) ; la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision du 26 février 2002 par laquelle la commission bancaire lui a infligé un blâme et une sanction pécuniaire de 150 000 euros ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 3 050 euros au titre des frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
3°) à titre subsidiaire, de substituer aux sanctions infligées un avertissement et une sanction pécuniaire de 50 000 euros ;
4°) d’ordonner l’affichage de sa décision dans les locaux de la commission bancaire durant deux semaines ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants ;
Vu le décret n° 84-708 du 24 juillet 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Keller, Maître des Requêtes,
les observations de Me Capron, avocat de la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ et de Me Cossa, avocat de la commission bancaire et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité :
Considérant qu’aucun principe général du droit, non plus que les stipulations du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’impose la séparation des phases d’instruction et de jugement au sein d’un même procès ; que la circonstance que l’acte par lequel la commission bancaire décide d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre d’un établissement de crédit et l’informe des faits qui lui sont reprochés soit notifié par le président de la commission n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’impartialité ;
Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense :
Considérant que la lettre du 13 juin 2001 par laquelle le président de la commission bancaire a fait savoir à la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ que la commission avait décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre fait apparaître avec précision les faits reprochés à l’établissement ainsi que la qualification qu’ils pourraient recevoir au regard des lois et règlements que la commission est chargée d’appliquer ; que cette lettre indiquait le fondement des poursuites engagées, alors même qu’elle ne mentionnait pas expressément les articles de la loi du 12 juillet 1990, applicables à l’espèce, qui précisent les conditions dans lesquelles la commission bancaire peut engager des poursuites disciplinaires ; qu’ainsi la requérante ne saurait soutenir qu’elle n’a pas été mise à même de présenter sa défense ;
Sur le moyen tiré de l’erreur de droit :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la commission bancaire a estimé, parmi les motifs qu’elle a retenus pour prendre à l’encontre de la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ la sanction attaquée, que la banque aurait dû déclarer au service institué par l’article 5 de la loi du 12 juillet 1990 des versements en espèces et en chèques de banque, pour un montant total de 40 millions de francs (6 097 962 euros), qu’elle avait reçus pendant une période d’un an au profit de clients occasionnels et sans avoir connaissance de l’identité du donneur d’ordre de ces opérations ;
Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi du 12 juillet 1990 applicable à la date des faits reprochés à la société requérante : "Les organismes financiers visés à l’article 1er sont tenus, dans les conditions fixées par la présente loi, de déclarer au service institué à l’article 5 : / 1.° Les sommes inscrites dans leurs livres lorsqu’elles paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l’activité d’organisations criminelles ; / 2° Les opérations qui portent sur des sommes lorsque celles-ci paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l’activité d’organisations criminelles" ; qu’aux termes de l’article 14 de la même loi : "Toute opération importante portant sur des sommes dont le montant unitaire ou total est supérieur à une somme fixée par le décret prévu à l’article 24 et qui, sans entrer dans le champ d’application de l’article 3, se présente dans des conditions inhabituelles de complexité et ne paraît pas avoir de justification économique ou d’objet licite, doit faire l’objet de la part de l’organisme financier d’un examen particulier. En ce cas, l’organisme financier se renseigne auprès du client sur l’origine et la destination de ces sommes ainsi que sur l’objet de la transaction et l’identité de la personne qui en bénéficie" ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que les établissements ont l’obligation de déclarer toutes sommes qui paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l’activité d’organisations criminelles ainsi que toutes opérations portant sur de telles sommes ; qu’ils ont aussi l’obligation de déclarer les sommes ou opérations qui, sans justifier directement ce soupçon, se présentent néanmoins dans des conditions inhabituelles de complexité et ne paraissent pas avoir de justification économique et que l’établissement, après s’être renseigné ou faute d’avoir recherché les renseignements nécessaires, n’a pas déterminé leur origine ou leur destination ; que, dès lors, en jugeant que les versements mentionnés plus haut auraient dû, eu égard à leur nature et à leur montant et faute pour la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ d’avoir obtenu des renseignements sur leur justification économique, conduire cette banque à effectuer une déclaration de soupçon, la commission bancaire a fait une application exacte des dispositions du code monétaire et financier ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision de la commission bancaire du 26 février 2002 ; qu’il y a lieu également, et en tout état de cause, de rejeter ses conclusions tendant à ce que le Conseil d’Etat ordonne que sa décision soit affichée dans les locaux de la commission bancaire ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ à verser à l’Etat une somme de 5 000 euros au titre des frais qu’il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu’en revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la banque requérante, qui est la partie perdante en la présente instance ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ est rejetée.
Article 2 : La BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ versera à l’Etat une somme de 5 000 euros en application à l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la BANQUE DE GESTION PRIVEE INDOSUEZ, à la commission bancaire et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.