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NOTES ET COMMENTAIRES :
Chronique de Francis DONNAT et Didier CASAS, Responsabilité sans faute et statut des moyens d’ordre public en cassation, AJDA 2003, p.1815

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Conseil d’Etat, Section, 30 juillet 2003, n° 215957, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre et autres

Il ne ressort ni de l’objet ni des termes de la loi du 10 juillet 1976, non plus que de ses travaux préparatoires, que le législateur ait entendu exclure que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée en raison d’un dommage anormal que l’application de ces dispositions pourrait causer à des activités - notamment agricoles - autres que celles qui sont de nature à porter atteinte à l’objectif de protection des espèces que le législateur s’était assigné. Il suit de là que le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions doit faire l’objet d’une indemnisation par l’Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l’activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 215957

ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE et autres

Mme Legras
Rapporteur

M. Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 4 juillet 2003
Lecture du 30 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier et 31 mars 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE, M. M., M. P., M. D., Mme P., et le GFA DE LA PATTE DE LOUP ; l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE et autres demandent au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 3 novembre 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes 1° a annulé le jugement du 29 avril 1997 par lequel le tribunal administratif d’Orléans avait déclaré l’Etat responsable à hauteur du tiers des conséquences dommageables des dégâts subis par les exploitants de pisciculture en raison de la prolifération des grands cormorans et condamné l’Etat à verser une indemnité à Mme P., MM. M., H., D. et P., 2° rejeté l’ensemble des demandes indemnitaires présentées devant le tribunal administratif d’Orléans, ainsi que les conclusions d’appel de M. P., de M. D. et de la SCEP DU GRAND CERNEANT ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la directive n° 79/409/CEE, du Conseil, du 2 avril 1979 ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code rural ;

Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;

Vu le décret n° 77-1295 du 25 novembre 1977 ;

Vu l’arrêté du 17 avril 1981 fixant les listes des espèces protégées sur l’ensemble du territoire français, modifié notamment par l’arrêté du 2 novembre 1992 ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Legras, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE et autres,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’à l’appui de leur pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, les requérants avaient invoqué dans le délai de recours deux moyens tirés, respectivement, de ce que l’arrêt était insuffisamment motivé et de ce qu’en n’usant pas de la possibilité de prendre, dans le respect de la directive n° 79/409/CEE du 2 avril 1979, des mesures dérogatoires appropriées pour limiter le nombre de grands cormorans, l’Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu’après l’expiration du délai de recours, ils ont invoqué un moyen tiré de ce que, même en l’absence de faute, la responsabilité de l’Etat était, contrairement à ce qu’avait estimé la cour administrative d’appel, susceptible d’être engagée du fait de la loi du 10 juillet 1976 ; que ce moyen se rattache, tout comme celui tiré d’une faute de l’Etat, à la contestation du bien fondé de l’arrêt et est ainsi fondé sur la même cause juridique ; qu’il est par suite recevable ;

Considérant qu’en vertu des articles 3 et 4 de la loi du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature, dont les dispositions ont été successivement reprises aux articles L. 211-1 et L. 211-2 du code rural puis L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, "lorsqu’un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d’espèces animales non domestiques (…) sont interdits : 1° la destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (…)" ; que la loi renvoie à un décret en Conseil d’Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, la liste des espèces animales ainsi protégées, la durée des interdictions qui peuvent être permanentes ou temporaires et les parties du territoire où elles s’appliquent ; qu’il résulte de l’article R. 211-1 du code rural que la liste des espèces protégées est fixée par des arrêtés interministériels qui précisent, en particulier, la nature des interdictions retenues, leur durée et les parties du territoires où elles s’appliquent ;

Considérant qu’il ne ressort ni de l’objet ni des termes de la loi du 10 juillet 1976, non plus que de ses travaux préparatoires, que le législateur ait entendu exclure que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée en raison d’un dommage anormal que l’application de ces dispositions pourrait causer à des activités - notamment agricoles - autres que celles qui sont de nature à porter atteinte à l’objectif de protection des espèces que le législateur s’était assigné ; qu’il suit de là que le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions doit faire l’objet d’une indemnisation par l’Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l’activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;

Considérant qu’il suit de là qu’en estimant que la loi du 10 juillet 1976 excluait tout droit à réparation pour les personnes auxquelles ses conséquences causeraient un préjudice et en rejetant, pour ce motif, les demandes d’indemnité formées à l’encontre de l’Etat par des exploitants de pisciculture qui invoquaient les dommages causés à ces élevages par la prolifération des grands cormorans dont la destruction avait été interdite en application de cette loi, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit par suite être annulé ;

Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE, à la SCEP DU GRAND CERNEANT, à MM. P., D., B., M. et à Mme P. une somme totale de 3 000 euros au titre des frais exposés par eux en appel et en cassation et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE, la SCEP DU GRAND CERNEANT, MM. P., D., B., M. et Mme P., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, soient condamnés à payer à l’Etat la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 3 novembre 1999 est annulé.

Article 2 : Le jugement de l’affaire est renvoyé à la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Article 3 : L’Etat versera à l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE, à la SCEP DU GRAND CERNEANT, à MM. P., D., B., M. et à Mme P. une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l’Etat tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions présentées sur ce fondement par l’ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L’AQUACULTURE EN REGION CENTRE, la SCEP DU GRAND CERNEANT, à MM. P., D., B., M. et Mme P. sont rejetés.

 


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