CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 291414
SOCIETE ALBINGIA
Mme Agnès Fontana
Rapporteur
M. Nicolas Boulouis
Commissaire du gouvernement
Séance du 3 septembre 2008
Lecture du 3 octobre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mars 2006 et 17 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ALBINGIA, dont le siège est 109-111 rue Victor Hugo à Levallois-Perret Cedex (92532), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE ALBINGIA demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 12 janvier 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 juin 2002 et rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de M. S., de la Société nouvelle Sartore et de la société SAEE Sartore à la garantir en qualité d’assureur dommage ouvrage de la commune de Cocheren ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de maître des requêtes,
les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE ALBINGIA, de la SCP Boulloche, avocat de la société S. et Me Odent, avocat de la société Eiffage,
les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Cocheren a entrepris l’édification d’un ensemble immobilier comprenant soixante trois logements pour personnes âgées dénommé " Résidence Dischwiller " ; que la société nouvelle SARTORE, devenue la société SAEE Sartore aux droits de laquelle vient la société Eiffage Construction Lorraine, assurait la mission d’entreprise générale, la maîtrise d’œuvre étant confiée à M. S., architecte ; que la commune avait souscrit auprès de la société d’assurance ALBINGIA une police d’assurance " dommage ouvrage " ; que la commune de Cocheren a assigné la SOCIETE ALBINGIA devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines pour obtenir le paiement d’indemnités au titre de désordres apparus sur cet ouvrage ; que la SOCIETE ALBINGIA a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, la condamnation solidaire de l’entreprise générale et de l’architecte à lui payer l’intégralité des sommes qui viendraient à être mises à sa charge en qualité d’assureur de la commune ; que dans l’attente de ce jugement, elle a également demandé au tribunal administratif de surseoir à statuer ; que par jugement en date du 18 juin 2002, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevable la demande de la SOCIETE ALBINGIA ; que par l’arrêt attaqué du 12 janvier 2006, la cour administrative d’appel de Nancy, après annulation de ce jugement et évocation de l’affaire, a rejeté la demande au motif que celle-ci, faute d’être accompagnée des quittances subrogatives permettant d’établir la qualité de subrogée de la SOCIETE ALBINGIA, était irrecevable ; que le pourvoi de la SOCIETE ALBINGIA doit être regardé comme demandant l’annulation de cet arrêt en tant que, après annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 juin 2002 et évocation, il a rejeté sa demande ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-12 du code des assurances : " L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur " ;
Considérant qu’il appartient à l’assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par ces dispositions législatives de justifier par tout moyen du paiement d’une indemnité à son assuré ; que par suite, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit en jugeant irrecevable la demande de la SOCIETE ALBINGIA au seul motif qu’elle n’avait pas produit de quittances subrogatives ; que dès lors, l’arrêt attaqué doit être annulé en tant que, après annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 juin 2992 et évocation, il a rejeté la demande de la SOCIETE ALBINGIA ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond dans la limite de l’annulation ci-dessus prononcée ;
Considérant qu’il incombe à l’assureur qui entend bénéficier de la subrogation prévue par l’article L. 121-12 précité du code des assurances d’apporter la preuve du versement de l’indemnité d’assurance à son assuré, et ce par tout moyen ; que cette preuve doit être apportée au plus tard à la date de la clôture de l’instruction ; qu’en l’espèce la SOCIETE ALBINGIA ne démontre ni même n’allègue avoir versé à la commune de Cocheren une quelconque indemnité ; qu’ainsi sa demande devant le tribunal administratif de Strasbourg n’est pas recevable et, par suite, doit être rejetée ;
Sur les conclusions aux fins d’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans la présente affaire, de mettre à la charge de la société ALBINGIA la somme de 2.000 euros qui sera versée à M. S., et à la société Eiffage Construction Lorraine chacun, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1 : L’arrêt du 12 janvier 2006 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé en tant que, après annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 juin 2002 et évocation, il a rejeté la demande de la SOCIETE ALBINGIA.
Article 2 : La demande de la SOCIETE ALBINGIA devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : La SOCIETE ALBINGIA versera la somme de 2.000 euros tant à M. S. qu’à la société Eiffage Construction Lorraine en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ALBINGIA, à la Société Eiffage Construction Lorraine et à M. François S..