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Conseil d’Etat, 19 mars 2003, n° 195007, Centre hospitalier régional et universitaire de Caen

En jugeant que la responsabilité du service hospitalier était engagée à raison d’un retard de diagnostic né, d’une part, de l’erreur du médecin de garde qui n’a pas interprété correctement les symptômes du patient, et d’autre part, de l’incapacité du service des urgences à retrouver les radiographies effectuées le matin même à l’occasion de la première hospitalisation et du défaut caractérisé de surveillance médicale pendant la nuit du 15 au 16 octobre, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en caractérisant les faits de l’espèce à la fois comme établissant une faute médicale et révélant des fautes dans l’organisation du service.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 195007,211317

CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN

Mme Le Bihan-Graf
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 février 2003
Lecture du 19 mars 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°) sous le n° 195007, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 19 mars et 17 juillet 1998, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN ; le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a, à la demande de M. Ibrahim F., 1) annulé le jugement du 31 janvier 1995 du tribunal administratif de Caen rejetant la demande de l’intéressé tendant à ce que ledit centre hospitalier soit déclaré responsable des conséquences dommageables de sa paraplégie et 2) ordonné une expertise afin de déterminer le montant du préjudice subi ;

Vu, 2°), sous le n° 211317, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 5 août et 12 octobre 1999, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN ; le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 10 juin 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, à la demande de M. F., 1) l’a condamné à verser à l’intéressé, d’une part, la somme de 1 514 410,20 F correspondant à la différence entre le montant total du préjudice causé et le montant de la créance de la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados, d’autre part, la somme de 6 000 F au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens, 2) l’a condamné à verser à ladite caisse, d’une part, la somme de 217 180,47 F correspondant à 15% du montant des différentes prestations versées à son assuré, majorée des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 1994, d’autre part, la somme de 5 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, 3) a mis les fiais des trois expertises à sa charge ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN, de la SCP Gatineau, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados et de Me Foussard, avocat de M. F.,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête n° 195007 du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN est dirigée contre l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que le centre hospitalier, dont la responsabilité pour faute était engagée, était tenu de réparer intégralement le préjudice subi par M. F. ; que la requête n° 211317 du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN est dirigée contre l’arrêt du 10 juin 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a fixé le montant du préjudice indemnisable et les droits respectifs de l’intéressé et la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados ; qu’il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. F., alors âgé de 23 ans, a ressenti, après avoir soulevé un poids d’environ 50 kilogrammes dans la journée du samedi 14 octobre 1989, une douleur dorsale violente et tenace ; que, devant l’aggravation de cette douleur, il s’est présenté le dimanche 15 octobre vers 4 heures du matin au service des urgences du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN où des radiographies ont été effectuées et des calmants lui ont été prescrits ; que, de retour à son domicile, l’intéressé a constaté, dans la soirée, que sa jambe droite se paralysait, ce qui a justifié son transport par le S.A.M.U. au centre hospitalier vers 20 heures ; qu’après son admission et la réalisation de divers examens, il a été transféré au service de rhumatologie vers 23 heures où il a été découvert, le lendemain matin, 16 octobre 1989, atteint d’une paraplégie complète ; qu’une hernie discale dorsale basse en D11-D12 a alors été diagnostiquée et une intervention chirurgicale pratiquée le même jour vers 18 heures 3.0, intervention à la suite de laquelle aucune récupération sensitivo-motrice n’a été constatée ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 :

Considérant qu’en jugeant que la responsabilité du service hospitalier était engagée à raison d’un retard de diagnostic né, d’une part, de l’erreur du médecin de garde qui n’a pas interprété correctement les symptômes du patient, et d’autre part, de l’incapacité du service des urgences à retrouver les radiographies effectuées le matin même à l’occasion de la première hospitalisation et du défaut caractérisé de surveillance médicale pendant la nuit du 15 au 16 octobre, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en caractérisant les faits de l’espèce à la fois comme établissant une faute médicale et révélant des fautes dans l’organisation du service ;

Considérant qu’en jugeant que le retard de diagnostic a privé l’intéressé de chances réelles de rétablissement ou de récupération même partielle, tout en relevant qu’eu égard au caractère extrêmement aigu de l’évolution des déficits neurologiques observés chez l’intéressé, ce denier n’aurait eu que des chances limitées mais réelles de récupérer si le diagnostic avait été posé de manière plus précoce, la cour, qui n’a pas entaché son appréciation d’une contradiction de motifs, n’a pas dénaturé les rapports d’expertise qui lui étaient soumis ; que son arrêt est sur ce point suffisamment motivé ;

Considérant qu’après avoir estimé, par une appréciation souveraine des faits, que les fautes commises avaient compromis les chances réelles de rétablissement dont bénéficiait l’intéressé, la cour a pu, en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que la réparation intégrale du préjudice incombait au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt du 10 juin 1999

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de ce que l’arrêt du 10 juin 1999 devrait être annulé par voie de conséquence de l’annulation de l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’en relevant que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN ne pouvait, en demandant à la cour de limiter à 15 % la part de la réparation du préjudice qui lui incombait, remettre en cause l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 qui l’avait déclaré entièrement responsable du préjudice subi par M. Ibrahim F. à l’occasion de sa requête dirigée contre l’arrêt du 10 juin 1999 fixant le montant de ce préjudice, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ; que le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en estimant que la réparation intégrale du préjudice incombait au centre hospitalier ne saurait être dirigé que contre l’arrêt avant-dire droit du 30 décembre 1997 ; qu’un tel moyen, qui a été écarté dans les motifs énoncés ci-dessus, ne peut être utilement invoqué à l’encontre de l’arrêt du 10 juin 1999 ;

Sur les conclusions de M Ibrahim F. tendant à ce que les intérêts dûs sur la somme que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN a été condamné à lui verser soient capitalisés

Considérant qu’une telle demande est présentée pour la première fois en cassation ; que, par suite, elle n’est pas recevable ;

Sur les conclusions de M Ibrahim F. et de la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que M. Ibrahim F. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN à payer à l’avocat de M. Ibrahim F., qui déclare renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, une somme de 2200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en outre, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN à payer à la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados une somme de 4 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de M. Ibrahim F. tendant à la capitalisation des intérêts sur les sommes qui lui sont dues par le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN sont rejetées.

Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN versera à l’avocat de M. Ibrahim F. une somme de 2 200 euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, et à la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados une somme de 4 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE CAEN, à M. Ibrahim F., à la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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