CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 236568
PREFET DE POLICE
c/ Mme K., épouse R.
Mme Morellet-Steiner
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 septembre 2002
Lecture du 23 octobre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 25 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 4 mai 2001 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 29 septembre 2000 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme Kalavathy K. épouse R. ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme R., devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Morellet-Steiner, Maître des Requêtes,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 : "Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l’étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé... s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus..." ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes du I de l’article 29 de la même ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 1993 : "Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins deux ans, sous couvert d’un des titres de séjour d’une validité d’au moins un an..., a le droit de se faire rejoindre, au titre du regroupement familial, par son conjoint et les enfants du couple mineur de 18 ans..." ; que, selon le III du même article : "Les membres de la famille, entrés régulièrement sur le territoire français au titre du regroupement familial, reçoivent de plein droit un titre de séjour de même nature que celui détenu par la personne qu’ils sont venus rejoindre..." ; qu’aux termes du IV du même article 29 : "En cas de rupture de la vie commune, le titre de séjour mentionné au III qui a été remis au conjoint d’un étranger, peut, pendant l’année suivant sa délivrance, faire l’objet soit d’un refus de renouvellement, s’il s’agit d’une carte de séjour temporaire, soit d’un retrait s’il s’agit d’une carte de résident..." ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées du IV de l’article 29 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 que, lorsqu’il est établi que la vie commune entre les époux dont l’un, titulaire d’une carte de résident, a pu faire venir en France son conjoint au titre du regroupement familial, a cessé, l’autorité administrative ne peut procéder pour ce motif au retrait de la carte de résident que dans l’année qui suit sa délivrance ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme K., épouse R., ressortissante srilankaise ; est entrée régulièrement en France le 14 mars 1999, au titre du regroupement familial, dans les conditions prévues par les dispositions précitées du I de l’article 29 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, pour y rejoindre son époux, titulaire d’une carte de résident ; qu’en application du III du même article, il lui a été délivré le 28 mai 1999 une carte de résident, valable du 14 mai 1999 au 13 mai 2009 ; que, toutefois, le PREFET DE POLICE a procédé, par un arrêté en date du 26 juin 2000, au retrait du titre de l’intéressée, au motif que la vie commune avait cessé entre les époux ; que, plus d’un an s’étant écoulé entre la délivrance du titre et son retrait, le PREFET DE POLICE a méconnu les dispositions du IV de l’article 29 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ; que la circonstance, invoquée par le PREFET DE POLICE, que la vie commune entre les deux époux a cessé, comme l’attestent plusieurs.pièces du dossier, moins d’un an après la délivrance du titre est sans effet sur la solution du litige, dès lors que le délai prescrit par les dispositions précitées limite, comme il a été dit ci-dessus, non pas la période pendant laquelle peut être constatée la rupture de la vie commune, mais celle pendant laquelle peut être retiré le titre ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué qui n’est pas entaché d’erreur de droit dès lors qu’il n’a relevé que de manière surabondante que le caractère frauduleux du mariage n’était pas établi, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris, se fondant sur l’illégalité de la décision du 26 juin 2000 retirant le titre de séjour dont bénéficiait Mme K., épouse R., a annulé l’arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de l’intéressée ;
Sur les conclusions de Mme R. tendant à ce qu’il soit ordonné au PREFET DE POLICE de lui remettre un titre de séjour :
Considérant que si la présente décision n’implique pas que le PREFET DE POLICE délivre un titre de séjour à Mme K., épouse R., elle lui impose de statuer sur la régularisation de la situation de l’intéressée ; qu’il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce nouvel examen dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision ;
Sur les conclusions de Mme R. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser à Mme K., épouse R. la somme 1 200 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du PREFET DE POLICE est rejetée.
Article 2 : Le PREFET DE POLICE statuera sur la régularisation de la situation de Mme K., épouse R., dans le délai d’un mois suivant la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à Mme K., épouse R. la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à Mme Kalavathy K., épouse R.et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.