format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Conseil d’Etat, 28 octobre 2002, n° 231019, Mme Arlette S.
Conseil d’Etat, 16 janvier 2004, n° 251658, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires
Conseil d’Etat, 27 septembre 2002, n° 217012, Commune de Solers
Conseil d’Etat, 4 février 2008, n° 292956, Pascal P.
Conseil d’Etat, 6 mars 2002, n° 178123, Consorts B.
Conseil d’Etat, 19 mai 2004, n° 253763, Coordination nationale infirmière
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 266378, Société Sumo
Conseil d’Etat, 15 mai 2002, n° 221277, Comité départemental d’action économique du département de Seine-et-Marne
Conseil d’Etat, Section, 6 juin 2008, n° 283141, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris
Conseil d’Etat, 6 février 2008, n° 304752, Société anonyme d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point

THEMES ABORDES :
Les immanquables du droit administratif
Conseil d’État, 26 Mai 1995, Consorts P.
Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2001, n° 221458, Société des Eaux du Nord
Conseil d’État, 2 juillet 1993, M. MILHAUD
Conseil d’État, 10 avril 1992, M. AYKAN
Conseil d’Etat, Section, 7 décembre 2001, n° 206145, Société anonyme la Ferme de Rumont
Conseil d’Etat, Assemblée, 9 Avril 1999, Mme Toubol-Fischer, M. Bismuth
Conseil d’Etat, Assemblée, 17 Février 1995, Marie
Conseil d’État, 15 Octobre 1993, ROYAUME-UNI DE GRANDE BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD et GOUVERNEUR DE LA COLONIE ROYALE DE HONG-KONG
Conseil d’État, 29 juillet 1994, DÉPARTEMENT DE L’INDRE
Conseil d’Etat, Assemblée, 5 mars 1999, M. Rouquette et autres.




Conseil d’Etat, 27 mai 1991, n° 104723, Ville de Genève et autres

Une personne publique étrangère localisée à proximité d’une installation nucléaire a intérêt à agir à l’encontre des décisions mettant de mise en place de cette installation.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 104723 105548 105572 105768 106176 106671 106711 111211

VILLE DE GENEVE et autres

M. Latournerie, Rapporteur

M. Legal, Commissaire du gouvernement

Lecture du 27 mai 1991

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1°), sous le n° 104 723, la requête enregistrée le 23 janvier 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la ville de Genève, représentée par son maire en exercice, WWF SUISSE, dont le siège est World Wildlife Fund Förrlibuckstrasse 66 à 8037 Zurich, représentée par son codirecteur en exercice, WWF SECTION DE GENEVE, dont le siège est 19 place Montbrillant à 1201 Genève, représentée par son président en exercice, l’APPEL DE GENEVE (APAG), case postale 1212 Grand-Lancy à Genève, représenté par ses coprésidents en exercice, CONTRATOM, case postale 107 1227 Carouge Genève, représenté par son président en exercice, FRAPNA REGIONS, université Lyon 1 43 boulevard du 11 novembre à Villeurbanne (69622), représenté par sa présidente en exercice, la SOCIETE POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, dont le siège est 6 rue Saint-Ours, 1205 Genève, représentée par son président en exercice ; les requérants demandent au Conseil d’Etat : - d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 janvier 1989, modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa d’une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 MWe sur le site de Creys-Malville (département de l’Isère) ;
- subsidiairement de renvoyer à la cour de justice des communautés européennes le soin d’interpréter l’article 34 du traité Euratom sur le point de savoir ce qu’il convient d’entendre par expérience particulièrement dangereuse et s’il convient ou non de soumettre à cette procédure la centrale de Creys-Malville ;
- de condamner l’Etat à verser aux exposants la somme globale de 20 000 F au titre de l’article 1er du décret du 2 septembre 1988 ;

Vu, 2°), sous le n° 105 548, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 3 mars 1989, présentée par la FEDERATION RHONE ALPES DE LA PROTECTION DE LA NATURE SECTION ISERE (FRAPNA), représentée par le président de son conseil d’administration en exercice, dont le siège social est à la maison de la nature, place Bir-Hakeim à Grenoble (Isère), LES AMIS DE LA TERRE représentée par la présidente de son conseil d’administration en exercice, dont le siège est à la maison de la nature, place Bir-Hakeim à Grenoble (Isère), l’UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS DE L’ISERE "QUE CHOISIR", représentée par la présidente de son conseil d’administration en exercice, dont le siège est 2, rue Berthe de Boissieux à Grenoble (Isère), M Maurice FRANCOIS, demeurant au lieu-dit "Anolieu" à Mépieu, Montalieu-Vercieu (Isère), M Georges DAVID, demeurant au lieu-dit "le Poulet" à Lhuis (01680), M Henri BUYAT demeurant au lieu-dit "Versin" à Saint Chef (38890), M Léon BARIOZ, demeurant au lieu-dit "la Ribotière" à Villebois (01820), M Claude BOUVIER, demeurant au lieu-dit "Bachelin" Passins Morestel (38510), M Jean-Jacques PERNOUD, demeurant à Montagnieu Serrières (01470), M Eric GILBERT demeurant à Vaux en Bugey (01860), M Maurice GARIN, demeurant 45, rue Edouard Marion à Bourgoin-Jallieu (38300) ; la FRAPNA et les autres requérants précités demandent au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 10 janvier 1989 modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa d’une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 MWe sur le site de Creys-Malville (département de l’Isère) ;

Vu, 3°), sous le n° 105 572, la requête enregistrée le 3 mars 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la FEDERATION RHONE-ALPES DE LA PROTECTION DE LA NATURE SECTION ISERE (FRAPNA), représentée par le président de son conseil d’administration en exercice, dont le siège social est à la maison de la nature, place Bir-Hakeim, à Grenoble (Isère), LES AMIS DE LA TERRE, représentée par la présidente de son conseil d’administration en exercice, dont le siège social est à la maison de la nature, place Bir-Hakeim à Grenoble (Isère), l’UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS DE L’ISERE "QUE CHOISIR", représentée par la présidente de son conseil d’administration en exercice, dont le siège social est 2, rue Berthe de Boissieux à Grenoble (Isère), M Maurice FRANCOIS, demeurant au lieu-dit "Anolieu" à Mépieu, Montalieu-Vercieu (Isère), M Georges DAVID, demeurant au lieu-dit "le Poulet" à Lhuis (01680), M Henri BUYAT, demeurant au lieu-dit "Versin" à Saint Chef (38890), M Léon BARIOZ, demeurant au lieu-dit "la Ribotière" à Villebois (01820), M Claude BOUVIER, demeurant au lieu-dit "Bachelin" Passins à Morestel (38510), M Jean-Jacques PERNOUD, demeurant à Montagnieu Serrières (01470), M Eric GILBERT, demeurant à Vaux en Bugey (01860), M Maurice GARIN demeurant 45, rue Edouard Marion à Bourgoin-Jallieu (38300) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat de décider qu’il sera sursis à l’exécution du décret du 10 janvier 1989 ; Vu, 4°), sous le n° 105 768, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 11 mars 1989, présentée pour la ville de Genève, représentée par son maire en exercice, WWF SUISSE, dont le siège est World Wildlife Fund Förrlibuckstrasse 66 à 8037 Zurich, représentée par son codirecteur en exercice, WWF SECTION DE GENEVE, dont le siège est 19 place Montbrillant à 1201 Genève, représentée par son président en exercice, l’APPEL DE GENEVE (APAG), case postale 1212 Grand-Lancy à Genève, représenté par ses coprésidents en exercice, CONTRATOM, case postale 107 1227 Carouge Genève, représenté par son président en exercice, FRAPNA REGIONS, université Lyon 1 43 boulevard du 11 novembre à Villeurbanne (69622), représenté par sa présidente en exercice, la SOCIETE POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, dont le siège est 6 rue Saint Ours, 1205 Genève, représentée par son président en exercice ; les requérants demandent au Conseil d’Etat :
- d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 janvier 1989 du ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et du secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, autorisant le redémarrage du surgénérateur superphenix de Creys-Malville ;
- de décider qu’il sera sursis à l’exécution de cette décision ;

Vu, 5°), sous le n° 106 176, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 24 mars 1989, présentée pour la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE représentée par le Conseil d’Etat de la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE ; la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE demande au Conseil d’Etat :
- d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 janvier 1989 modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 MWe sur le site de Creys-Malville et, par voie de conséquence, l’autorisation de redémarrage du 12 janvier 1989 et la décision du 22 mars 1989 autorisant une montée en puissance à 100 % et à titre subsidiaire de renvoyer l’interprétation de la notion d’expérience dangereuse devant la cour de justice des communautés ;
- de décider qu’il sera sursis à l’exécution de ce décret ;

Vu, 6°), sous le n° 106 671, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 18 avril 1989, présentée pour la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE, représentée par le Conseil d’Etat de la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE ; la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE demande au Conseil d’Etat :
- d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 mars 1989 du chef du service central de sûreté des installations nucléaires, au ministère de l’industrie et de l’aménagement du territoire autorisant les dirigeants de la société Nersa à monter en puissance jusqu’à 100 % la centrale nucléaire de Creys-Malville ;
- de décider qu’il sera sursis à l’exécution de cette décision ;

Vu, 7°), sous le n° 106 711, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 10 avril 1989, présentée pour la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE ; la REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE demande au Conseil d’Etat :
- d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 janvier 1989 modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa d’une centrale nucléaire à neutrons rapides sur le site de Creys-Malville et, par voie de conséquence, l’autorisation de redémarrage du 12 janvier 1989 et la décision du 22 mars 1989 autorisant une montée en puissance à 100 %, ainsi qu’à titre subsidiaire, au renvoi de l’interprétation de la notion d’"expérience dangereuse" devant la cour de justice des communautés européennes ;
- de décider qu’il sera sursis à l’exécution du décret du 10 janvier 1989 ;

Vu, 8°), sous le n° 111 211, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 30 octobre 1989, présentée pour FRAPNA REGIONS, dont le siège est 43 boulevard du 11 novembre à Villeurbanne (Rhône), représentée par sa présidente en exercice, la ville de Genève, représentée par son maire en exercice, WWF SUISSE, dont le siège est World Wildlife Fund Förrlibuckstrasse 66 à Zurich (8037), représentée par son codirecteur en exercice, WWF SECTION DE GENEVE dont le siège est 19 place Montbrillant à Genève (1201), représentée par son président en exercice, l’APPEL DE GENEVE (APAG) case postale 1212 Grand-Lancy à Genève, représenté par ses coprésidents en exercice, CONTRATOM case postale 107 1227 Carouge Genève, représenté par son président en exercice, la SOCIETE POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, dont le siège est 6, rue Saint Ours, 1205 Genève, représentée par son président en exercice ; les requérants demandent au Conseil d’Etat :
- d’annuler pour excès de pouvoir la décision, en date du 30 août 1989, par laquelle le ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et le secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs ont autorisé la poursuite du fonctionnement de la centrale nucléaire de Creys-Malville ;
- de décider qu’il sera sursis à l’exécution de cette décision ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi du 19 décembre 1917, modifiée et complétée relative aux établissements dangereux insalubres ou incommodes ;

Vu la loi n° 61-842 du 2 août 1961 ;

Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ;

Vu la loi n° 72-1152 du 23 décembre 1972 ;

Vu le décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963, modifié par les décrets n° 73-405 du 27 mars 1973 et 85-449 du 23 avril 1985 ;

Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;

Vu le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa d’une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 MWe sur le site de Creys-Malville (département de l’Isère), modifié par le décret du 25 juillet 1986 ;

Vu le décret n° 58-84 du 28 janvier 1958, portant publication du traité instituant la communauté économique européenne et du traité instituant la communauté européenne de l’énergie atomique, signé le 25 mars 1957 ;

Vu le décret du 10 janvier 1989 modifiant le décret du 12 mai 1977 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu :
- le rapport de M Latournerie, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Nicola y, de Lanouvelle, avocat de la ville de Genève et autres, de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la République et du Canton de Genève,
- les conclusions de M. Legal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes n° 104 723, 105 548, 105 572, 106 176 et 106 711 sont dirigées contre un même décret et que les requêtes n° 105 768, 106 671 et 111 211 présentent à juger des questions connexes ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Sur la compétence du Conseil d’Etat en premier ressort :

Considérant qu’il résulte du deuxième alinéa de l’article 2 bis ajouté au décret du 30 septembre 1953 par le décret du 27 décembre 1960, que, lorsque le Conseil d’Etat est saisi d’une requête contenant des conclusions ressortissant à sa compétence de premier et dernier ressort, il est également compétent, en dépit des dispositions contraires de l’article 2 dudit décret, pour connaître d’une requête connexe à la précédente et ressortissant normalement à la compétence en premier ressort d’un tribunal administratif ;

Considérant que le Conseil d’Etat est compétent, en vertu de l’article 2-1° du décret du 30 septembre 1953 susmentionné, pour connaître en premier et dernier ressort des requêtes n° 104 723, 105 548, 105 572, 106 176 et 106 711 dirigées contre le décret du 1er janvier 1989 modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société Nersa d’une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 M We sur le site de Creys-Malville (département de l’Isère) et tendant à son annulation et au sursis à l’exécution de ses dispositions ; que, si les requêtes n° 105 568, 106 671 et 111 211, tendant à l’annulation respectivement de la décision du 12 janvier 1989 autorisant le redémarrage de la centrale, de celle du 22 mars 1989 autorisant la montée en puissance à 100 % de ladite centrale et de celle du 30 août 1989 autorisant la poursuite de son fonctionnement, relèvent en première instance de la compétence du tribunal administratif de Grenoble, il existe entre ces diverses requêtes un lien de connexité ; qu’eu égard à cette connexité, le Conseil d’Etat est compétent, en application de l’article 2 bis du décret du 30 septembre 1983, modifié, pour connaître en premier ressort de l’ensemble de ces conclusions ;

Sur les interventions de la société Nersa et de la commune de La Chaux-de-Fonds :

Considérant que la société Nersa a intérêt au maintien des décisions attaquées ; qu’ainsi ses interventions sont recevables ;

Considérant que la commune de La Chaux-de-Fonds se borne à intervenir au soutien des conclusions des requérants à fin de sursis à exécution du décret du 10 janvier 1989 et non des conclusions tendant à l’annulation dudit décret ; que, dès lors, son intervention n’est pas recevable ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 10 janvier 1989 en son entier :

Considérant que la création d’une centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 M We sur le site de Creys-Malville (Isère) a été autorisée par décret du 12 mai 1977 ; que son réacteur unique a divergé pour la première fois le 7 septembre 1985 et a atteint sa puissance électrique nominale de 1 200 M We le 9 décembre 1986 ; qu’en mars 1987, a été décelée une fuite de sodium sur la cuve principale du barillet de stockage des assemblages qui entrâina l’arrêt du réacteur fin mai 1987 ; qu’à la suite de cet incident, la conception du barillet empli de sodium et destiné à assurer l’approvisionnement et le déchargement en combustible du réacteur ainsi que le stockage du combustible irradié, fut modifiée, le barillet étant remplacé par un "poste de transfet du combustible", la nouvelle enceinte étant emplie d’argon et uniquement utilisée pour le transfert des assemblages hors du réacteur et vers celui-ci ; que cette modification a été autorisée par décret du 10 janvier 1989, modifiant le décret du 12 mai 1977 ; qu’en outre, le même décret a prévu que, pendant la durée d’indisponibilité du barillet de stockage, le fonctionnement du réacteur pourrait être autorisé dans certaines limites ; qu’enfin le décret a reporté au 28 mai 1994 la date limite de mise en service de l’installation ;

Considérant, en premier lieu, que, si l’article 6 du décret du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires prévoit "qu’une nouvelle autorisation, délivrée dans les formes prévues à l’article 3, doit être obtenue lorsqu’une installation nucléaire de base doit faire l’objet de modifications de nature à entraîner l’inobservation des prescriptions précédemment imposées", cette disposition n’interdit nullement de procéder par la voie d’un décret modificatif du décret ayant accordé l’autorisation initiale ; que le moyen tiré de ce que le décret du 10 janvier 1989, en se bornant à modifier le décret du 12 mai 1977 autorisant la création de la centrale de Creys-Malville, aurait méconnu la portée des dispositions de l’article 6 du décret précité du 11 décembre 1963 et comporterait un détournement de procédure, doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 5 du décret précité du 11 décembre 1963, l’autorisation de créer une centrale fixe, compte tenu de la nature de l’installation, le délai dans lequel celle-ci doit être mise en service ; que ce délai, initialement fixé à dix ans par l’article 12 du décret précité du 12 mai 1977 et qui devait expirer le 28 mai 1987, a été prorogé jusqu’au 28 mai 1994 par l’article 4 du décret attaqué du 10 janvier 1989, il l’a été avant son expiration, sans que puissent être utilement invoquées les dispositions du deuxième alinéa de l’article 5 du décret précité du 11 décembre 1963, l’interruption du fonctionnement de la centrale ayant duré moins de deux ans de fin mai 1987 au 13 janvier 1989 ; que le moyen tiré d’une prorogation irrégulière du délai initialement prévu doit donc être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 3-II du décret du 11 décembre 1963, dans la rédaction résultant du décret du 23 avril 1985, en vigueur à la date de la décision attaquée, l’autorisation n’a pas à être précédée d’une enquête publique, "pour une installation nucléaire de base ayant déjà fait l’objet d’une enquête préalable à une déclaration d’utilité publique, si l’installation est conforme au projet soumis à cette enquête ou si les modifications apportées n’affectent pas de façon substantielle l’importance ou la destination et n’augmentent pas les risques de l’installation" ;

Considérant que la création de la centrale de Creys-Malville autorisée par le décret du 12 mai 1977 a donné lieu à une enquête publique ; que, si des changement ont été apportés à la conception initiale, ils n’ont affecté ni la puissance électrique qui demeure de 1 200 M We, ni les dimensions ou le volume des installations qui demeurent affectées à la production d’énergie électrique ; que les requérants n’établissement pas que les modifications apportées aux conditions de chargement, de déchargement et de stockage du combustible nucléaire aient eu pour effet d’augmenter les risques de l’installation ; que, dans ces conditions, alors qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne l’adoption du décret d’autorisation d’une centrale nucléaire à une enquête distincte de l’enquête publique, il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle enquête ;

Considérant, en quatrième lieu, que les requérants ne sauraient utilement, à l’appui de leurs conclusions dirigées contre le décret du 10 janvier 1989, exciper de l’illégalité dont serait entaché une autorisation distincte d’installation de l’atelier de destruction de sodium ;

Considérant, en cinquième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que l’étude d’impact effectuée avant l’intervention du décret du 10 janvier 1989, en vue de la réalisation de la nouvelle installation, comporte une analyse de l’état initial à cette époque et non pas seulement une référence aux données de l’étude d’impact initiale ayant précédé le décret du 12 mai 1977 ; que les effets sur l’environnement pendant la période de fonctionnement sans barillet y sont traités ; que les mesures prises pour réduire ou supprimer les risques créés y figurent également ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’étude d’impact serait insuffisante du fait de l’absence de ces données ;

Considérant, en sixième lieu, qu’aux termes de l’article 6 du décret du 12 octobre 1977 pris pour l’application de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature : "Lorsqu’une enquête publique n’est pas prévue, l’étude d’impact est rendue publique dans les conditions suivantes. Toute personne physique ou morale peut prendre connaissance de l’étude d’impact dès qu’à été prise par l’autorité administrative la décision de prise en considération ou, si une telle décision n’est pas prévue, la décision d’autorisation ou d’approbation des aménagements ou ouvrages. Si la procédure ne comporte aucune de ces décisions, la date à laquelle il peut être pris connaissance de l’étude d’impact est celle à laquelle la décision d’exécution a été prise par la collectivité publique, maître de l’ouvrage. A cet effet, la décision de prise en considération, d’autorisation, d’approbation ou d’exécution doit faire l’objet, avant toute réalisation, d’une publication mentionnant l’existence d’une étude d’impact. La publication est faite selon les modalités prescrites par les dispositions réglementaires prévues pour l’aménagement de l’ouvrage projeté. A défaut d’une telle disposition, elle est faite par une mention insérée dans deux journaux locaux ; pour les opérations d’importance nationale, elle est faite, en outre, dans deux journaux à diffusion nationale" ; qu’en mentionnant expressément dans les visas du décret attaqué du 10 janvier 1989, publié au journal officiel du 12 janvier, l’existence des études d’impact réalisées, le gouvernement a satisfait à l’obligation de publicité prévue par les dispositions précitées ;

Considérant, en septième lieu, qu’aux termes de l’article 1er du décret précité du 12 octobre 1977 : "La réalisation d’aménagements ou d’ouvrages donne lieu à l’élaboration d’une étude d’impact " et que l’article 2 du même décret dispose : "Le contenu de l’étude d’impact doit être en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement" ; que la réalisation de deux études d’impact correspondant à deux phases successives de fonctionnement de la centrale, n’a pas méconnu la portée des dispositions précitées ;

Considérant, en huitième lieu, qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement : "Les installations visées à l’article 1er sont définies dans la nomenclature des installations classées établies par décret en Conseil d’Etat ", que, si l’article 3-5° du décret du 21 septembre 1977 pris pour l’application de ces dispositions, précise que les demandes d’autorisation pour les installations soumises à la loi du 19 juillet 1976 précitée doivent comporter "une étude exposant les dangers que peut présenter l’installation en cas d’accident " l’article 44 du décret lui-même dispose : "A titre transitoire, la nomenclature des établissements dangereux, insalubres et incommodes résultant du décret du 20 mai 1953 modifié constitue la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement prévue à l’article 2 de la loi du 19 juillet 1976" ; que le tableau annexé au décret du 20 mai 1953, modifié notamment par le décret du 24 octobre 1967, qui détermine les industries auxquelles s’appliquent la loi du 19 décembre 1917 comporte une rubrique n° 358 sexies "substances radioactives" ainsi rédigée : "Nonobstant les dispositions des rubriques 385 ter, quater et quinquies ci-dessus, ne relèvent que des dispositions du décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 les établissements qui procèdent au stockage, au dépôt, à l’utilisation, à la préparation, à la fabrication, à la transformation ou au conditionnement des matières fissiles " ; que, par suite, les installations nucléaires de base, telles qu’elles sont définies à l’article 2 du décret du 11 décembre 1963 modifié par le décret du 27 mars 1973, pris en application des dispositions de l’article 8 de la loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs, ne sont pas soumises à la procédure d’autorisation ou de déclaration concernant les installations classées pour la protection de l’environnement et, partant, à l’obligation de procéder à l’étude des dangers, prévue par les dispositions précitées du décret du 21 septembre 1977 ; qu’aucune autre disposition législative ou réglementaire n’impose l’obligation d’une telle étude ;

Considérant, en neuvième lieu, qu’aux termes de l’article 8 du décret précité du 11 décembre 1963, la commission interministérielle des installations nucléaires de base "donne son avis sur les demandes d’autorisation de création ou de modification d’installations nucléaires de base et sur les prescriptions particulières applicables à chacune des installations. La commission doit donner son avis dans les deux mois qui suivent sa saisine par le ministre du développement industriel et scientifique" ; qu’il ressort des pièces du dossier que ladite commission a été effectivement consultée et a émis son avis les 13 juin et 19 septembre 1988 ; que le moyen tiré de l’absence de consultation manque en fait ; que la circonstance que le deuxième avis ait été rendu après le délai de deux mois ci-dessus mentionné, est sans influence sur la légalité du décret attaqué, ledit délai n’étant pas prescrit sous peine de nullité ;

Considérant, en dixième lieu, qu’en vertu du décret du 12 mai 1977, le rapport définitif de sûreté doit être présenté par la société exploitante dans un délai fixé par le ministre de l’industrie et au plus tard dix mois avant l’expiration du délai de mise en service ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’il devait être présenté avant l’intervention du décret attaqué, qui a notamment prévu que le délai de mise en service expirerait le 28 mai 1994 ;

Considérant que les requérants soutiennent, en onzième lieu, que le décret du 10 janvier 1989 n’a pas respecté les prescriptions de l’article 34 du traité du 25 mars 1957, instituant la communauté européenne de l’énergie atomique ; que cet article stipule que "tout Etat membre sur le territoire duquel doivent avoir lieu des expériences particulièrement dangereuses est tenu de prendre des dispositions supplémentaires de protection sanitaire sur lesquelles il recueille préalablement l’avis de la commission. L’avis conforme de la commission est nécessaire lorsque les effets de ces expériences sont susceptibles d’affecter les territoires des autres Etats membres" ; qu’il ressort clairement de ces dispositions, et sans qu’il soit besoin de requérir l’interprétation de la cour de justice des communautés européennes, que celles-ci ne sont pas applicables à une installation nucléaire telle que celle qui a été autorisée par le décret attaqué et qui consiste en un réacteur nucléaire destiné non à une expérience mais à une production industrielle d’électricité ; que les modifications apportées par le décret attaqué aux conditions techniques de chargement, de déchargement et de stockage du combustible, n’ont pas pour effet de donner à l’exploitation de la centrale nucléaire le caractère d’une expérience ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que le décret attaqué aurait dû être précédé de l’avis de la commission des communautés européennes ;

Sur les conclusions dirigées contre l’article 3 du décret attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article 3 du décret en Conseil d’Etat du 11 décembre 1963 précité : "Les installations nucléaires de base ne peuvent être créées qu’après autorisation l’autorisation est délivrée par décret ; que l’article 4 du même décret dispose : "L’autorisation de création fixe le périmètre et les caractéristiques de l’installation ainsi que les prescriptions particulières auxquelles doit se conformer l’exploitant Elle fixe en particulier les conditions auxquelles est subordonnée la mise en exploitation de l’installation. Des décrets pris dans les formes visées à l’article 3 peuvent, en cas de besoin, apporter à ces mesures les modifications nécessaires" ; qu’aux termes de l’article 6 du même décret : "Une nouvelle autorisation, délivrée dans les formes prévues à l’article 3, doit être obtenue lorsqu’une installation nucléaire de base doit faire l’objet de modifications de nature à entraîner l’inobservation des prescriptions précédemment imposées" ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en cas de modification de l’installation, les conditions auxquelles est soumise la mise en exploitation de l’installation ainsi modifiée doivent être déterminées par décret ;

Considérant que l’article 3 du décret attaqué du 10 janvier 1989 dispose que : "Pendant la période d’indisponibilité du barillet de stockage initial le fonctionnement du réacteur pourra être autorisé, sans conduire à une durée d’exploitation supérieure à 325 jours équivalents pleine puissance à compter du 12 janvier 1989, dans les conditions définies par le ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et du secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs" ;

Considérant que cet article renvoie à des décisions ministérielles le pouvoir de mettre en exploitation la centrale sans y apporter d’autres restrictions que la durée de la mise en exploitation et son point de départ ; qu’en omettant ainsi de fixer les autres conditions auxquelles cette décision est subordonnée et de définir, avec une précision suffisante, les modalités suivant lesquelles ces conditions doivent être mises en oeuvre, le gouvernement a illégalement subdélégué les pouvoirs qu’il tient des dispositions précitées du décret du 11 décembre 1963 ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen soulevé contre le même article, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’article 3 du décret attaqué ;

Sur les conclusions dirigées contre les décisions du 12 janvier 1989, 22 mars 1989 et 30 août 1989 ayant autorisé respectivement le redémarrage de la centrale, sa montée en puissance à 100 % et la poursuite de son fonctionnement :

Considérant que, par décisions du ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et du secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, en date du 12 janvier et 30 août 1989, ont été respectivement autorisées la remise en service du réacteur jusqu’au 1er septembre 1989 et la poursuite de son fonctionnement au-delà du 1er septembre 1989 et que, par décision du 22 mars 1989 du chef du service central de sûreté des installations nucléaires, agissant en vertu d’une délégation de signature du ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire, a été autorisée la montée en puissance de la centrale par paliers successifs jusqu’à 100 % ; que ces décisions ont été prises sur le seul fondement des dispositions de l’article 3 du décret du 10 janvier 1989 ; que ces dispositions devant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, être annulées, les requérants sont fondés à demander, par voie de conséquence, l’annulation des décisions des 12 janvier, 22 mars et 30 août 1989 ;

Sur l’application des dispositions de l’article 1er du décret du 2 septembre 1988 :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’allouer à la Ville de Genève, à W W F Suisse, W W F section de Genève, à l’appel de Genève (APAG), à Contratom, à Frapna régions, et à la société pour la protection de l’environnement la somme globale de 20 000 F qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux à l’occasion du procès ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de la société Nersa est admise.

Article 2 : L’intervention de la commune de La Caux-de-Fonds n’est pas admise.

Article 3 : L’article 3 du décret du 10 janvier 1989 et les décisions du ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et du secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, en date du 12 janvier et 30 août 1989 ainsi que la décision signée du chef du sercice central de sûreté des installations nucléaires, en date du 22 mars 1989, sont annulés.

Article 4 : Il est alloué à la Ville de Genève, W W F Suisse, W W F section de Genève, à l’appel de Genève (APAG), à Contratom, Frapna régions et à la société pour la protection de l’environnement, la somme globale de 20 000 F au titre de l’article 1er du décret du 2 septembre 1988.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la République et canton de Genève, à la Ville de Genève, à la commune de La Chaux-de-Fonds, W W F Suisse, W W F section de Genève, l’appel de Genève (APAG), Contratom, Frapna régions, Frapna section Isère, à la société pour la protection de l’environnement, aux amis de la terre, à l’union fédérale du consommateur de l’Isère, à MM François, David, Boyet, Barioz, Bouvier, Pernoud, Gilbert, Gerin, à la société Nersa, au Premier ministre, au ministre de l’industrie et de l’aménagement du territoire et au ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site