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Hébergement gratuit des sites Internet des candidats : le Conseil constitutionnel donne son feu (un peu trop) vert

Par Benoît TABAKA
Chargé d’enseignements à l’Université de Paris V - René Descartes et Paris X - Nanterre

Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur et ne sauraient engager la responsabilité de son employeur.

Le Conseil constitutionnel a autorisé les candidats à recourrir à l’hébergement gratuit de leurs pages personnelles. Cette décision marque une étape supplémentaire dans la possibilité pour les candidats de bénéficier de dons de la part de sociétés privées.

Par une décision du 25 juillet 2002, le Conseil constitutionnel statuant en qualité de juge des élections législatives vient de valider le recours par un candidat à l’hébergement gratuit de ses pages personnelles par un fournisseur d’accès à Internet. Cette décision permet ainsi d’éclaircir très nettement une des zones grises du droit électoral de l’Internet mais offre également, au-delà de la dimension numérique, la possibilité de recourir de manière plus large aux prestations de certaines sociétés privées.

Institué par les dispositions de la loi du 19 janvier 1995, le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du Code électoral interdit à toutes les personnes morales, « à l’exception des partis ou groupements politiques, [de] participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ou en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ». En prohibant ainsi tous les dons de la part de personnes morales de droit privé (ou public), la loi cherche à éloigner le spectre bien présent du « retour d’ascenseur » auquel certaines entreprises pourraient s’attendre en échange d’avantages ou de prestations diverses. Le juge des élections a néanmoins adopté une interprétation large notamment en ce qui concerne les dons réalisés par les personnes morales de droit public dès lors que l’ensemble des candidats a pu bénéficier de l’avantage en question de manière totalement égale [1].

Avec l’arrivée de l’Internet dans notre vie quotidienne et la possibilité pour chacun des candidats de toucher l’electeur-internaute directement à son foyer voire sur son lieu de travail pour un coût minime, un problème épineux s’est élevé concernant la possibilité de recourir à une pratique répandue sur le réseau mondial : faire héberger son site Internet par un hébergeur gratuit de pages personnelles.

De nombreuses sociétés proposent aux internautes, souhaitant faire partager une passion ou mettre en ligne leurs photos de vacances, d’accueillir gratuitement sur leurs serveurs les pages en question et ainsi les mettre à disposition du public. Cette prestation est traditionnellement conjuguée à un contrat de fourniture d’accès à Internet (comme cela est le cas avec Wanadoo, Free, AOL, Club-Internet, Tiscali …) ou, se présente sous la forme de services spécialisés (Multimania-Lycos, Respublica, Ifrance …). Dans ce dernier cas, l’internaute devra néanmoins accepter l’affichage de bandeaux publicitaires sur sa page personnelle, espaces censés couvrir les frais impliqués par un tel hébergement gratuit.

Comment le recours à une telle prestation par un candidat à un mandat électif peut-il être perçu au regard des principes du droit électoral et notamment vis-à-vis de l’interdiction édictée par l’article L. 52-8 ? Le juge pourrait transposer au cas des personnes physiques, sa jurisprudence adoptée en matière de dons par les personnes morales de droit public. Dès lors que la prestation serait offerte à l’ensemble des candidats, sans discrimination et de manière égale, aucune violation ne pourrait être relevée. Cette possibilité a été avancée par le ministre de l’Intérieur dans une réponse ministérielle [2]. Seule « une reconnaissance par la jurisprudence d’une pratique commerciale courante et générale, solidement établie et à la disposition de tous les candidats, paraît pouvoir autoriser l’extension du raisonnement applicable aux locaux municipaux » à l’accès et à la fourniture d’hébergements gratuits pour les sites Internet, indique-t-il.

Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 2002 (n° 2002-2682, Assemblée nationale, Savoie, 1ère Circ.) a confirmé, pour la première fois, cette proposition ministérielle. Il estime « que l’hébergement gratuit de pages relatives à la campagne d’un candidat par une société fournisseur d’accès à Internet ne méconnaît pas les dispositions précitées (de l’article L. 52-8) dès lors que, conformément aux conditions générales d’utilisation de ce service relatives à l’hébergement de pages personnelles, tout candidat -et d’ailleurs toute personne- a pu bénéficier du même service auprès de la même société ».

Le juge électoral transpose donc au cas des personnes morales de droit privé les principes préalablement posés en matière de fourniture d’avantages divers par des personnes de droit public. Dès lors qu’un bien ou un service est fourni de manière universelle et sans discrimination par une personne privée à l’ensemble des candidats, aucun don prohibé ne peut être constaté. C’est donc cette absence de privilège accordée spécifiquement à un des candidats qui permet de valider le procédé.

Néanmoins, la solution demeure critiquable. En effet, l’article L. 52-8 du Code électoral pose comme dérogation expresse à l’interdiction de tout don par les personnes morales de droit privé, la concession d’avantages dont les prix correspondent à ceux habituellement pratiqués. Même si la gratuité de l’hébergement des pages constitue un usage sur Internet, cela n’est le cas qu’en matière de pages dites personnelles – par opposition à professionnelles. Le Conseil constitutionnel se réfère justement à cet aspect personnel de l’utilisation de l’hébergement dans le corps de sa décision. Le site Internet de campagne entre-t-il dans le champ d’une pure utilisation personnelle ? Dans la négative, la gratuité doit-elle constituer l’habitude en matière d’hébergement de pages Internet ?

De nombreux éléments nous conduisent à répondre par la négative. Tout d’abord, les comptes de campagne, déposés par les candidats aux élections présidentielles et publiés récemment au Journal officiel, montrent des dépenses relativement importantes en terme de création, administration et hébergement de sites Internet [3]. En outre, l’usage en matière d’hébergement de pages professionnelles, c’est à dire celles réalisées dans le cadre de l’exercice d’une activité ou d’une profession, est de recourir à une société spécialisée dans les solutions d’hébergement, engendrant le paiement d’un prix.

Seulement, l’exercice d’un mandat électif peut-il être considéré comme une profession ? Les pages créées par une personne physique, normalement soutenue par un ou plusieurs partis politiques d’envergure nationale, sont-elles mises en ligne dans un but professionnel ou doit-on les assimiler aux curriculum vitae déposés par certains internautes en quête d’un poste ? Aucune règle, aucun texte ni arrêt ne permettent de trancher cette question.

Malgré cela, le droit positif accorde un blanc seing au recours à une prestation offerte par un hébergeur gratuit de pages Internet. Cette décision dépasse néanmoins le strict cadre du réseau mondial. Derrière cette validation, le juge permet très largement aux sociétés privées d’offrir des prestations diverses aux candidats dès lors que ces dernières le sont de manière universelle. N’y a-t-il pas un risque à faire entrer le loup dans la bergerie ? En effet, des entreprises peu consciencieuses pourraient avoir envie de proposer aux divers candidats le doux son des sirènes du cadeau – qui au final devrait se reconvertir en véritable don à plusieurs postulants. Quelle attitude devra adopter le juge face à des sociétés qui offrent aux candidats la prise en charge complète de l’organisation de leurs meetings électoraux ou de la réalisation et l’impression de leurs tracts publicitaires ?

Transposant la solution adoptée en matière de paiement des sommes minimes directement par le candidat sans le passage obligatoire par le mandataire financier, le juge électoral devrait dorénavant prendre en compte l’importance du cadeau ainsi offert au candidat par rapport au montant total de ses dépenses électorales. Ce nouveau contrôle nécessitera une plus grande vigilance de la part de la Commission des comptes de campagne et des financements politiques mais également des juges appelés à statuer sur le bien-fondé des recettes et dépenses engendrées par la quête d’un mandat.

Sinon, ne doit-on pas limiter cette possibilité de don aux candidats par des personnes morales de droit privé au cas de prestations offertes à toutes personnes sans distinction ? La précision marquée, relative au caractère universel du don, et apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision (« -et d’ailleurs toute personne- ») pourra peut-être constituer une échappatoire donnant ainsi aux juges des élections un moyen de sanctionner les dons réalisés à mauvais escient.


[1] Voir par exemple le cas d’une installation publique (CE, 30 juillet 1997, Elections municipales de Robert, n° 176.652).

[2] Rép. Cochet, n° 45.947, JOAN 10 juillet 2000, p. 4195.

[3] De 144,82 € pour Jean Saint Josse, à plus de 400.000 € pour Jacques Chirac.

© - Tous droits réservés - Benoît TABAKA - 27 juillet 2002

 


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