TRIBUNAL DES CONFLITS
N° 3275
Conflit sur renvoi du tribunal administratif de Marseille
M. T.
c/ L’Etat
M. Stirn, Rapporteur
Mme Commaret, Commissaire du Gouvernement
Séance du 17 décembre 2001
Lecture du 17 décembre 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu, enregistrée à son secrétariat le 8 juin 2001, l’expédition du jugement en date du 15 mai 2001 par lequel le tribunal administratif de Marseille, saisi d’une demande de M. Serge-Loup T. tendant à la réparation du préjudice qu’il a subi à la suite du vol de son véhicule par un mineur le 1er septembre 1997 à Toulon, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence pour connaître de conclusions à fin d’indemnité présentées par
M. Serge-Loup T., à la suite de la soustraction frauduleuse de son véhicule dont il avait été victime ;
Vu le jugement en date du 24 mai 2000, par lequel le tribunal pour enfants d’Aix-en-Provence s’est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ;
Vu, enregistré le 13 juillet 200l, le mémoire présenté par le ministre de l’emploi et de la solidarité, qui tend à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille et au renvoi de l’affaire devant ce tribunal ; le ministre de l’emploi et de la solidarité soutient que le Tribunal a été saisi à tort, le tribunal administratif n’ayant pas décliné la compétence des juridictions de l’ordre administratif mais jugé que la requête dont il était saisi ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité posées par le code de justice administrative ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des Conflits a été notifiée à M. T., qui n’a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu le code civil et notamment ses articles 75 à 75-8 ;
Vu le code de l’aide sociale et des familles ;
Vu l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante ;
Vu la loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Stirn, membre du Tribunal,
les conclusions de Mme Commaret, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par jugement du 24 juin 2000, le juge des enfants près le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a prononcé une admonestation à l’encontre d’un mineur qui s’était rendu coupable d’avoir frauduleusement soustrait un véhicule à son propriétaire, M. Serge-Loup T., et a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de l’action civile engagée par ce dernier au motif que le mineur était, au moment des faits, placé auprès des services départementaux d’aide à l’enfance ; que, saisi par M. T. d’une demande tendant à la réparation de son préjudice, le tribunal administratif de Marseille, estimant qu’en l’absence de mise en cause de la responsabilité de l’Etat, le litige ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative, a, par jugement du 15 mai 2001, renvoyé au Tribunal des Conflits, selon la procédure prévue par l’article 34 ajouté au décret du 26 octobre 1849 par l’article 6 du décret du 25 juillet 1960, le soin de décider sur la question de compétence ;
Considérant que les décisions de placement d’un mineur par l’autorité judiciaire, qui relèvent essentiellement du droit civil, sont prises sous le seul contrôle des juridictions judiciaires, qu’il appartient également aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des actions en responsabilité engagées à raison des fautes imputées aux organismes de droit privé, non dotés de prérogatives de puissance publique, auprès desquels un mineur est placé ; qu’en raison enfin de la garde dont ils sont chargés, les personnes ou organismes de droit privé auprès desquels un mineur est placé répondent de celui-ci sur le plan civil, sous le contrôle de la juridiction judiciaire ; qu’en revanche, relève de la juridiction administrative une action en responsabilité mettant en cause des négligences des collectivités publiques dans l’exercice de la mission de surveillance administrative et sanitaire qui leur incombe au titre du service d’aide sociale à l’enfance ; qu’il appartient également au juge administratif de connaître de la responsabilité d’un organisme de droit public auquel la garde d’un mineur est confiée à raison des agissements de ce mineur ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, si le juge des enfants était fondé à décliner la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de conclusions de M. T. dirigées contre le service public départemental d’aide sociale à l’enfance auprès duquel le mineur en cause était placé, il ne pouvait, en revanche, décider que l’action en responsabilité civile introduite par la victime échappait en entier à sa compétence sans avoir recherché si M. T. ne réclamait pas également une indemnité à une institution privée ou à une personne ayant la carde de l’enfant ; que, réciproquement, c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille a intégralement décliné la compétence du juge administratif, alors que, si celui-ci n’était certes pas compétent pour connaître de conclusions formées à l’encontre d’une institution de droit privé ou d’un particulier chargé de la garde de l’enfant, il lui revenait d’apprécier tant la recevabilité que, le cas échéant, le bien-fondé de conclusions dirigées contre les services publics administratifs d’aide à l’enfance ;
Considérant qu’il y a lieu, par suite, pour le Tribunal des Conflits de déclarer partiellement nuls et non avenus tant le jugement du juge des enfants, en tant qu’il décline la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître des conclusions de M. T. dirigées contre une institution de droit privé ou une personne assurant la garde de l’enfant, que le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu’il décline la compétence de la juridiction administrative pour connaître de conclusions dirigées contre le service public administratif d’aide à l’enfance ; qu’en l’absence au dossier d’indication sur la personne ou l’organisme de placement qui exerçait, au moment des faits, l’autorité parentale sur le mineur en cause, il y a lieu de renvoyer l’affaire tant devant le Tribunal des enfants, à qui il revient d’apprécier la responsabilité civile d’une personne ou d’une institution de droit privé assurant cette autorité ou avant la garde de l’enfant, que devant le tribunal administratif, compétent pour se prononcer sur la responsabilité du service public administratif d’aide à l’enfance ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal pour enfants d’Aix-en-Provence en date du 24 mai 2000 est déclaré nul et non avenu en tant qu’il décline la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître des conclusions de M. T dirigées contre une institution de droit privé ou une personne assurant la garde du mineur en cause ou exerçant sur lui l’autorité parentale.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 15 mai 2001 est déclaré nul et non avenu en tant qu’il décline la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de M. T. dirigées contre le service public administratif d’aide à l’enfance.
Article 3 : La cause et les parties sont renvoyées devant le tribunal pour enfants d’Aix-en-Provence pour qu’il y soit statué sur les conclusions de M. T. dirigées contre la personne ou l’institution de droit privé exerçant l’autorité parentale sur le mineur en cause ou assurant sa garde et devant le tribunal administratif de Marseille pour qu’il y soit statué sur la responsabilité du service public administratif d’aide à l’enfance.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d’en assurer l’exécution.