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Conseil d’Etat, 28 novembre 2008, n° 283237, Caisse primaire d’assurance maladie de la Creuse et Julien M.

La faute ayant consisté en un défaut de suivi et d’information à la fin de la cure et la délivrance de conseils inadéquats dans les jours suivants a été la cause directe et certaine d’insuffisance rénale.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 283237, 293930

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE
M. M.

M. Jean de L’Hermite
Rapporteur

M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement

Séance du 22 octobre 2008
Lecture du 28 novembre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu 1°) sous le n° 283237, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet 2005 et 29 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE, dont le siège est rue Marcel-Brunet à Guéret (23014) ; la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, à la demande de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a annulé le jugement du 28 décembre 1999 du tribunal administratif de Paris condamnant cette dernière à verser à M. M. la somme de 1 000 000 F et à l’exposante la somme de 1 293 367, 84 F au titre du préjudice résultant de la déshydratation subie par M. M. à la suite d’une séance de polychimiothérapie ;

2°) réglant l’affaire au fond, de condamner l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 525 961, 75 euros sous réserve de son actualisation depuis le 16 juin 2004, avec intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°) sous le n° 293930, le pourvoi enregistré le 31 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté pour M. Julien M.  ; M. M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, à la demande de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a annulé le jugement du 28 décembre 1999 du tribunal administratif de Paris condamnant cette dernière à lui verser la somme de 1 000 000 F et la condamnant à verser à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE la somme de 1 293 367, 84 F au titre du préjudice résultant de la déshydratation qu’il a subie à la suite d’une séance de polychimiothérapie ;

2°) réglant l’affaire au fond, de condamner l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser l’entier bénéfice de ses écritures de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris le versement à M. M. de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, le requérant s’engageant dans cette hypothèse à renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean de L’Hermite, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boutet, avocat de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. Julien M. et de la SCP Didier, Pinet, avocat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les pourvois n°s 283237 et 293930 sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d’appel de Paris et présentent à juger des questions communes ; qu’il convient d’y statuer par une seule décision ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, M. M., hospitalisé du 20 au 23 juin 1995 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière pour y suivre une sixième séance de polychimiothérapie a dû être réhospitalisé au service de néphrologie trois jours après, en raison d’une déshydratation qui a provoqué une insuffisance rénale irréversible à la suite de laquelle l’intéressé a dû subir la greffe d’un rein ; qu’estimant que le manque d’informations données à M. M. lors de sa sortie le 23 juin, puis le retard pris dans le traitement de la déshydratation, constituaient une faute de service de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le tribunal administratif de Paris a condamné celle-ci à verser à M. M. la somme de 1 000 000 F avec intérêts et capitalisation des intérêts et à la CAISSE D’ASSURANCE-MALADIE DE LA CREUSE la somme de 1 293 367, 84 F ; que, saisie d’une requête de l’AP-HP, la cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 9 mai 2005, a annulé le jugement du tribunal administratif, et rejeté les demandes de M. M. et de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE ; que la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE, d’une part, et M. M., d’autre part, se pourvoient contre cet arrêt ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris au mémoire en intervention présenté par M. M. dans le pourvoi n° 283237 :

Considérant, en premier lieu, que le pourvoi introduit pour M. M. sous le n° 293930 est dirigé contre l’arrêt du 9 mai 2005, qui lui a été notifié le 27 mai 2005 et dont il a accusé réception le 28 mai 2005 ; que sa demande de bénéfice de l’aide juridictionnelle, enregistrée le 4 juillet 2005, a interrompu les délais de recours ; qu’il a accusé réception, le 25 avril 2006, de la décision prise sur cette demande le 14 mars 2006 ; que son pourvoi, enregistré le 31 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, est recevable ; qu’en second lieu, le mémoire en intervention présenté par M. M. dans le pourvoi n° 283237 n’étant que la copie de son pourvoi en cassation, la fin de non-recevoir opposée par l’AP-HP à ce mémoire doit, par suite, être écartée ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des pourvois de M. M. et de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 731-3 du code de justice administrative : "Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement ou par le magistrat mentionné à l’article R. 222-13, les parties peuvent présenter soit en personne, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales à l’appui de leurs conclusions écrites. / La formation de jugement peut également entendre les agents de l’administration compétente ou les appeler devant elle pour fournir des explications. / Au tribunal administratif, le président de la formation de jugement peut, au cours de l’audience et à titre exceptionnel, demander des éclaircissements à toute personne présente dont l’une des parties souhaiterait l’audition. / Le commissaire du gouvernement prononce ensuite ses conclusions." ;

Considérant qu’il ressort des mentions de l’arrêt attaqué que, lors de l’audience du 11 avril 2005, M. Rémi Benoit a été admis à présenter des observations orales ; qu’il est constant que M. Rémi Benoit, collaborateur de l’avocat au Conseil d’Etat, conseil de M. M., n’a pas la qualité d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ni celle d’avocat ; qu’il ressort des dispositions précitées, que devant les cours administratives d’appel, seules les parties et leurs avocats sont habilités à présenter des observations orales ; qu’ainsi l’arrêt attaqué est intervenu sur une procédure irrégulière ; qu’il y a lieu par suite d’en prononcer l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris devant la cour administrative d’appel ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que durant son séjour au service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière du 20 au 23 juin 1995 pour y subir une sixième cure de polychimiothérapie pour traiter un cancer, M. M., alors âgé de 23 ans, a été victime de violents vomissements en début de cure ; que rentré au domicile de sa tante le 23 juin avec une prescription d’antivomitifs par voie orale, ces vomissements ont repris après chaque ingestion solide ou liquide ; que le service d’oncologie, consulté téléphoniquement à deux reprises par la tante de M. M., selon ses dires non sérieusement contestés par l’hôpital, a alors conseillé d’administrer les anti-vomitifs par voie intraveineuse ; qu’un examen biologique réalisé le 27 juin, à l’initiative de la tante de l’intéressé, a révélé un taux de créatinine élevé qui a conduit à l’hospitalisation de celui-ci au service de néphrologie de la Pitié-Salpêtrière où a été constatée une insuffisance rénale irréversible ; que dans les circonstances de l’espèce, et alors même que M. M. avait fait l’objet pendant sa cure d’hydratations régulières par injection de liquide isotonique, le fait de l’avoir laissé sortir dès le 23 juin, sans information suffisante sur les risques néphrotoxiques du traitement entrepris et sur la nécessité de prévenir par tout moyen, compte tenu des vomissements dont il avait été victime en début de cure et d’une température ambiante élevée, tout risque de déshydratation, et de ne pas avoir conseillé un retour à l’hôpital dès les premières alertes, a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP ; que cet établissement n’est par suite pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l’a condamné à réparer les préjudices qui en sont résultés ;

Sur le préjudice :

Considérant que si l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris soutient que la réparation du préjudice devrait être limitée à la fraction de celui-ci correspondant à la chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé, il résulte de l’instruction, que la faute ayant consisté en un défaut de suivi et d’information à la fin de la cure et la délivrance de conseils inadéquats dans les jours suivants a été la cause directe et certaine d’insuffisance rénale ; que, par suite, il y a lieu de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris la réparation de l’intégralité du préjudice subi par M. M. ;

Considérant qu’il ne résulte pas des pièces du dossier qu’en évaluant le préjudice économique, les troubles dans les conditions d’existence, les souffrances physiques et morales et le préjudice esthétique de M. M. à une somme totale de 1 000 000 F, soit 152 449, 02 euros, le tribunal administratif ait fait, contrairement à ce que soutient l’AP-HP une évaluation exagérée de ces préjudices ; que M. M. n’est, pour sa part, pas fondé à soutenir, par la voie de l’appel incident, que cette réparation serait insuffisante ;

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE qui avait suffisamment justifié devant le tribunal la réalité des prestations servies ainsi que leur imputabilité au dommage subi par M. M., demande le remboursement de dépenses nouvelles en lien direct avec le traitement de l’insuffisance rénale dont M. M. s’est trouvé atteint, et qu’elle a exposés postérieurement au jugement du tribunal administratif, pour un montant de 328.789, 75 euros ; qu’il y a lieu de condamner l’AP-HP à lui verser cette somme assortie des intérêts à compter du 16 juin 2004 date de sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761 -1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’AP-HP une somme de 3 000 euros que demande la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a également lieu de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris une somme de 3 000 euros à payer à M. M. au titre des frais exposés par lui en appel et non compris dans les dépens ; qu’en revanche ce dernier n’allègue pas avoir exposé devant le Conseil d’Etat de frais autres que ceux pris en charge par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée et ne peut donc prétendre à ce titre à une somme en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant en revanche que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE la somme que demande l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à ce titre ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 9 mai 2005 est annulé.

Article 2 : La somme que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à payer à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE par l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 28 décembre 1999 est portée à 525.961, 75 euros. Cette somme portera intérêt à compter du 16 juin 2004.

Article 3 : L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE une somme de 3 000 euros et à M. M. une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La requête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris et les conclusions de l’appel incident de M. M. sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CREUSE, à M. Julien M., à l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris.

 


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