CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 289433
M. C.
M. Philippe Barbat
Rapporteur
M. Rémi Keller
Commissaire du gouvernement
Séance du 3 mars 2008
Lecture du 19 mars 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 5ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 3 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Bernard C. ; M. C. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 5 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du 1er juin 2004 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne annulant la décision du ministre de l’équipement, des transports, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la mer du 11 juillet 2003 autorisant la société "Les transports vertusiens" à procéder à son licenciement ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler la décision du 11 juillet 2003 ;
3°) d’accorder à Me Copper Royer la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Philippe Barbat, Auditeur,
les observations de Me Copper-Royer, avocat de M. C. et de Me Bertrand, avocat de la société "Les transports vertusiens",
les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la société "Les transports vertusiens" :
Considérant que la lettre de M. C. enregistrée au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat le 25 janvier 2006 n’est relative qu’à une demande d’aide juridictionnelle et ne peut être ainsi regardée, ainsi que le soutient la société "Les transports vertusiens", comme une requête introductive d’instance tendant à l’annulation de l’arrêt du 5 décembre 2005 de la cour administrative d’appel de Nancy ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que cette prétendue requête serait irrecevable, dès lors qu’elle ne contiendrait pas l’exposé des faits et moyens justifiant l’annulation de cet arrêt, doit être écarté ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C. a invoqué, à l’appui de sa demande présentée le 30 juin 2003 devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dirigée contre la décision autorisant son licenciement, plusieurs moyens tirés de l’irrégularité de la consultation du comité d’entreprise par l’employeur ; que de tels moyens tiennent à la légalité interne de la décision attaquée ; que, dès lors, en jugeant que M. C. n’avait critiqué, dans sa demande susvisée, que la légalité externe de la décision attaquée et n’était par conséquent pas recevable, dans son mémoire enregistré le 16 décembre 2003, soit après l’expiration du délai de recours contentieux, à critiquer la légalité interne de cette décision, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit ; qu’ainsi, M. C. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’ancien article L. 122-14-16 du code du travail dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : "Le licenciement par l’employeur du salarié inscrit sur une liste dressée par le représentant de l’Etat dans le département, chargé d’assister des salariés convoqués par leurs employeurs en vue d’un licenciement est soumis à la procédure prévue à l’article L. 412-18 du présent code" ; qu’aux termes de l’ancien article L. 412-18 du même code alors en vigueur : "Le licenciement d’un délégué syndical ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail ou de l’autorité qui en tient lieu." ;
Considérant que, si ces dispositions obligent l’employeur à obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail ou de l’autorité qui en tient lieu pour licencier les conseillers du salarié, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de lui imposer de consulter le comité d’entreprise avant de solliciter cette autorisation ; qu’il en résulte que c’est à tort que, par son jugement du 1er juin 2004, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s’est fondé sur la circonstance que l’employeur n’avait pas consulté le comité d’entreprise sur le projet de licenciement de M. C., conseiller du salarié, pour annuler la décision autorisant son licenciement ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. C. devant le juge administratif ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par M. C. ;
Considérant qu’aux termes de l’ancien article L. 122-14 du code du travail dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : "L’employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l’intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge lui indiquant l’objet de la convocation. L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de la lettre de convocation. Au cours de l’entretien, l’employeur est tenu d’indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié." ;
Considérant qu’il ressort de l’attestation établie par M. Francis Roy, conseiller du salarié ayant assisté M. C. lors de l’entretien préalable du 15 novembre 2002, dont la teneur n’est pas contestée, que l’employeur n’a pas indiqué à ce dernier les motifs de son licenciement à l’occasion de cet entretien ; que, dans ces conditions, l’entretien préalable n’a pas pu porter sur les motifs de la décision de licenciement envisagée à l’encontre de M. C. ; qu’ainsi, la procédure prévue à l’article L. 122-14 du code du travail a été méconnue ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables et la société "Les transports vertusiens" ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par son jugement du 1er juin 2004, annulé la décision autorisant le licenciement de M. C. ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société "Les transports vertusiens" au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant que M. C. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Copper-Royer, avocat de M. C., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat et de la société "Les transports vertusiens" le versement par chacun de la somme de 1 750 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 5 décembre 2005 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : Les requêtes d’appel du ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables et de la société "Les transports vertusiens" sont rejetées.
Article 3 : L’Etat et la société "Les transports vertusiens" verseront, chacun, à la SCP Copper-Royer, avocat de M. C., une somme de 1 750 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société "Les transports vertusiens" tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Bernard C., à la société "Les transports vertusiens" et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.