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Conseil d’Etat, 5 avril 2004, n° 252285, Saadia El M.

En refusant de délivrer à la requérante un visa destiné à lui permettre de rendre visite à son époux, au double motif, d’une part, que sa fille ne disposait pas de ressources suffisantes pour la prendre en charge financièrement pour la durée de son séjour comme elle s’y était engagée et, d’autre part, qu’existait un risque de détournement de l’objet du visa demandé compte tenu du fait que l’intéressée pouvait avoir un projet d’installation durable en France, la commission a porté au droit de Mme EL M., épouse S. de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels le refus de visa lui a été opposé et ainsi méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 252285

Mme EL M., épouse S.

M. Henrard
Rapporteur

M. Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 15 mars 2004
Lecture du 5 avril 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 4 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Saâdia EL M., épouse S. représentée par le groupement solidarité avec les travailleurs migrants, son mandataire, dont le siège est 8 A rue de la Ceinture, à Versailles (78000) ; Mme EL M., épouse S., demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 octobre 2002, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a rejeté le recours du groupement solidarité des travailleurs migrants dirigé contre la décision du consul général de France à Rabat (Maroc) du 3 juin 2002, lui refusant un visa d’entrée en France ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;

Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Henrard, Auditeur,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret du 10 novembre 2000 : " Il est institué auprès du ministre des affaires étrangères une commission chargée d’examiner les recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France prises par les autorités diplomatiques et consulaires, dont la saisine est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux, à peine d’irrecevabilité de ce dernier " ;

Considérant que le ministre des affaires étrangères soutient que le recours devant la commission, formé par le Groupement solidarité des travailleurs migrants était, en l’absence de mandat de Mme EL M., épouse S., irrégulier et que la requête de l’intéressée devant le Conseil d’Etat se trouve, par suite, irrecevable ;

Considérant que si la commission n’a pas, comme elle en avait la faculté, demandé au Groupement solidarité des travailleurs migrants de produire un mandat exprès pour représenter Mme EL M., épouse S., la requête présentée par cette dernière devant le Conseil d’Etat, dirigée contre la décision de la commission, a pour effet de confirmer que le Groupement solidarité des travailleurs migrants était, comme Mme EL M., épouse S. le soutient, titulaire d’un mandat, au moins verbal, pour exercer ce recours en son nom ; que la fin de non-recevoir opposée par le ministre des affaires étrangères doit donc être écartée ;

Sur les conclusions à fins d’annulation :

Considérant que si cinq des sept enfants de Mme EL M., épouse S. résident au Maroc, il ressort des pièces du dossier que l’état de santé de son époux, qui nécessite une surveillance médicale constante et des soins réguliers en France, ne lui permet pas de se rendre au Maroc ; que dans ces conditions, en refusant de délivrer à Mme EL M., épouse S. un visa destiné à lui permettre de rendre visite à son époux, au double motif, d’une part, que sa fille ne disposait pas de ressources suffisantes pour la prendre en charge financièrement pour la durée de son séjour comme elle s’y était engagée et, d’autre part, qu’existait un risque de détournement de l’objet du visa demandé compte tenu du fait que l’intéressée pouvait avoir un projet d’installation durable en France, la commission a porté au droit de Mme EL M., épouse S. de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels le refus de visa lui a été opposé et ainsi méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, Mme EL M., épouse S. est fondée à demander l’annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fins d’injonction :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, les articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative n’impliquent pas nécessairement que le ministre des affaires étrangères accorde un visa à Mme EL M., épouse S., mais qu’il réexamine sa demande au regard des motifs de la présente décision ; qu’il y a lieu, par suite, de prescrire au ministre de statuer sur la demande de visa de Mme EL M., épouse S., dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France du 3 octobre 2002 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des affaires étrangères de statuer sur la demande de visa de Mme EL M., épouse S., au regard des motifs de la présente décision, dans un délai d’un mois à compter de sa notification.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Saâdia EL M., épouse S. et au ministre des affaires étrangères.

 


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