CONSEIL D’ÉTAT
Statuant au contentieux
N° 246716
SOCIETE LILLY FRANCE
Mlle Landais
Rapporteur
Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 juillet 2003
Lecture du 23 juillet 2003
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil dTtat statuant au contentieux
(Section du contentieux, lère et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 6 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil dEtat, présentés pour la SOCIETE LILLY FRANCE, dont le siège est 13, rue Pagès à Suresnes cedex (92158), représentée par ses représentants légaux en exercice ; la SOCIETE LILLY FRANCE demande au Conseil d’État
1°) d’annuler la décision du 6 février 2002 du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en tant qu’elle inscrit la spécialité « Fluoxétine Merck 20 mg, gélule » au répertoire des spécialités génériques en tant que générique de la spécialité de référence « Prozac 20 mg, gélule » ;
2°) de condamner l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) à lui verser la somme de 5 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique
le rapport de Mlle Landais, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SOCIETE LILLY FRANCE et de Me Guinard, avocat de la société Merck Génériques,
les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que l’article R. 5143-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 2001-768 du 27 août 2001, énonce que les spécialités génériques sont identifiées par une décision du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) prise après avis de la commission prévue à l’article R 5140 du même code ; que ce même article prévoit que le directeur de l’agence procède, dès qu’il a reçu communication de la date de commercialisation de la spécialité générique, à l’inscription de cette dernière au répertoire des spécialités génériques qui présente ces spécialités, ainsi que les spécialités de référence, par groupe générique ; que sur le fondement de cette dernière disposition, le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a, par la décision attaquée du 6 février 2002, procédé à l’inscription de la spécialité « Fluoxétine Merck 20 mg, gélule » au répertoire des spécialités génériques dans le groupe des génériques du « Prozac, 20 mg, gélule », commercialisé par la société requérante ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée
Considérant que le moyen tiré de ce que la décision attaquée n’aurait pas été précédée de la consultation régulière de la commission prévue à l’article R 5140 du code de la santé publique n’est pas assorti de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
Sur la légalité interne
Considérant que le 5° de l’article L. 5121-1 du code de la santé publique définit la spécialité générique d’une spécialité pharmaceutique de référence comme celle qui, sans préjudice des dispositions des articles L. 611-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées ; qu’il indique également que la spécialité de référence et les spécialités qui en sont génériques constituent un groupe générique ; que l’article L. 5125-23 du même code autorise le pharmacien à « délivrer, par substitution à la spécialité prescrite, une spécialité du même groupe générique à condition que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité et sous réserve, en ce qui concerne les spécialités figurant sur la liste prévue à l’article L.162-17 du code de la sécurité sociale, que cette substitution s’effectue dans les conditions prévues par l’article L.162-16 de ce code » ; qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu autoriser les pharmaciens à substituer à une spécialité pharmaceutique de référence toute spécialité inscrite dans son groupe de génériques aux seules conditions que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité et que la substitution s’effectue dans les conditions financières prévues par l’article L.162-16 du code de la sécurité sociale ;
Considérant qu’il en résulte, en premier lieu, que l’identité d’indications thérapeutiques n’étant pas au nombre des conditions d’identification des spécialités génériques, les pharmaciens sont légalement habilités, eu égard à l’identité de la composition des spécialités,
à substituer une spécialité générique à une spécialité de référence, y compris lorsque les autorisations de mise sur le marché des deux spécialités ne visent pas les mêmes indications thérapeutiques ; qu’ainsi, la circonstance que l’autorisation de mise sur le marché de la « Fluoxétine Merck 20 mg, gélule », spécialité inscrite comme générique du « Prozac 20 mg, gélule » n’a été sollicitée et délivrée que pour le traitement des épisodes dépressifs majeurs tandis que l’autorisation de mise sur le marché de cette dernière spécialité vise, en plus de cette indication, le traitement des troubles obsessionnels compulsifs, ne fait pas obstacle à ce que les pharmaciens exercent leur droit de substitution du générique au médicament princeps ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée placerait les pharmaciens en situation de contrevenir à la législation relative à la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques faute d’identité des indications thérapeutiques autorisées doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que l’article L.162-16 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque le pharmacien d’officine délivre, en application de son droit de substitution, une spécialité figurant sur la liste des médicaments remboursables autre que celle qui a été prescrite, « cette substitution ne doit pas entraîner une dépense supplémentaire pour l’assurance maladie supérieure à un montant ou à un pourcentage déterminé par la convention » nationale définissant les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les pharmaciens titulaires d’officine ou, à défaut, par arrêté ministériel ; qu’ainsi, dans l’exercice de son droit de substitution, le pharmacien n’est tenu par la loi que du seul respect de la condition relative à la limitation de la dépense supplémentaire par rapport à celle qu’aurait entraînée la délivrance de la spécialité prescrite ; que, dès lors, la circonstance que la spécialité substituée ne soit pas autorisée pour l’ensemble des indications thérapeutiques visées par l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence n’étant pas susceptible d’augmenter la dépense supplémentaire éventuelle résultant de la substitution, la décision attaquée ne place pas les pharmaciens en situation de méconnaître les règles de prise en charge des médicaments par l’assurance maladie ; que le moyen tiré d’une telle méconnaissance doit donc être écarté ;
Considérant, enfin, que l’inscription sur la liste des médicaments remboursables d’une spécialité générique n’est pas conditionnée par l’inscription préalable de cette spécialité au répertoire des génériques ; qu’ainsi, les moyens tirés de ce que la différence d’indications thérapeutiques autorisées respectivement pour la « Fluoxétine Merck 20 mg, gélule » et pour le « Prozac 20 mg, gélule » conduirait, d’une part, à une appréciation erronée du service médical rendu par la spécialité générique en vue de son inscription sur la liste des médicaments remboursables, d’autre part, à une information erronée des praticiens sur ce service médical rendu, ne peuvent être utilement invoqués à l’encontre de la décision attaquée du 6 février 2002 qui ne conditionne ni cette inscription ni l’information qui en découle ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE LELLY FRANCE n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du 6 février 2002 du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé portant inscription au répertoire des génériques de la spécialité « Fluoxétine Merck 20 mg, gélule » en tant que générique du « Prozac 20 mg, gélule » ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de iustice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la SOCIETE LILLY FRANCE la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la SOCIETE LILLY FRANCE à verser à la société Merck génériques la somme de 1000 euros qu’elle réclame au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SOCIETE LILLY FRANCE est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE LILLY FRANCE versera à la société Merck génériques la somme de 1000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LILLY FRANCE, à la société Merck Génériques, au directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.